La Nuit Nanarland 6

Publié le par Antohn

Décidément, je n'utilise plus ce blog que pour vous raconter mes nuits au Grand Rex. Mais quelles nuits à chaque fois ! D'autant plus que le cru 2022 s'est avéré être une excellente cuvée. 

Une soirée un peu particulière à titre personnel puisque j'accompagnais quelqu'un qui se reconnaîtra et qui faisait son baptême de Nuit Nanarland, 13 ans après le mien lors de ce qui s'appelait la Nuit Excentrique V. Soirée un peu particulière également à titre collectif puisque marquée par le souvenir de Cüneyt Arkin, acteur turc disparu cet été et dont la carrière prolifique (plus de 300 films sur près de 60 ans) avait donné lieu à quelques dingueries absolument savoureuses qui l'avait élevé au rang de superstar de l'amateur de mauvais films sympathiques. 

Si vous suivez ce blog depuis longtemps, vous savez comment la soirée a débuté : avec la réplique dite "des pieds dans la gueule" de Chuck Norris, reprise en choeur par une salle de 3000 personnes chauffées à blanc, suffisamment en tout cas pour assurer la traditionnelle introduction par Jean-François Rauger, un monsieur qui, lorsqu'il n'est pas occupé à être Dieu, aime bien également être directeur de programmation de la Cinémathèque. 
Je passerai rapidement sur la pluie de cravates qui s'est alors abattue sur les fauteuils d'orchestre, référence à un accessoire fétiche de notre maître de cérémonie (et initiative d'un groupe de malades spectateurs qui était venu armé d'un sac de plusieurs centaines de cravates achetées au kilo dans une friperie).

Il n'en reste pas moins que c'est donc propriétaire d'une superbe cravate à fleurs (que je porte bien évidemment pour écrire cet article) que j'ai suivi mes compagnons dans le visionnage des premiers cuts et bandes-annonces amenant au premier gros morceau. 

LE FAUCON (Paul Boujenah, 1982). Il y a quelques années, j'avais eu l'occasion de vous parler de ce film, vu lors d'une soirée dans la défunte Cantada à Paris. LE FAUCON (que l'on nous a demandé de présenter comme "un vrai film", ce dont ne nous sommes évidemment pas privés) est une incarnation d'une époque où le cinéma français ne produisait pas que des comédies en masse mais également des polars à l'américaine. Belmondo n'étant pas disponible, c'est à Francis Huster que revient la charge de jouer le rôle du flic dur à cuire face à l'ennemi public numéro 1. De même, Henri Verneuil s'étant fait porter pâle, la caméra est confiée à... Paul Boujenah, dont le principal fait d'arme était alors d'avoir réalisé FAIS GAFFE A LA GAFFE, adaptation officieuse de Gaston Lagaffe (et dont je vous parlais ici, il y a longtemps). 

Le soucis c'est que faire courir un flic derrière un malfrat c'est une recette qui marche quand ce n'est pas le seul élément du film (fut-il un vrai film). Et là, pour reprendre une expression de l'un des membres de Nanarland : "LE FAUCON c'est un peu comme SPEED, mais avec Francis Huster à la place du bus". 

Nous suivons donc ici Frank Zodiak (alias "Le Faucon"), un flic marqué par une tragédie familiale qui poursuit un braqueur, Gus Savor, dont on nous assure qu'il est très très méchant sans que le personnage ne soit un tant soit peu développé. En gros on le voit braquer un magasin de jouets à la voiture bélier puis s'enfuir en courant, le plus souvent avec Francis Huster aux basques. Autant dire qu'on est loin de PEUR SUR LA VILLE et que ce ne sont pas le scénario et les répliques manifestement improvisés à moitié ainsi que la passion du héros pour les cheeseburgers (prononcé "chizebourgers", comme il se doit) qui vont relever le niveau d'un nanar de petite volée, transfiguré par son contexte de projection. 

Reste toutefois, pour l'anecdote, les furtives apparitions de Michel Boujenah (le frère du réal) et les premiers rôles d'Isabelle Nanty, d'Agnès Jaoui et de Vincent Lindon, 23 ans à l'époque, qui campe l'un des insupportables collègues de Zodiak avec l'enthousiasme du comédien qui découvrira plus tard la notion de "direction d'acteur".

Après cet apéro, une étonnante ruée vers le McDonald's qui faisait face au Grand Rex (pour chercher un chizebourgeur, vu que nous sommes de grosses choses influençables), il était l'heure des quiz et de remettre nos popotins dans nos sièges, l'heure étant solennelle.

SAVULUN BATTAL GAZI GELIYOR (Natuk Baytan, 1973). En Turquie, Battal Gazi est un peu l'équivalent de Jeanne d'Arc ou de Vercingetorix en France : un héros national dont, paradoxalement, on ne sait pas grand chose avec certitudes. Il semble que le personnage était un guerrier du VIIIe siècle surnommé Abdallah al-Battal (littéralement "Abdallah le héros") en raison notamment de sa capacité hors normes à faire des trous dans les Byzantins. 

Au moins une demi-douzaine de films ont été faits en Turquie sur lui et la moitié mettent en vedette, donc, Cüneyt Arkin. Dans SAVULUN BATTAL GAZI GELIYOR (que l'on pourrait traduire par "Sauvez-vous Battal Gazi arrive !", il joue même deux rôles : un Battal Gazi vieillissant et son fils, Seyyit Battal, véritable héros du film, qui va tenter de sauver son père emprisonné par de vils chrétiens qui en ont également profité pour violer sa soeur.

Hé oui, film turc oblige, les méchants sont Byzantins et dépeints avec une vision du christianisme assez particulière (dont des idées reçues/fantasmes sur les bonnes sœurs plutôt intéressantes). De façon générale, les clichés restent assez forts, en témoigne l'équipe de choc montée par les chrétiens pour arrêter notre héros et comptant notamment un homme sauvage, un combattant chinois, un guerrier armé de ce qui ressemble à des disques de scie circulaires et un viking de toute bôôté, coiffé d'un casque semblant avoir été récupéré au Parc Asterix.

Nous l'avons vu, vous le verrez aussi

Nous l'avons vu, vous le verrez aussi

La narration va donc être un poil répétitive : Cüneyt Arkin dézinguant un à un ces antagonistes (après les avoir castrés, je rappelle qu'il venge également un viol) au cours de combats obéissant à la règle du "on se fiche que ce soit réaliste, du moment que c'est cohérent". 

Evidemment, le film est un poil fauché et le fait qu'il nous soit diffusé en version restaurée souligne encore quelques défauts supplémentaires, notamment des filins soutenant les acteurs lors des cascades. Il n'en reste pas moins que, malgré un kitsch assez présent et une vision de la chrétienté étrange pour un spectateur occidental,, SAVULUN BATTAL GHAZI GELYIOR n'est pas si désagréable que ça et c'était peut-être le meilleur choix pour rendre hommage au grand Cüneyt.

Et réjouissez-vous, le film est dispo en intégralité et en HD sur Youtube (ainsi qu'en turc non sous-titré). La scène d'intro à elle seule vaut le coup d'oeil.

D'un film restauré à un autre, il n'y eut qu'un pas (ainsi qu'un café et des biscuits, on est pas des bêtes). On reproche parfois à l'amateur de nanars de n'être juste que quelqu'un prenant du plaisir à se sentir plus intelligent que le spectacle qu'il regarde. Ce n'est pas tout à fait faux. Mais le nanardeur sait aussi que parfois l’intérêt d'un nanar va davantage résider dans  sa genèse que dans le film lui-même. Un exemple ?

 

NEW YORK NINJA (John Liu puis Kurtis Spieler, 1984 - 2021) : Au début des années 80, il y eut une mode

éphémère dans les vidéos-clubs : le film de ninjas. Évidemment, les nanardeurs connaissent les films charcutés par Godfrey Ho à Hong-Kong (il récupérait des films asiatiques puis y insérait des scènes avec des acteurs occidentaux, puis des ninjas afin de masquer le fait que les cascadeurs ne ressemblaient pas aux acteurs originaux) mais il ne fut pas le seul à vouloir s'engouffrer dans la brèche.

Parmi eux, John Liu, un artiste martial Taiwanais à qui l'on confia la réalisation d'un film dont il devait être également l'acteur principal.

De quoi parlait ce film précisément ?

Personne ne le sait plus.

En effet, la maison de production (j'ignore laquelle) fit faillite peu de temps après la fin du tournage, annulant de fait le projet. Trente-sept ans plus tard, c'est l'éditeur vidéo Vinegar Syndrome qui mit la main sur les bobines et entreprit de le sortir enfin. Il y avait toutefois plusieurs soucis, à commencer par le fait que ce film n'avait jamais été monté, qu'il n'y avait pas de son et qu'aucun acteur n'était crédité. Autre détail rigolo : pas moyen de trouver trace du scénario et les rares membres de l'équipe originale du film se souvenaient juste vaguement d'un tournage dans les années 80 mais ne savaient absolument plus de quoi il parlait (nous ne sommes même pas sûrs que NEW YORK NINJA soit le titre prévu à la base).

Alors qu'à fait Vinegar Syndrome ? Et bien ils ont essayé de monter le film en fonction de ce qu'ils pensaient être l'histoire (une légende raconte qu'ils auraient même embauché des gens pour lire sur les lèvres des acteurs, mais ce ne serait qu'une légende). Quant au son, ils ont fait composer une bande-originale et ont embauché quelques stars de séries B de l'époque pour doubler les personnages (dont Don "The Dragon" Wilson, Cynthia Rothrock ou encore Michael Berryman).

La subtilité pour Vinegar Syndrome était de respecter le film original tout en soulignant le fait que NEW YORK NINJA est... loin d'être un chef d’œuvre. Le scénario en lui-même est assez basique : un ingénieur du son ninja à ses heures perdues venge la mort de sa femme en affrontant des voyous new-yorkais, démantèle un trafic de traite des blanches puis met fin aux agissements d'un mystérieux tueur en série assassinant ses victimes au plutonium.
D'un autre côté, comme je vous le disais, le scénario est déduit et non écrit donc peut-être que certaines subtilités nous ont échappé. Mais c'est peu probable.

Ce qui marque surtout c'est l'apparent semi-amateurisme de certains acteurs (ce qui était probablement le cas : le générique de fin s'excuse d'ailleurs de ne pas pouvoir créditer la plupart des comédiens, ceux-ci étant inconnus au bataillon). Ce ne sont d'ailleurs que les scènes de cabotinage qui ont déchaîné les foules, plus curieuse qu'autre chose de voir cette véritable capsule temporelle. A l'époque, NEW YORK NINJA n'était pas sorti. On se demandait pourquoi. On a eu quelques éléments de réponse.

S'il est déjà arrivé qu'une Nuit Nanarland se termine par un film musical (que ce soit BLACK ROSES ou encore MIAMI CONNECTION qui mélait musique et ninjas), si les extraits de films Bollywood ont toujours fait partie des réjouissances, il n'était encore jamais arrivé qu'une comédie musicale termine les hostilités. Et quelle comédie musicale !

 

BIM Stars (Menahem Golan, 1980). Ah la Cannon ! Que ferions nous sans elle ? (Nous materions des bons films mais là n'est pas la question). Dans les années 80, cette maison de production, co-dirigée par les cousins Menahem Golan et Yoram Globus nous a offert pas mal de nanars de petite et de grande envergure dans sa quête pour nous amener LE film qui allait les faire décoller.

Avec BIM STARS, ils s'attaquent à la comédie musicale en nous racontant l'histoire de Didi, une chanteuse innocente du futur (1994 dans le rôle du futur) faisant de gentilles petites bluettes en duo avec son compagnon Alphie et se faisant embrigader par l'affreux Mister Boogalow. Il l'intègre alors à son groupe vedette, BIM, et lui fait littéralement signer un pacte avec le Diable en l'échange de la gloire et de la fortune.

J'aimerais vous dire que c'est plus subtil que ça mais non : la symbolique est ici assenée avec la délicatesse d'un ouragan traversant la Floride.

Jugez plutôt

D'aucuns verront dans l'histoire de nombreux parallèles avec PHANTOM OF THE PARADISE de Brian de Palma mais avec un scénario autrement plus débile. Parce que là je n'ai fait qu'effleurer l'histoire qui va rapidement dériver vers une lutte entre nos héros et un régime autoritaire encouragé par Mister Boogalow et l'emprise que le BIM a sur le public.

Vous avez bien lu : la Cannon venait d'inventer le discofascisme ! Et ce n'est pas le dernier quart d'heure (coupé à l'époque de la VF car jugé trop débile !) qui sauvera quoi que ce soit.

Quant à la musique.... et bien pour reprendre les propos de l'un de mes camarades : "Je n'ai jamais entendu de la musique de merde aussi bien produite". Et oui, des moyens il y en a dans BIM STARS mais au service d'une comédie musicale faite par des gens à qui on a seulement expliqué le concept sans leur en avoir montré. Ca s'interrompt toutes les deux minutes pour nous offrir un numéro musical mais fait par des gens qui ne savaient visiblement pas écrire autre chose que de la soupe (pour l'anecdote d'ailleurs, la Cannon avait eut l'idée, lors des premières projections, d'offrir le 33 tours de la BO... avant d'arrêter parce que les gens jetaient les disques sur l'écran !).

Ce fut d'ailleurs l'une des déceptions de la soirée : on nous avait prévu des sous-titres spécial karaoké en espérant qu'on se mettrait à chanter en choeur, ce que nous avons assez rapidement cessé de faire. Est-ce que, par contre, nous avons allumé nos portables pendant un slow à 7h du matin comme nous aurions allumé nos briquets à une époque ? Vous n'avez aucune preuve (juste une vidéo)

Ainsi se termina la 6e Nuit Nanarland. Qu'en penser ? Et bien, comme je vous le disais, ce fut une bonne édition, même si le taux de nanardise des films proposés était assez bas (ou alors c'est moi qui me blinde de plus en plus). L'ambiance était là (bon, il y a toujours deux ou trois relous qui hurlent un peu trop fort à de drôles de moments mais c'est le jeu) et on ne soulignera jamais assez le fait que le visionnage en groupe peut transfigurer un nanar un peu planplan. 

Un samedi dans l'année, je me demande ce qui me prend d'aller passer une nuit entière à regarder des films. Un dimanche dans l'année je sors du Grand Rex en ne regrettant absolument rien et en attendant impatiemment l'année prochaine. Car oui, on y perd des neurones, mais on peut y récupérer une cravate. 

Ca s'équilibre non ?

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B
Votre partage est très intéressant, je vais le sauvegarder et le montrer à mes amis.
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Ça a l'air génial, merci pour le partage de ce programme
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