Conan le Cimmérien

Publié le par Antohn

"La barbarie est l'etat naturel de l'Homme, la civilisation n'est qu'un vernis. Tôt ou tard, la barbarie finit par l'emporter."

Robert Ervin Howard, Au delà de la Rivière Noire, 1935

 

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Il était une fois, dans la petite ville de Cross Plains au Texas, une maison en bois comme il y en a tant aux Etats-Unis. Cette demeure était celle du docteur Howard, un medecin de campagne qui s'était installé là en 1919 avec sa femme et ses enfants. L'un de ses fils, Robert, était doté d'un don certain pour écrire des histoires et dès l'âge de quinze ans, il envoya même une de ses nouvelles à deux de ces magazines qui, à l'époque, publiaient chaque mois des histoires policières, d'aventure, ou d'horreur. L'histoire s'appelait "Bill Smalley and the power of the Human Eye" ("Bill Smalley et le pouvoir de l'Oeil Humain" et fut rejetée par les deux périodiques, nous ignorons de quoi parlait cette nouvelle, dans la mesure où la plupart des premières oeuvres d'Howard ont été perdues.

 

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La maison de Robert Ervin Howard à Cross Plains, aujourd'hui principale attraction de la ville. (Source: site de la ville de Cross Plains )

 

En 1924, il a alors dix-huit ans, il est publié pour la première fois par le magazine "Weird Tales", l'histoire s'appelait "Spear and Fang" ("Sagaies et crocs") et racontait une guerre entre Hommes de Cro-Magnon et Hommes de Neanderthal, histoire qui lui rapporta la coquette somme de ... 18 dollars, payables à la publication. Pendant longtemps, vous vous en doutez, cette activité ne permis pas à Howard de gagner sa vie et il compensa en travaillant comme documentaliste dans la bibliothèque de l'Université de Brownwood, dans le journal de laquelle il publiait régulièrement des articles relativement appréciés.

L'ombre Rouge

"L'ombre rouge", une nouvelle d'Howard écrite alors qu'il était bibliothécaire à Brownwood et, semble-t-il, la première à avoir eu les honneurs de la couverture de "Weird Tales". (source: coverbrowser.com )

 

En 1928, il connaît un certain succès en créant le personnage de Solomon Kane, un puritain du XVIe siècle, qui se veut le bras armé de Dieu, parcourant l'Angleterre pour redresser les torts. En 1929, il crée un autre personnage, Kull, un barbare qui, par sa bravoure, devint roi des Atlantes. Il publie également des nouvelles policières mais la crise économique fait alors disparaitre un grand nombre de magazines tandisque d'autres sont obligés de réduire leur fréquence de publication, ne reprenant un rythme normal qu'aux alentours de 1932. 

 

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Robert Ervin Howard, à l'époque de la publication des aventures de Conan

(Source: site de la ville de Cross Plains )

 

En novembre 1932, se produit un evenement qui marqua considérablement Robert Howard. Une nuit, alors qu'il écrivait, il eut une apparition. Devant lui se tenait un colosse aux cheveux noirs armé d'une hache; il lui dit qu'il s'appelait Conan et le menaca de lui fendre le crâne s'il ne racontait pas ses aventures. Pris de panique, Howard passa alors la nuit à écrire, n'osant relever la tête qu'au petit matin, épuisé; le colosse avait disparu de sa chambre et avait pris vie par le biais de sa machine à écrire, c'est en tout cas ce que raconta Howard. J'ignore si cette histoire est vraie, la seule certitude que nous ayons est qu'Howard abbandonne complètement le personnage de Kull et le remplace par celui de Conan. Dans le numéro de décembre 1932, Howard publie une nouvelle intitulée "Le Phoenix sur l'Epée", réecriture d'une histoire de Kull rejetée precedemment et intitulée "Par cette hache, je règne".

Dans cette nouvelle, Conan y a déjà une quarantaine d'année et est déjà roi d'Aquilonie.

Après le suicide d'Howard en juin 1936, ses textes furent réécrits ou complétés et republiés en suivant l'ordre chronologique de la vie de Conan et non l'ordre dans lequel Howard les écrivit, ce qui est, on peut le dire, complètement idiot comme idée.

 

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Couverture du numéro de "Weird Tale" de décembre 1932, c'est dans ce numéro que parut la première aventure de Conan.(source: coverbrowser.com )

 

Pourquoi? Tout simplement parce qu'Howard tenait à raconter les aventures de Conan dans le désordre, comme le ferait un vieil aventurier le soir au coin du feu, bourrant sa pipe et commencant ses récites par "Tiens, je t'ai pas raconté la fois où...?". En outre, l'idée qu'avait Howard en faisant du vieux Conan un roi était qu'il n'était arrivé sur le trône que par hasard, sans être mû par la moindre ambition particulière. Ainsi la première nouvelle de Conan le montre quadragénaire et roi, la seconde le montre comme un jeune mercenaire de dix-sept ans, unique survivant d'une bataille d'une férocité inouie.

 

Le colosse noir

Couverture du numéro de "Weird Tales" de juin 1933, illustrant la nouvelle intitulée "Le Colosse Noir". Conan est souvent absent des couvertures de ses propres aventures, les illustrateurs préferant se concentrer sur les héroines. (source: coverbrowser.com )

 

Le personnage de Conan est aussi complexe que son auteur: le limiter à un barbare en slip en peau de yack qui savate du troll avec une donzelle en petite tenue à ses pieds est une grosse erreur et il ne faut pas l'avoir lu pour avoir cette opinion.

Evidemment, vous vous en serez aperçu si vous avez prété un oeil attentif aux couvertures de "Weird Tales" qui émaillent cet article, il y a des monstres et des femmes nues dans Conan, ces dernières n'ont souvent qu'un but décoratif et Howard les incluait à regrets, sachant qu'il avait plus de chances de vendre ses histoires si elles pouvaient faire une belle couverture. Paradoxalement, les meilleures nouvelles de Conan sont souvent celles où il n'y a aucune héroïne.

 

Heure du dragon

Certaines aventures de Conan étaient publiées en plusieurs épisodes, comme ce fut le cas pour "L'Heure du Dragon" (1934). A l'origine, cette histoire, plus longue que d'ordinaire, devait être publiée sous forme de roman mais la maison d'éditions à laquelle Howard avait confié son manuscrit fit faillite et il l'envoya à "Weird Tales" qui se fit une joie de la publier. Vous constaterez que Conan est ici représenté avec des traits latins, assez loin de l'image qu'en avait Howard. (source: coverbrowser.com )

 

Conan est un homme qui a grandit dans des terres hostiles: la Cimmérie est décrite par Howard comme une terre montagneuse, couverte de forêtes, où vivent des barbares divisés en petits clans qui se font la guerre sans cesses. Conan est une exception parmi les Cimmériens: dès l'âge de quinze ans, il s'illustre sur les champs de bataille ose sortir de sa forêt à la rencontre du monde civilisé. Il finit par se civiliser... du moins en apparence: Conan parle une quinzaine de langues, a des amis dans tous les peuples du Monde et sait comment se comporter dans les recoins les plus éloignés de la Cimmérie mais il ne se défait jamais d'une certaine dose d'animalité qui en fait un être à part avec ses propres valeurs. Il ne rechigne pas, par exemple, à se faire pirate et à rougir les sept mers du sang de ses victimes, il n'hésite jamais à achever un adversaire à terre ou encore à abandonner un ennemi à une mort atroce (comme dans "Les mangeurs d'Hommes de Zamboula" ou "Une sorcière viendra au Monde"). D'un autre côté, il possède un sens de l'honneur qui l'empêche de laisser un allié dans la difficulté, il ne supporte pas l'idée qu'un homme en vende un autre et jamais, ô grand jamais, il ne revient sur une parole donnée.

Conan est un homme qui n'a pas été perverti par la civilisation et par sa décadence, qui semble être un thème central dans l'oeuvre d'Howard, "Les Clous Rouges", "Xuthal la crépusculaire", "Chimères de Fer dans la Clarté Lunaire" sont parmi ces nouvelles où les civilisation que la décadence n'a pas détruites, attendent leur fin avec une résignation bovine, perdue dans une absurtdité qui dépasse l'humain.

 

 

Xuthal la crépusculaire

Cette scène, tirée de "Xuthal la crépusculaire" est une bonne illustration de ce que j'avançais tout à l'heure sur la necessité de vendre une hstoire susceptible de donner une bonne couverture, quitte, comme dans ce cas précis, à ce que la scène en question soit complètement inutile dans le récit. (source: coverbrowser.com )

 

Un autre aspect moins reluisant de Conan est le racisme sous-jacent présent dans ces nouvelles qui rend certains passages un peu compliqués à lire pour un lecteur moderne. Un exemple: dans "La Vallée des femmes perdues", Conan est en visite chez un chef noir et enlève dans cette tribu une femme blanche vendue comme esclave à ce chef. S'il la sauve ce n'est pas par bonté d'âme: Conan ne défend le faible que quand il espère en obtenir une récompense mais parce que "un homme blanc ne doit pas laisser une femme blanche au mains des noirs". De la même manière, dans "Les mangeurs d'Hommes de Zamboula", je vous laisse deviner la couleur des mangeurs d'Hommes. Autre détail, les seuls noirs "civilisés" dans l'Univers de Conan, les Kushites, sont des noirs dominés par une caste à la peau claire.

Alors, raciste Howard? Et bien disons que si ce n'est pas le cas c'est bien imité. Il n'y a aucune raison qu'il n'ait pas les mêmes préjugés raciaux que la plupart des texans blancs des années trente et qu'il considère réellement les noirs comme une race inférieure, opinion qui transparait dans ses nouvelles. En fait, plus de racisme, je parlerais plutôt d'ignorance: Howard était un dévoreur de romans de gare et à cette époque, beaucoup d'entre eux mettaient en scène une Afrique de carton-pâte où de courageux aventuriers décimaient par paquets de douze des sauvages en peaux de bête avec un os dans le nez  et une sagaie en silex. Tout aussi étrograde que soit cette vision, elle correspondait à l'image que bien des gens avaient alors de l'Afrique: une terre hostile peuplée d'indigènes anthropophages; dites-vous bien que pendant la Première Guerre Mondiale, la machette que portaient à la ceinture les tirailleurs sénégalais ne servait pas à se battre mais à laisser courire le bruit qu'ils s'en servaient pour dévorer des ennemis et ainsi instiller la peur dans les rangs ennemis.

Il y avait encore à l'époque des gens persuadés que les Africains étaient cannibales et un type comme Howard qui voyageait peu et avait la tête pleine de fantasmagories devait en faire partie.

 

Cannibales

Un héros intrépide en pleine savane, tirant au fusil sur un sauvage armé d'une sagaie, une scène banale dans les romans d'aventure des années vingt. (source: coverbrowser.com )

 

Nonobstant cela, les aventures de Conan sont un régal pour tout amateur de récit d'heroic-fantasy, une oeuvre formidablement bien écrite aussi indispensable que "Le Seigneur des Anneaux". La réédition des manuscrits originaux aux Editions Bragelonne (que des petits anges tout nus volètent autour d'eux en chantant leurs louanges), agrémentés d'appendices des plus précieux permets en plus de redécouvrir ces histoires telles qu'elles furent écrites par Howard, il y a plus de soixante-dix ans et il ya fort à parier que ces rééditions-là risquent d'influer grandement sur la production du troisième opus cinématographique de Conan que je vous avoue attendre avec une impatience redoublée par la lecture de ces nouvelles. Evidemment, certaines d'entre elles sont plus "alimentaires" que d'autres mais des nouvelles comme "L'Heure du Dragon", "La Reine de la Côte Noire", "Les Clous Rouges" mais surtout "Au delà de la Rivière Noire" sont de véritables chefs-d'oeuvre et la preuve qu'il n'y a pas de "petit genre" en littérature.

Publié dans Livres

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