La Nuit Nanarland 5
Depuis la fin de ma carrière solo et le début de mon aventure chez Podsac, le Brocoli était surtout devenu pour moi le moyen d'y poster les articles de correspondant pas à la ligne éditoriale de ma nouvelle demeure. J'y parlais essentiellement du PIFFF et de la Nuit Nanarland, deux manifestations annulées l'année dernière suite à un connard de virus, comme disait le poète.
Mais voilà que les masques, les vaccins et le pass de la libertay ont modifié la donne et que la fameuse Nuit Nanarland 5 que l'on espérait depuis depuis maintenant deux ans a enfin eut lieu. J'ai pu retourner au Grand Rex et j'ai pu voir des horreurs sur grand écran en toute connaissance de cause.
Plus que tout, j'ai pu revoir des gens que je n'avais pas vu depuis longtemps et, pour paraphraser quelqu'un qui se reconnaîtra : dans la vie il y a famille que l'on a et la famille que l'on choisis et revoir celle constituée par mes camarades nanardeurs m'a fait, au-delà même de plaisir, un bien fou.
Cette Nuit Nanarland était également particulière car elle célébrait les 20 ans du site nanarland.com (et quand je pense avoir assisté à ses 10 ans à la Cinémathèque, je me sens un peu vieux là). Aussi, nous avons eu droit à des valeurs sûres cette année, une excellente édition pour accueillir dans la secte les quelques nouveaux arrivants tentés par l'expérience (dont mes camarades du podcast La Bobine Hurlante que je salue au passage).
Si quelques incontournables étaient bien là, comme la fameuse séquence d'ouverture dite des "pieds dans la gueule" (et ça faisait quelque chose de la réentendre dans ces circonstances), ainsi que le discours d'introduction de Jean-François "Dieu" Rauger venu nous rappeler que "ça pour voir des conneries, il y a du monde", il y eut quelques ruptures avec le monde d'avant.
Première liberté avec la tradition, il n'est pas arrivé sur scène avec l'une de ses traditionnelles cravates, artefacts qu'il jetait traditionnellement au public. Autre rumeur bruissant avant le début de la séance : plus de bandes-annonces porno à 7h du matin, le Grand Rex désirant éviter les ennuis si un mineur traînait dans la salle.
Ce n'est pas pour autant que nous n'avons pas eu notre quota de gens tout nus. Suite à quelques bande-annonces et quelques best-of de cuts diffusés lors des premières éditions, il était l'heure du film d'ouverture, j'ai nommé :
PIÈGE MORTEL A HAWAÏ (Andy Sidaris, 1987) : Si Andy Sidaris commença sa carrière en tant que réalisateur, ce fut comme réalisateur de télévision qu'il débuta caméra à la main. Sa spécialité, c'était notamment les retransmissions sportives, où il avait le chic, quand rien ne se passait sur le terrain, pour faire des gros plans sur les spectatrices un tant soit peu mignonnes. Il se lança ensuite dans le cinéma, se spécialisant dans les thrillers d'action et utilisant la même recettes que lorsqu'il filmait du foot US.
Comprenez par là qu'Andy Sidaris aimait travailler avec des actrices principales essentiellement recrutées dans des agences de mannequin et chez les modèles de Playboy.
De façon générale, dans les Andy Sidaris tout le monde est beau et peu frileux, le fait que l'action s'y déroule dans des décors paradisiaques ne faisant qu'entériner la chose.
Ici, l'histoire tient sur un ticket de métro : Dona et Taryn sont deux pilotes d'avion de tourisme travaillant en réalité pour la DEA. Au cours d'un vol de routine, elles tombent sur un hélicoptère radiocommandé contenant des diamants, diamants sensés être le paiement de la cargaison d'un trafiquant de drogue local. Et comme un imprévu n'arrive jamais seul, elles laissent également s'échapper une partie de leur cargaison à elle : un serpent en caoutchouc contaminé et sérieusement vénère qui va finir par devenir l'une des stars de la soirée.
Cette histoire de diamants est surtout un prétexte pour mettre nos héroïnes et leurs amis de la DEA aux prises avec de méchants criminels et un prétexte à quelques scènes d'anthologie. L'une des plus belles est notamment cette attaque au skateboard et à la poupée gonflable qu'il faut voir pour croire :
Vous noterez le magnifique "I've been better but I live" de la part d'un personnage ayant pris une balle dans le coeur.
Bien qu'il s'agisse d'un classique, je n'avais jamais vu ce film, qui est pourtant présenté par beaucoup comme un excellent nanar d'initiation. Et il l'est : le rythme est soutenu, les personnages caricaturaux comme il faut, la propension de l'ensemble du casting féminin à finir seins à l'air en devient fascinante... il y a même un craignos monster (ce serpent boudiou, ce serpent !) que demande le peuple ? Mais plus que tout, il est porté par l'absence totale de complexes d'Andy Sidaris, un réalisateur qui n'avait peur de rien et qu'on aimait pour ça !
D'un classique à un autre, d'une absence totale de complexe à une autre, le second film allait enfin rendre hommage à l'une des figures emblématiques du nanar. A peine la première pause ravitaillement faite, l'heure était venue de comprendre pourquoi on avait pris des forces.
Car pour la première fois, dans la plus grande salle de cinéma d'Europe, Nanarland allait être fière de nous offrir...
EN BÛYÜK YUMRUK (Cetin Inanç, 1983) : Le cinéma d'exploitation turc des années 70-80 reste encore aujourd'hui une référence en matière de nanardise. Pour faire court : à cette époque le gouvernement turc avait interdit les films étrangers sur son territoire, amenant donc les cinéastes locaux à fournir au public leur dose de sensations fortes avec les moyens du bord. Parmi eux, Cetin Inanç, auteur de près de 120 longs-métrages entre 1967 et 1986. S'ils parvenait à tourner une demi-douzaine de films par an c'est notamment parce qu'il avait pour habitude de ne pas tourner les scènes les plus compliquées et de les piquer dans ces fameux films étrangers, interdits officiellement mais circulant sous le manteau. Ensuite, il savait s'entourer d'une troupe d'acteurs fidèles, qui fonctionnait littéralement comme une troupe de théâtre : la plupart de ses films ayant les mêmes acteurs principaux.
Et parmi eux se trouve l'une des stars de Nanarland : Cüneyt Arkin (ici également scénariste et producteur), un acteur encore très connu et apprécié en Turquie de nos jours et surnommé par chez nous "Le Alain Delon du Bosphore" pour des raisons de ressemblance physique (et d'aura) assez évidentes. Si, parmi les près de 330 œuvres de sa filmographie (il a aujourd'hui 84 ans et tourne encore occasionnellement), peu sont réellement des nanars mais il a toutefois été la vedette de certaines des plus belles perles whatthefuckesques de l'histoire du 7e art.
Ici, il joue Murat, dit "En Büyük Yumruk Murat", ce que l'on peut traduire par "Murat le Grand Poing", un homme qui, de son propre aveu, "aime avoir des ennuis". Là, par exemple, il a entrepris, avec l'aide d'un ami policier, de démanteler le réseau d'un trafiquant de drogue qui se trouve être un ancien ami d'enfance, pendant qu'un second malfrat le recherche, pour se venger d'avoir passé deux ans en prison à cause de lui. Murat est également aidé, contre son gré, par une journaliste aussi bagarreuse que lui à qui il répétera à longueur de film que le combat n'est pas une affaire de femmes.
Doté d'un scénario assez répétitif : les scènes de courses-poursuites succèdent aux scènes de picole puis de bagarre, ponctuée par un Cüneyt Arkin exhortant pour la énième fois la journaliste à retourner à ses casseroles, EN BUYUK YUMRUK n'en est pas moins une heure et quart de divertissement non dilué où le spectateur moderne s'amusera, en plus, à repérer les "emprunts" fait à d'autres œuvres sans aucun respect du copyright. Et je ne parle pas que de l’ersatz de Requin qui joue le bras droit du méchant : nous avons pas moins de trois courses-poursuites piquées à des James Bond (RIEN QUE POUR VOS YEUX, L'ESPION QUI M'AIMAIT et GOLDFINGER), la musique récupérée ça et là ainsi qu'une scène de fusillade tirée de FRENCH CONNECTION qui permit même à l'Imdb de créditer Gene Hackman au générique.
Trouver une version, non de bonne qualité mais juste diffusable, ne fut pas chose aisée et nous fûmes informés que la copie projetée provenait d'une diffusion pour la télé turque, amputée de quelques passages qui risquaient de poser problèmes niveau droits d'auteur. Qu'à cela ne tienne, un monteur de talent la compléta avec les scènes manquante, provenant d'un DivX dont la watermark subsistait encore. A noter également l'apport d'une bienfaitrice bilingue de la cause qui nous fournit des sous-titres français exprès pour l'occasion.
Cok teşekkürler à elle !
Et je ne résiste pas au plaisir de vous partager la bande-annonce d'époque, qui est un excellent condensé de ce à quoi se résume le film.
On en est déjà à la moitié, l'heure à laquelle le nanardeur expérimenté sait qu'il va falloir lutter contre son corps, qui lui enjoint de dormir. C'est l'affaire de quelques minutes, le temps que le corps comprenne que ce n'est pas lui qui fera la loi ce soir-là.
L'exercice fut un peu compliqué cette année par le fait que le troisième film avait déjà été projeté lors de la 7e Nuit Excentrique en mars 2011. C'était il y a déjà plus de dix ans mais le souvenir de cette œuvre restait vivace dans les esprits de ceux qui l'avaient alors vu dans la salle Henri Langlois. Car ce film, messieurs-dames, enrichi d'une bobine inédite retrouvée dans les caves de la Cinémathèque, n'hésitait pas à déranger la bien-pensance et les idées préconçues, il démontait les clichés un à un, il exposait enfin les vices de cette Babylone des temps modernes qu'est.... LA SUÈDE !
SUÈDE, ENFER ET PARADIS (Luigi Scattini, 1968) : Avant d'entrer dans le vif du sujet, laissez-moi vous parler du mondo. En 1962, un trio d'italiens, Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi et Paolo Cavara, sortent un documentaire intitulé MONDO CANE ("Cette chienne de vie en" en VF). Il s'agit d'un film assez racoleur sur les pratiques les plus étranges et déviantes de notre monde, dont on nous assure dès le début que tout, absolument tout y est vrai. Il remporte un certain succès et, c'est là que ça devient intéressant, donne lieu à tout un tas de copies, de films documentaires de plus en plus putassiers et de plus en plus mis en scène, donnant naissance à un genre appelé, donc "mondo".
SUEDE, ENFER ET PARADIS est de ceux-là. A la fin des années 60 (et c'est encore le cas aujourd'hui), le modèle social scandinave intrigue : il se veut plus permissif, plus ouvert et repose énormément sur une discipline que nous, latins, n'avons qu'en petite quantité. C'est d'ailleurs l'objet de l'avant propos du film : gardez bien à l'esprit que la Suède, pays nordique et protestant, est vu ici avec l’œil d'un Italien catholique qui essaiera tant bien que mal, de garder un regard neutre et ne pas juger le comportement de ces dégénérés.
Car oui, ce film va accumuler tous les poncifs sur la Suède, la présentant comme un pays où le sexe y est omniprésent et le point central de la plupart des conversations, un pays où la loi est tellement permissive qu'elle se retourne parfois contre la victime, où les expériences sociales sont légion et où l'alcoolisme est un fléau tel qu'il pousse certains suédois à arriver à des extrémités bien étranges pour assouvir leur addiction. Bien évidemment, nous avons une inévitable scène de sauna suivie d'une séquence montrant une douzaine de suédoise s'ébrouant nues dans la neige parce que... parce que cela fait partie des traditions, vous deviez le savoir le film devait le montrer au spectateur, heureusement qu'il était là pour vous informer !
Le spectateur moderne ne pourra que s'amuser de l’attitude outrée du narrateur lorsqu'il présente comme scandaleuse une société où les adolescents ont des cours d'éducation sexuelle et où, quelle horreur, les femmes ont accès facilement à la contraception. Là où il devient irrésistible c'est lorsque l'on sait qui est le narrateur.
En effet, il s'agit de Jean Topart, sociétaire du TNP, célèbre comédien de doublage de l'époque (il fut notamment la voix française d'Henry Fonda sur certains films) et propriétaire de l'une des plus belles voix du cinéma. Et c'est cette voix qui va, pendant tout le film, nous sortir les commentaires les plus outranciers avec un sérieux et un calme absolument délicieux, nous offrant un florilège de répliques d'une condescendance qui n'aura dégale que leur cruauté. Le tout déboulant sur une séquence finale totalement lunaire nous révélant qu'il peut venir de Suède des choses bien plus dangereuses que Zlatan Ibrahimovic.
Bon, je n'ai trouvé que le trailer en anglais mais il vous donne une bonne idée de l'ambiance générale.
Maintenant que vous voilà éduqués, vous avez bien mérité un truc plus léger non ? Et bien ça tombe bien puisqu'un autre monument de Nanarland vient clôturer la soirée : le recordman des apparitions lors de ces soirées, Monsieur Bruno Mattei. Après LES RATS DE MANHATTAN, VIRUS CANNIBALE, ZOMBI 3, voici venir :
STRIKE COMMANDO (Bruno Mattei, 1986) : Sous le pseudonyme de Vincent Dawn, Bruno Mattei passa une bonne partie de sa carrière à reproduire, avec un talent relatif, les blockbusters d'action ou d'horreur en tablant sur la confusion pour gagner suffisamment de sous pour en réaliser un autre. Le résultat donne des films qui, comme dirait l'autre, "aimeraient bien avoir l'air mais n'ont pas l'air du tout".
Alors, qu'est-ce STRIKE COMMANDO, si ce n'est un vague clone de Rambo II tourné aux Philippines avec un casting de seconds couteaux, dont Reb Brown, un habitué de Nanarland lui aussi, qui tenta de percer en jouant Captain America dans les années 70 avant d'attendre, en vain, que sa carrière ne décolle. Ici, il ne joue pas John Rambo mais Mike Ransom (vous voyez ? rien à voir). Envoyé en mission au Vietnam, il survit avec l'aide de villageois locaux après que l'opération ait été sabotée par ces foutus technocrates de Washington. Lorsqu'il revient sur le terrain c'est pour s'apercevoir que les villageois qui l'avaient aidé ont été massacrés par des soldats russes venus aider secrètement le Vietcong. Ransom n'a alors plus que deux buts en tête : venger ses amis et prouver à la face du Monde que l'URSS a bel et bien attaqué les Etats-Unis.
Et par là même déclencher une Troisième Guerre Mondiale mais on a rien sans rien.
Cinq heures du matin oblige, j'en ai laissé échapper des morceaux. Heureusement le scénario ne regorge pas de subtilités : en gros, si Mike Ransom tire dessus c'est un méchant, s'il ne tire pas dessus c'est un gentil. La seule vraie subtilité c'est que des fois il tire sans qu'on sache pourquoi, en témoigne cette scène totalement hallucinante où Ransom, ayant trouvé le village où se planquent ses ennemis va littéralement y vider ses chargeurs. Pas sur ses ennemis : sur le village. Littéralement. Sur. Le. Décor. Encore aujourd'hui, des armées de cinéphiles déviants se demandent comment quelqu'un a pu avoir cette idée, ne pas l'avoir trouvée débile, l'avoir tournée et l'avoir intégrée au métrage final.
Et ce n'est pas un final aux airs de symphonie pour grenades et lances-roquettes qui va élever le débat, encore moins le monologue de fin nous rappelant que toute ressemblance avec des personnages réels ou fictifs ne serait que purement fortuite. Ou pas.
Pour l'anecdote, deux ans plus tard, Bruno Mattei réalisa un STRIKE COMMANDO II avec Richard Harris (oui, LE Richard Harris) et un certain Brent Huff dans le rôle de Michael Ransom, preuve que le premier avait du avoir suffisamment de succès dans les vidéos clubs pour être rentable.
Si vous avez l'impression qu'une réplique sur deux du film est "BEUUUUARGH !"... ce n'est pas une impression.
Et puis ce fut la fin. La lumière se ralluma, la sono du Grand Rex entonna une dernière fois "Friends" de Dragon Sound, extrait de MIAMI CONNECTION et devenu depuis quelques années une sorte d'hymne de ralliement des nanardeurs. Quittant nos sièges, salués par un carton nous promettant une Nuit Nanarland 6 le 1er octobre 2022 (mais bon, la dernière fois qu'on nous a fait le coup ça s'est mal terminé), nous sortîmes au grand air, salués par les derniers rayons de la Lune.
S'ensuivait alors ce moment assez spécial où nous remontons les Grands Boulevards en quête d'un café et d'un croissant tout en slalomant entre les noctambules rentrant de soirée avec plus d'alcool que de sang dans les veines.
Alors que dire de cette Nuit Nanarland 5 si ce n'est qu'elle fut moins marquée par la volonté de prendre des risques que celle de se faire plaisir, de ressortir des cartons des films et des cuts qui nous avaient marqués, histoire de se rappeler pourquoi les mauvais films sympathiques peuvent être fascinants. Plus que tout, c'était l'occasion de se retrouver tous autour d'une passion commune, entre gens qui en avaient marre de ressasser les souvenirs et en voulaient des nouveaux.
Oui un an d'attente ce sera long mais au fond de nous restait une constatation : la 5e Nuit Nanarland a eu lieu. Nous savions tous ce que cela signifiait.