L'armure de vengeance
Autant il est vrai que j'adore les thrillers historiques autant il est vrai qu'il est difficile de trouver de tels ouvrages se passant au Moyen-Âge et traitant d'autre choses que d'ésotérisme, de Graal dans le sous-sol d'une abbaye, de trésor des templiers au fond d'un lac ou d'autres choses dans ce genre-là.
L'avantage, ici, c'est que l'auteur n'est pas n'importe-qui: Serge Brussolo est souvent présenté comme le Stephen King français et, à l'instar de son modèle, on ne peut pas dire qu'il n'ait fait que des bons bouquins mais force est de constater qu'il possède un don certain pour faire preuve d'originalité. Il est, notamment, l'auteur d'un livre intitulé "Le chien de minuit", thriller d'anticipation dans un New-York où les écarts de richesse se sont creusés à l'extrême. C'est un excellent livre que je saurais que vous conseiller.
"L'armure de vengeance", lui, se déroule dans un cadre bien différent puisqu'il fait partie du cycle que Serge Brussolo consacra au chevalier Jehan de Montpéril, fin limier exercant ses talents dans un Moyen-Âge mal défini (entre le XIe et le XIIe siècle, vraisemblablement). Un peu comme Columbo, Jehan de Montpéril n'apparait qu'une fois le meurtre commis, les premiers chapitres relatant la fabrication de l'armure noire ("le Harnais de Sable" tel qu'il est appelé dans le livre), objet de toutes les convoitises et porteuse de biens de sorts funestes. Je ne sais pas si tout le monde a entendu parler du Regent, il s'agissait d'un saphir d'une taille colossale (et d'une valeur du même métal) qui avait, dit-on, été dérobé sur une statue de dieu dans un temple hindou. Des prêtre de ce dieu auraient alors lancé une malédiction sur ce diamant dont chaque propriétaire aurait alors connu un sort peu enviable, on raconte même qu'il était dans les bagages de l'un des passagers du Titanic.
Le Harnais de Sable, c'est un peu la même chose: il avait été forgé dans une grotte par un forgeron Normand (un Scandinave, hein, pas un habitant d'Honfleur) qui avait immolé son propre fils à Thor et à Odin pour faire de cette armure une carapace indestructible, capable de permettre à un homme de survivre à l'attaque d'un ours. Le seul inconvénient est qu'elle pèse extrêmement lourd et que seuls les chevaliers les plus forts peuvent l'endosser. Pris de remords après le meurtre de son fils, le forgeron, se convertit au christianisme, légua cette armure à sa fille, Sigrid, et partit dans une léproserie pour expier son crime. Sigrid, quant à elle, gagna sa vie en présentant cette armure dans les foires et en la louant à de riches seigneurs désireux de bénéficier des cette armure qui acquiert, petit à petit, la réputation de rendre invincible celui qui la porte. A côté de cela, on dit qu'elle est maudite et qu'elle se lève la nuit pour reproduire les gestes qu'elle a vu faire sur le champ de bataille (il y avait l'acier à mémoire de forme, voici l'acier à mémoire de geste).
Cette réputation n'empêche pas à un seigneur de vouloir non pas louer mais acheter l'armure et convie Sigrid dans son château pour en négocier le prix. Conquis par cet équipement qui le rend invulnérable, ce seigneur organise un grand banquet au cours duquel il ne trouve pas plus amusant que de faire asseoir l'armure à sa table, en lui faisant présider le banquet à sa place. D'aucuns goûtent assez peu la farce: l'aumonier du château qui estime, à la base, que mettre une armure c'est refuser de mourir au service de Dieu (c'est d'ailleurs l'avis de la plupart des religieux dans ce livre, j'ignore si autant de gens disait cela à l'époque mais, pour avoir fait un peu d'Histoire medievale à la fac je peux vous grantir que je n'ai jamais entendu parler ce cela), l'aumônier, disais-je, fait même remarquer que se comporter comme si cette armure était vivante est une drôle de façon d'attirer le destin quand on connait la réputation de l'objet.
Preuve qu'il faut toujours écouter monsieur le curé: le lendemain, on trouve les rois enfants du seigneurs égorgés comme des moutons. Des traces sanglantes mènent jusqu'à la salle du banquet où l'armure se tient, telle qu'on l'y avait laissé, une dague sanglante dans la main. Nourris par un cartésianisme sans failles, un lecteur un tant soit peu incrédule n'y verrait qu'une grotesque mise en scène mais rappelez-vous que l'action se déroule à une époque où les arrières grands-parents de Descartes n'étaient même pas à l'état de projet: pour la population du château ce ne peut être que la preuve que l'armure est bel est bien hantée.En outre, l'action se déroule dans un moyan-âge de carton pâte où seul les héros semblent échaper à la caricature: les ecclésiastiques y sont paranoiaques, fanatiques et cons, le bas-peuple est crédule et con, quant aux guerriers il sont illétrés, violents.... et cons.
Sigrid, elle, a beau savoir que ce ne sont que des racontars: et pour cause, vu que c'est elle qui les a inventés pour que l'on vienne voir son armure, elle est considérée comme une sorcière et traitée comme telle.
Enfin, presque, puisque le seigneur du château a une idée bien plus originale que de la brûler: il décide de l'enterrer vivante, enfermée dans l'armure. Craignant que l'armure ne sorte de son cerceuil, elle est hantée après tout, on décide d'engager un garde pour s'assurer que rien de suspect ne se passe dans la clairière où sont ensevelies l'armure et la propriétaire. Ce garde, c'est Jehan de Montpéril, un chevalier-paysan à qui on évite, bien évidemment, de préciser le contenu exact du cerceuil. Comprenez sa surprise quand il entend des coups dans le sarcophage et qu'il découvre une jeune femme dans l'armure; son étonnement s'accroit quand, au petit matin, des hommes d'arme viennent récupérer l'armure au nom d'un autre seigneur qui croit moins aux histoires d'armures hantées qu'à celles d'armures rendant invulnérables.
Le même cirque se produit: après s'être enfuits, Jehan et Sigrid sont receuillis auprès d'une troupe de phénomènes de foire puis sont rattrapés, le seigneur du château où il se trouve veut, lui-aussi acheter l'armure, organise un banquet, le fait présider par l'armure et.... et bien il se passe ce que vous pouvez imaginer: le lendemain la femme et les enfants du seigneur sont retrouvés décapités, seul survivante, la femme de chambre qui soutient mordicus avoir vu l'armure entrer dans la chambre et assassiner tout le monde.
Sachant qu'il ne s'agissait pas réellement de la famille du seigneur mais de quatre paysans qui jouaient le rôle de sa famille, la seule certitude qu'à Jehan de Montpéril est que le tueur ne connaissait pas personnellement la famille qui résidait dans ce château. Si la piste de la vengeance d'un proche du comte est à écarter, les autres sont plus qu'ouvertes. Tout d'abord, il y a la possibilité que l'armure soit réellemet hantée et qu'un démon de l'Enfer la revêt toutes les nuits pour assassiner les familles de leurs locataires mais avouez que ce démon ne serait pas très cortiqué du bulbe. Autre hypothèse: à chaque fois un vassal jaloux profite du fait que l'armure maudite soit là pour assouvir une vengeance, à ceci près qu'il devrait être suffisamment fort pour supporter le poids de l'armure et bouger avec, ce qui n'est pas à la portée du premier venu.
Qui est cet assassin? Qui est cet homme suffisamment fort pour supporter le poids d'une armure de quarante kilos et sffisamment haineux pour tuer toute la famille d'un seigneur plutôt que de le tuer lui-même? Aussi étrange que cela puisse paraître, les suspects ne manquent pas et le lecteur va de rebondissements en rebondissements.
Tenez, parlons-en des rebondissements: je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'un bon auteur de thriller doit jouer avec la perspicacité de ses lecteurs et mener ces derniers sur de fausses pistes mais trop de fausses pistes tuent les fausses pistes. Force est de constater que la fin est pour le moins innatendue et que c'est, finalement, ce que l'on demande à un tel roman, seulement les rebondissements s'enchaînent un peu trop rapidement et on a un peu l'impression que Serge Brussolo a commencé son livre sans savoir comment il se terminerait ou alors que la fin qu'il avait initialement prévu ne lui convenait pas.
A force d'envisager toutes les possibilités, aucune n'est amenée avec suffisamment de réalisme et de conviction, ce qui est bien dommage dans la mesure où, je le répète, l'idée de départ était très bonne.