Le tombeau d'Alexandre le Grand

Publié le par Antohn

 

 

« Mon fils, cherches-toi un autre royaume,

car celui que je te laisses est trop petit pour toi »

(Philippe II de Macédoine)

 

Certaines zones d'ombres de l'Histoire du Monde ont le don, assez discutable, de m'obséder. Les énigmes historiques ne manquent pas pourtant et je me désespère de ne jamais avoir un jour les clés de certaines d'entre elles.

Qui était Jack l'Éventreur? Qui est enterré dans la tombe KV55? A quoi correspondaient les Moaïs de l'île de Pâques? Et les dessins de Nazca? D'où venaient les momies du Tarim? Qu'est-ce que c'est quecette histoire de crânes de cristal? Et de Sainte Lance?

Et puis en passant par là, où est le tombeau d'Alexandre le Grand?

 

C'est la lecture d'un livre, écrit par un certain Valerio Manfredi, professeur d'archéologie à Venise (il y a des métiers de rêve comme çà...) qui m'a amené à remettre, cette semaine, ma casquette d'historien. L'idée n'est évidemment pas de donner les coordonnées GPS de l'endroit où est enterré le roi de Macédoine mais de faire le point sur ce que nous savons de cette histoire et ce livre est une synthèse indispensable pour quiconque s'intéresse au sujet.

 

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(source: editions J.C. Lattès)

 

Les zones d'ombres entourant l'histoire d'Alexandre sont nombreuses. Fils de Philippe II de Macédoine il est couronné roi à vingt ans après l'assassinat de son père dans des circonstances troubles. Je dit trouble car une bonne partie de la Grèce avait des raisons d'assassiner le roi de Macédoine; visiblement, le coupable était l'un de ses officiers dont le bras aurait été armé par Olympias, la propre femme du monarque et mère d'Alexandre; l'hypothèse vaut ce qu'elle vaut mais il n'est pas totalement exclu qu'Alexandre lui-même ait participé de façon active au meurtre (on sait qu'il n'était pas loin au moment des faits. Bizarrement, les assassins de Philippe n'ont pas jugé bon de tuer celui qui était sensé lui succéder).

 

Philippe de Macédoine avait entrepris de grandes conquêtes, son fils les continua, soumettant entre autre le Moyen-Orient et l'Égypte avant de s'arrêter sur les bords de l'Indus, où seuls l'épuisement et la lassitude de ses soldats lui firent rebrousser chemin.

En passant par là, l'histoire de son accession sur le trône d'Égypte est assez insolite: en 343 av. J.C., le dernier pharaon d'Égypte, Nectanebo II, avait été vaincu par les Perses et avait disparu (on ne sait pas ce qu'il est devenu, même si l'hypothèse du coup de poignard entre les omoplates tient furieusement la côte). Lorsqu'il arriva en Égypte, en 331 av J.C., Alexandre tenait d'abord à combattre les Perses et les prêtres d'Amon virent en lui celui qui pouvait les débarrasser d'un occupant un peu trop envahissant. Il fallait donc faire de lui l'héritier légitime du trône d'Égypte et c'est ainsi que des prêtres d'Amon eurent une vision dans le sanctuaire de Siouah (ou Siwa) et déclarèrent qu'Amon leur était apparu et avait déclaré que le prince macédonien était son fils, condition préalable pour briguer le poste de pharaon de Haute et Basse Égypte.

 

Oase Siwa

Vue paronamique de l'Oasis de Siouah.

 

C'est pourtant à Babylone, et non en Égypte, qu'il s'éteint, le 13 juin 323 avant J.C. …ou quelques jours après. Selon l'historiographie, son corps serait resté intact pendant plusieurs jours après sa mort tandis que ses généraux se disputaient son empire, « miracle » qui n'est pas sans rappeler la non putréfaction des corps de certains saints dans le martyrologe chrétien (de façon plus terre à terre, il est fort probable qu'Alexandre le Grand soit tombé dans un coma profond qui fut pris à tort pour un décès).

Il n'avait alors que 33 ans, un âge où même Jules César n'avait rien accompli. Celui qui avait si souvent risqué sa vie sur les champs de bataille mourut dans son lit et de façon assez bécasse.

 

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Alexandre le Grand lors de la bataille d'Issos (détail)

 

Contrairement à César, qui avait eu la délicatesse de se faire assassiner en plein milieu du Sénat par quarante personnes, Alexandre est mort dans son lit d'une maladie mal définie qui laissa la porte ouverte à tous les racontars.

On m'avait longtemps parlé de la malaria, également appelée « paludisme » mais, il est vrai qu'en y réfléchissant, cela paraissait étrange. La malaria est due à une piqûre de moustique et il serait étrange qu'il ait été le seul a avoir été contaminé. Une autre hypothèse aurait voulu qu'il ait été empoisonné, tout d'abord parce que nous avons toujours du mal à penser qu'un grand homme puisse mourir jeune de mort naturelle (regardez, par exemple, le nombre de gens qui refusent de croire à la mort de Michael Jackson) mais également parce que les premiers symptômes du mal qui l'emporta se manifestèrent après avoir vidé « la coupe d'Héraclès ».

 

Kézako? C'est simple: selon ses biographes, une dizaine de jours avant sa mort, Alexandre avait « festoyé à l'excès », une façon de dire qu'il avait bouffé comme un chancre (comme le disait mon grand-père). Alors qu'il allait se coucher, gavé comme une oie et saoul comme une barrique, quelqu'un vint le voir pour le convier... à une autre fête.

Tout être normalement constitué aurait, poliment, refusé l'offre, expliquant au messager qu'il ne ferait pas un agréable convive vu son état mais Alexandre le Grand était de ces Hommes qui, comme le disait George Moustaki,estimaient que nous avions toute la vie pour nous amuser et que nous avons toute la mort pour nous reposer.... et toute la mort, ca allait être plus rapide que prévu pour ce pauvre homme; il accepta.

 

The Macedonian phalanx counter-attacks during the battle of

La phalange macédonienne en marche. L'armée d'Alexandre tirait sa force d'une formation resserrée ainsi que d'une lance de neuf mètres, la sarissa, très éfficace pour briser les élans de cavalerie.

 

Au cours de la beuverie (oui, je disait « une fête »... disons qu'elle a rapidement dégénéré), quelqu'un lança un défi à Alexandre, lui proposant de boire le contenu d'une coupe gigantesque, appelée pour cette raison « coupe d'Héraclès ». Alexandre avait affronté des Perses, ce n'était pas un tas d'argile qui allait lui faire peur, fut-il rempli de vin. Il releva le défi mais fut interrompu par une très violente douleur au côté « comme s'il avait reçu un coup de lance dans le flanc ». A première vue, il est vrai que cela peut paraître suspect: assurément quelqu'un avait mis quelque-chose de très mauvais pour la santé (voire même carrément mortel) dans le vin en sachant pertinemment que l'autre débauché allait la vider cette coupe.

En réalité il est plus probable qu'Alexandre se soit empoisonné lui-même et soit mort de trop manger (ne pouvant suivre le rythme, le pancréas s'est désagrégé, même aujourd'hui, cela peut être mortel). Le livre, en se basant sur les registres du palais, nous fait d'ailleurs un récit détaillé des dix derniers jours du monarque avec une précision qui permit à des médecins modernes d'établir leur diagnostic.

 

Une fois le maître du Monde mort, il fallait lui faire des funérailles grandioses et lui édifier un tombeau monumental. C'est probablement pour cela que, selon toutes les sources, Alexandre fut momifié et non incinéré comme le voulait la tradition macédonienne, vu le temps qu'il allait falloir pour organiser les funérailles.

On s'accorda à dire qu'il devait être enterré en Macédoine, là où ses ancêtres (et son père) reposaient et sa dépouille fut, selon Diodore de Sicile, placée dans un sarcophage en or placé sur un char en bois aux allures de temple roulant et tiré par une cinquantaine de mulets. La description est peut-être exagérée (vu l'état des routes à l'époque, il faudrait m'expliquer comment manœuvrer un véhicule nécessitant cinquante mulets pour le mouvoir) mais témoigne assez bien de la magnificence du dernier hommage rendu au conquérant.

 

Mid-nineteenth century reconstruction of Alexander's catafa

Reconstitution moderne du chariot funèbre d'Alexandre le Grand, suivant la description de Diodore de Sicile.

 

Même mort, Alexandre le Grand avait un grand ascendant sur le peuple et ses généraux, qui s'étaient partagé l'empire, le savaient trop bien. Alors que la dépouille d'Alexandre voyageait vers son pays natal, il semble que Ptolémée, qui s'était approprié l'Égypte, s'était emparé de la momie de son ancien compagnon d'armes. L'Histoire ne dit pas si ce fut par ruse ou par force, quoi qu'il en soit nous savons que ce fut à Alexandrie, ville fondée par Alexandre, que son tombeau fut érigé.

Le but de Ptolémée était simple: il savait que les Égyptiens supportaient assez mal le fait d'être dirigés par un homme qui n'était pas de chez eux et il fallait à Ptolémée une preuve qu'il tirait sa légitimité du fils d'Amon lui-même.

 

Telle une relique pré-chrétienne, la momie d'Alexandre le Grand fut pendant des siècles un objet de convoitise. On raconte que César, puis Auguste se rendirent à Alexandrie pour lui rendre hommage, que tous les empereurs de Rome soucieux de gloire militaire les ont imités, Commode ayant même fait enlever la cuirasse du conquérant qui y était exposée pour s'en revêtir.

 

Paradoxalement, nous avons peu de descriptions du monument, à peine sait-on que le corps du roi avait été placé dans une crypte sous une construction qui devait rappeler les tombes à tumulus (surmontées d'un terre-plein) qui étaient utilisées en Grèce. Nous n'avons même pas d'indication précise quant à l'emplacement du tombeau, à peine sait-on qu'il se trouvait à l'intérieur des murs de la ville (fait suffisamment rare pour être signalé).

Ce n'est pas par volonté d'être cachottier que les auteurs ne l'ont pas précisé: de la même manière qu'un touriste se rendant à Paris n'aura aucun mal à se faire indiquer la direction de la Tour Eiffel, quelqu'un se rendant à Alexandrie savait où était le tombeau d'Alexandre le Grand.

 

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Sarcophage, dit "d'Alexandre le Grand" conservé au musée archéologique d'Istanbul.

 

Pourquoi n'est-ce plus le cas aujourd'hui? Et bien probablement parce que, aux IVe et Ve siècles, les chrétiens, qui devenaient la religion dominante, ont eu à cœur de détruire toute trace de paganisme. Ainsi, à Alexandrie, de nombreux temples païens sont démantelés, des œuvres d'art représentant des divinités égyptiennes sont jetées dans le Nil et un nombre incalculables d'ouvrages furent livrés aux flammes et il n'est pas exclu que certains d'entre eux soient perdus à jamais. Les Hommes non plus ne sont pas épargnés: en 415, Hypatie, une mathématicienne et philosophe païenne est littéralement lynchée par un groupe de chrétiens qui lui reprochait de vouloir empêcher la réconciliation entre le patriarche d'Alexandrie et le préfet romain1.

L'assassinat d'Hypatie correspond à la mort de la dernière figure importante du paganisme à Alexandrie et le fait qu'il ait eu lieu dans le Cesareum (le temple du culte impérial), reconverti en église renforce encore l'idée selon laquelle ce lynchage ressemblait fortement à un sacrifice humain déguisé.

 

Il est donc aisé de deviner ce qui dût advenir du corps d'Alexandre le Grand: c'était un païen, il s'était proclamé fils d'Amon, il était considéré comme un dieu par certains... les probabilités pour que sa dépouille ait été détruite sont importantes et son tombeau dût être démantelé pour servir de matériau de construction. L'expansion de l'islam au Moyen-Âge n'a pas arrangé les choses, bien que ce soit dans une mosquée que fut retrouvé un sarcophage couvert de hiéroglyphes qui fut pendant longtemps attribué à Alexandre le Grand. Comment avait-il atterri ici, nul ne le savait d'autant plus que le mystère s'épaissit quand on déchiffra les hiéroglyphes qui l'ornaient: il s'agissait du sarcophage de Nectanebo II, ce pharaon chassé par les Perses et dont personne ne savait ce qu'il était devenu.

 

Certains ont alors pensé que ce sarcophage, creusé pour le pharaon, avait pu être utilisé pour Alexandre mais il serait étrange que l'on se soit contenté de ce procédé. Et de toute façon, cela ne nous dit pas où est le corps du monarque: le sarcophage servait de bassin d'ablutions lorsqu'il fut découvert.

Les hypothèses s'enchaînent. Depuis deux siècle, des archéologues de tous horizons se sont succédés à Alexandrie afin de devenir celui qui ramènerait au jour le tombeau d'Alexandre le Grand. Même le grand Heinrich Schliemann, à qui nous devons quand même la découverte du site de Troie s'y cassa les dents. A force d'être nulle part, on se mit à le voir partout, le moindre bâtiment ancien devenait le monument que tout le monde cherchait, untel le situait aux abords d'Alexandrie en se fondant sur les récits de son grand-père, un autre pensait que le tombeau était un tombeau sous-marin.... On pensa même l'avoir trouvé dans l'oasis de Siouah, là où Alexandre avait été reconnu par les prêtres comme héritier du trône d'Égypte et où, selon certains, il aurait demandé à être enterré.

 

Les fouilles ont malheureusement montré qu'il ne s'agissait que d'un cénotaphe, un tombeau vide construit en l'honneur d'Alexandre le Grand. D'autres archéologues situèrent son corps dans la tombe de Philippe II qui, elle, fut retrouvée et même prise par certains pour le tombeau d'Alexandre le Grand. L'examen des os retrouvés dans l'urne funéraire contenant les cendres du père d'Alexandre n'aurait montré aucune trace de blessure au niveau des orbites, or Philippe II avait perdu un œil au cours d'une bataille, ce qui amena a penser que ses cendres furent bazardées et remplacées par celles de son fils... dans ce cas là qui était enterré à Alexandrie?

 

St. Mark's Basilica (altar)

Tombeau de l'Evangeliste Saint Marc à Venise.

Pourquoi cette photo?

 

Une dernière hypothèse voudrait qu'Alexandre le grand repose... à Venise, dans la cathédrale saint Marc. Saint Marc avait fondé l'Église d'Alexandrie avant d'être martyrisé. Son corps fut miraculeusement découvert au IXe siècle par des marchands vénitiens qui le ramenèrent au sein de la Sérénissime où il repose aujourd'hui. On a alors avancé l'idée selon laquelle un chrétien admirateur d'Alexandre ait fait passer le corps du premier fondateur de la ville pour celui du « second » et l'aurait sauvé de la destruction, puis c'est cette momie qui aurait été ramenée à Venise tandis que le corps de l'évangéliste avait été détruit depuis des siècles.

Vous vous doutez bien que pour vérifier une telle hypothèse, il faudrait exhumer le corps enterré dans la cathédrale Saint Marc et c'est pour le moment hors de question.

 

L'énigme du tombeau d'Alexandre le Grand est l'une des preuves que, non, tout n'a pas encore été découvert sur les Anciens, et que l'Histoire antique ne consiste pas à ressasser inlassablement les vieilles informations. Je ne pense pas qu'un jour nous saurons où était enterré Alexandre le Grand et que ses restes ne seront jamais mis sous une vitrine au British Museum ou au Louvre mais peu importe, la recherche est plus grisante que la solution.

Ce n'est qu'une façon de dire que c'est frustrant!

 

 

1De nos jours, la plupart des historiens s'accordent à dire que cela n'était qu'un prétexte: le fait qu'une femme puisse se mêler de sciences irritait bon nombre de gens et Hypatie avait de très nombreux ennemis.

Publié dans Livres

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