Fais gaffe à la gaffe!
M'enfin !
C'était il y a environ vingt ans, pendant un après-midi du mois d'août. La maison familiale où je passait mes vacances était écrasée de chaleur, partout les rideaux étaient tirés et, à l'exception de votre serviteur, tout le monde faisait la sieste. Seuls le tic-tac de l'horloge bi-centenaire de la cuisine et le cri-cri des cigales à l'extérieur indiquaient que le temps ne s'était pas figé.
C'est ce jour là que je fis sa rencontre. Bravant les interdits de mes aînés, je pris la décision de monter dans le grenier. Comme le disait Rabelais "pour rendre une chose désirable, il suffit de l'interdire"; je ne connaissais pas Rabelais mais je savais déjà que braver les interdits était quelque-chose qui pouvait être grisant. Voilà comment je me suis retrouvé, petit bonhomme de cinq ans, dans le grenier à foin, à ouvrir un à un des placards qui ne contenaient rien d'autre que des outils ou des affaires de plage. Et puis vint le moment où j'ouvris un placard dont le contenu était différent des autres, c'était un placard rempli de bouquins. C'est là qu'il était, posé sur l'étagère du milieu, entre de vieux numéros de "Géo" que personne ne lirait et un puzzle de 1000 pièces que personne ne finirait jamais. Il m'attendait avec son vieux pull vert informe, ses yeux lui donnant l'impression d'être constamment sur le point de s'endormir et ses espadrilles bleu électrique.
Je ne savais pas encore lire mais j'appris assez rapidement qu'il s'appelait Gaston, que c'était un peu comme "Tintin" mais avec Tintin en moins et que d'ailleurs, quitte à lire des illustrés, je ferais bien de me contenter de lire "Tintin" ou "Lucky Luke", qui, eux, me donnaient le bon exemple. En apprenant à lire (je me plaît même à dire que j'ai appris à lire pour pour pouvoir lire des bandes-dessinées tout seul), j'ai assez vite compris ce que le personnage de Gaston était aux antipodes des héros sur lesquels on me demandait de calquer mon comportement. Gaston était mou, Gaston était bête, Gaston était paresseux, mais Gaston était aussi débrouillard et bricoleur. En gros: il m'était sympathique.
Je n'ai jamais cessé de lire Gaston Lagaffe, ce qui ne m'a jamais empêché de lire des livres sérieux, je vous rassure, mais j'ai toujours gardé en moi un goût certain pour la bande-dessinée et je n'ouvre jamais un album de Gaston sans entendre dans un coin de ma tête un adulte me dire "Ne lis pas ces trucs là, voyons, tu va finir par faire des bêtises!".
C'est au détour de l'une de mes lectures, en l'occurrence "Et Franquin créa Lagaffe" de Numa Sadoul, que j'appris l'existence d'une chose que je pensait exister que dans mes rêves les plus fous.
L'existence d'une adaptation cinématographique de Gaston.
A l"émerveillement succéda rapidement le désenchantement: pas moyen de trouver cette oeuvre en DVD, à la limite en VHS mais pour des prix astronomiques (je n'ai rien contre la conservation des oeuvres cinématographiques, mais payer 100€ pour une cassette n'est pas dans mes habitudes). Il a fallu que l'attende une diffusion à la télévision pour pouvoir enfin mettre fin a une quête qui avait duré de longues années, j'ai pu voir la bête.....
Et, dans un sens, on va dire que cela valait le coup d'oeil.
"Fais Gaffe à la Gaffe" est la première réalisation d'un réalisateur de 20 ans, Paul Boujenah, dont on ne peut que soupçonner le fait qu'il ait mis ses talents à la réalisation d'un rêve de gosse. N'ayant pas l'autorisation d'utiliser la bande-dessinée, il alla voir lui-même André Franquin pour lui demander s'il pouvait donner vie au héros-sans-emploi.
Franquin, doutant du fait qu'une bande-dessinée découpée en gags d'une planche ou deux puisse donner quelque-chose de convainquant au cinéma, ne put pourtant se résoudre à dire à ce jeune homme qu'il ne voulait pas voir son personnage dans un navet en devenir.
Devant l'"enthousiasme" de son interlocuteur, il coupa la poire en deux: oui à l'adaptation des gags mais pas des personnages, espérant, peut-être que personne ne ferait le rapprochement entre les protagonistes du film et ceux de la bande-dessinée.
Las, les scénaristes ont bien évidemment tout fait pour rappeler les personnages de la BD, seuls les noms ont changé. C'est ainsi que Gaston devient "G", Mademoiselle Jeanne "Pénelope", Prunelle devient "Prunus", Monsieur de Mesmaeker devient "Mercantilos" (et il est devenu grec par-dessus le marché, et tant pis si son nom vient d'une racine latine) et Monsieur Dupuis devient "Monsieur Dumoulin".
Résultat des courses, avant même sa sortie personne n'était dupe et "Fais gaffe à la gaffe" fut présenté dans les journaux comme l'adaptation ciné de "Gaston". Tout doute était même levé lorsque l'on fit la connaissance de celui qui était chargé de jouer l'anti-héros le plus célèbre du 9e art, Roger Mirmont qui est à Gaston Lagaffe ce que Jean-Pierre Talbot était à Tintin, un sosie parfait.
Malheureusement, on ne peut pas dire que sa prestation soit à la hauteur de la ressemblance. J'ignore si son but était de jouer un être lunaire perdu dans un monde qui n'était pas le sien, quoi qu'il en soit il donne l'impression d'être mal à l'aise, comme flottant dans un costume qu'il trouve trop grand pour lui. A sa décharge, il semble prendre de l'assurance au fur et à mesure des scènes et parvient à donner un peu de relief à des dialogues pourtant peu folichons.
Malgré cela, ce n'est pas Roger Mirmont l'attraction principale de ce film ni même Marie-Anne Chazel qui, sans être inoubiable en Mademoiselle Jeanne, se débrouille pas trop mal. Non, la vraie attraction du film, c'est Daniel Prévost qui joue un Prunelle encore plus exubérant que l'original!
Pour les lecteurs les plus jeunes, sachez que Daniel Prévost n'est pas que ce monsieur qui prête sa voix aux pubs pour les magasins U, ce n'est pas non plus que ce présentateur facétieux qui rendit célèbre la ville de Montcuq dans un reportage que l'on passe trois fois par ans à la télévision. Féru de poésie, passionné de philosophie au point d'avoir appelé son fils Sören en hommage au philosophe danois Sôren Kierkegaard, Daniel Prévost se rendit également célèbre pour ses appartitions dans diverses comédies des années 70 et du début des années 80, où il jouait les lèches-bottes hypocrites avec un talent rarement égalé. Sa meilleure performance dans ce domaine reste son interprétation du rôle de Sylvestre Ringeard dans "Tout le Monde il est beau tout le monde il est gentils" de Jean Yanne.
Daniel Prévost ne joue pas toujours en retenue et lorsqu'il cabotine, il le fait sans demi-mesures. Imaginez donc un Daniel Prévost cabotin à qui on a demandé de jouer un personnage de bande dessinée. Si votre vision ressemble à un yorshire sous acides, vous avez une idée de sa prestation ici.
Doté d'une équipe qui sait ce qu'elle fait, d'acteurs qui connaissent leur métier et bénéficiant a priori de l'indulgence du public tant l'exercice semble compliqué, "Fais gaffe à la gaffe" pêche néanmoins par certains endroit. Il est d'ailleurs un détail, minuscule, qui gâche un peu le plaisir.
C'est que, hormis Daniel Prévost, on ne peut pas forcément dire que ce film soit drôle, ce qui, pour une comédie, fait un peu désordre. Vous vous rappelez que Franquin avait autorisé Paul Boujenah à adapter les gags? Et bien si l'on retrouve bien dans les film des gags de la BD (le monorail, la machine à cirer les chaussure, les contrats que personne n'arrive jamais à signer.....) force est de constater qu'un gag qui passe bien dans une BD passe très mal au cinéma, s'en est même à se demander si faire ce film était bien utile.
Ajoutons à cela que ces gags sont englués dans un scénario-maison qui n'est pas transcendant, jugez plutôt :
Employé dans un magasin "Meuble 7", G, sorte de Grand Duduche trimballant constamment une malle d'où il sort tout un tas d'invention loufoques, comme la première Mary Poppins venue, se fait remarquer par des initiatives malheureuses, la dernière en date: il a bricolé le système d'ouverture automatique des portes qui se referment intempestivement sur les clients, donnant lieu à quelques gags désopilants (ou sensés l'être). Viré sur le champ, G retrouve assez rapidement du travail de façon pour le moins inhabituelle. Farfouillant à la recherche de quelque-chose dans sa boîte à gants, il emboutit l'arrière de la Rolls du célèbre éditeur Dumoulin. G n'ayant pas d'assurance, Dumoulin non seulement l'engage pour qu'il le rembourse mais va jusqu'à présenter comme son protégé un type qu'il ne connaissait pas dix minutes avant et qui n'a pour seul fait d'arme que de lui avoir détruit son pare-chocs.
Dumoulin, toutefois, quand il n'embauche pas de parfaits inconnus littéralement récupérés sur le trottoir, a pas mal de travail, le principal en ce moment étant l'acquisition des droits d'adaptation en français des oeuvres de l'écrivain américain Joey McMac. En attendant, Prunus doit finaliser la signature d'un contrat entre les éditions Dumoulin et l'homme d'affaire grec Mercantilos qui accepte de racheter tout leur stock d'invendus.
Pourquoi prends-je du temps à préciser cela? Parce que, ô blasphème! nous savons en quoi consistent ces fameux contrats, ceux-là même que Monsieur de Mesmaeker venait signer à longueur d'album et dont une partie du charme venait du fait que jamais il n'était fait mention de leur contenu. Autre "blasphème", l'irascible homme d'affaire belge qui déteste Gaston devient un brave homme d'affaire hellène qui semble pour le moins apprécier G et ses inventions bizarres.
Suite de saynètes peu réussies, où quelques gags de la BD surnagent au milieu d'effets cartoonesques, d'intermèdes musicaux et de blagues que n'auraient pas renié en leur temps les emballages de carambars, "Fais gaffe à la gaffe" est pourtant de ces films ratés desquels j'aurais quelques difficultés à dire du mal.
Tout d'abord parce qu'à part un humour bas-de-gamme, il n'y a rien d'indigne dans ce film, pas d'acteur ne sachant pas jouer, pas de réalisateur ne sachant pas réaliser ni autre chose qui puisse faire pousser de quelconques cris d'orfraies. Ce serait le cas si Gaston Lagaffe avait été une bande-dessinée qui se prêtait facilement à une adaptation mais comment voulez-vous dénigrer une entreprise dès le départ vouée à l'échec?
Plus important, je ne dirait pas de mal de "Fais gaffe à la gaffe" car ce film est un coup de folie et ces coups de folie sont la matière dans laquelle fut taillée la postérité du cinéma. Le cinéma a le pouvoir de rendre vrai le faux, de rendre vraisemblable l'invraisemblable, de donner corps aux rêves les plus fous. Je le répète encore une fois, ce film est l'exemple même du rêve de gosse devenu réalité et vous savez pourquoi je vous l'affirme avec autant de conviction? Parce quand je l'étais, gosse, j'avais le même rêve que Paul Boujenah et je ne peux qu'avoir le plus grand des respects pour quelqu'un qui est allé au bout de ce qu'il voulait faire et dont l'audace n'a pas donné naissance à un bon film mais à une de ces curiosités cinématographiques qui font le régal de quelques cinéphages
Fiche technique:
Réalisateur: Paul Boujenah
Année: 1980
Pays: France
Durée: 1h 20
Genre: Fais gaffe aux dégâts quand fonce un gars gonflé.
Lien interressant: Le site lagaffemegate.free.fr qui est une mine d'informations sur Gaston Lagaffe. La section consacrée à "Fais Gaffe à la Gaffe" est LA page que vous devez lire si vous voulez en savoir plus sur ce film.