Jeanne d'Arc, le stratagème

Publié le par Antohn

 

 

Il y a quelques temps, je m'étais amusé à lire sur un site de lutte contre le négationnisme un texte écrit au XIXe sièclel par un historien resté anonyme et démontrant que Napoléon n'avait jamais existé, qu'il n'était qu'une émanation d'un mythe solaire. Le texte est assez amusant à lire, d'autant plus que l'auteur n'est pas sérieux (en doutiez vous?), il n'était qu'une réponse à une thèse qui fleurissait à l'époque et niant l'existence d'un Jésus historique. Pour démontrer la bêtise de cette thèse, cet historien avait, en reprenant mot pour mot les arguments de ses détracteurs, montré que si l'on suivait cette logique, on pouvait prouver l'inexistence de n'importe qui.

Autant vous dire que lorsque l'on me mit dans les mains un livre prétendant m'expliquer que Jeanne d'Arc n'avait pas existé, j'ai tiqué. Des ouvrages comme cela fourmillent d'ordinaire de références erronées (quand il y en a) et de raisonnement logiques foireux, quand ils ne sont pas dopés à la mauvaise foi ou à l'arrogance (du genre « moi j'ai lu des livres, j'ai raison et si vous n'êtes pas d'accord c'est que vous êtes un con »).

Le moins que l'on puisse dire c'est que « Jeanne d'Arc, le stratagème » n'appartient pas à cette engeance et qu'il a été fait avec suffisamment de sérieux pour être pris comme tel.

 

COuverture

 

On nous a tous raconté quand nous étions à l'école, l'histoire de cette jeune bergère de Domrémy qui, alors que la Guerre de Cent ans déchirait France et Angleterre, entendit, alors qu'elle gardait paisiblement ses moutons, les voix des saints de son église qui lui enjoignirent d'aller « bouter les anglais hors de France ». On nous a appris qu'elle avait chevauché jusqu'à Chinon, qu'elle avait reconnu le roi caché parmi ses courtisans. On raconte qu'ensuite elle avait pris Orléans et qu'elle avait livré combat malgré avoir été blessée par un carreau d'arbalète.

On nous a également expliqué qu'elle avait été trahie puis vendue aux Anglais avant d'être brûlée à Rouen pour sorcellerie, au terme d'un procès mené par l’évêque Cauchon dont personne n'avait eu de mal à retenir le nom. On raconte qu'elle expira en criant « Jésus ! » et que les Anglais se seraient alors exclamés « Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte ! ».

 

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L'image de la jeune bergère filant la laine est bucolique mais éloignée de la réalité: les campagnes françaises du début du XVe siècle étaient ravagées et l'insécurité y régnait.

(La plupart des images illustrant cet article proviennent de la planche n°762 de l'imagerie d'Epinal)

 

Très vite nos petits esprits se sont posé quelques questions sur cette histoire : qu'au XVe siècle on prenne au sérieux une adolescente qui dit entendre des voix, passe encore mais de nos jours quand une gamine de quinze ans entends la Sainte Vierge lui donner des ordres, c'est souvent signe d'un début de schizophrénie. Et puis on apprend que son père n'était pas un humble paysan, contrairement à ce que l'on raconte, puisqu'il possédait des moutons. Et puis comment un roi peut-il confier une armée à quelqu'un qui n'avait jamais reçu la moindre instruction militaire ?

Et puis s'il était vraiment convaincue qu'elle était une élue divine, pourquoi l'avoir laissée tomber quand elle fut faite prisonnière ? Rapidement, donc, on se rend compte que l'histoire devait être plus compliquée qu'il n'y paraissait.

 

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A la décharge de la réalité historique, il faut noter que l'histoire de Jeanne d'Arc, telle que nous la connaissons, fut consignée au XIXe siècle. A cette époque, la France venait de perdre l'Alsace et la Lorraine, au profit de l'Allemagne qui avait décidé, en 1870, de fêter son union en allant casser la gueule aux andouilles d'à côté et en récupérant deux régions qu'ils estimaient devoir leur revenir de droit. A ce moment-là, les Français se sont mis à redécouvrir leur passé et à glorifier ceux qui, par le passé, s'étaient levés contre les envahisseurs. C'est ainsi que l'on ressortit Vercingétorix des cartons, que l'on nomma une rue de Paris la Rue d'Alésia (c'est d'ailleurs la seule artère de la capitale qui porte le nom d'une défaite), on le fit cohabiter avec Bertrand du Guesclin et, donc, avec Jeanne d'Arc, qui, en plus d'un courage sans failles et d'une haine farouche pour l'envahisseur, était également très pieuse et obéissante. C'était donc une héroïne et un modèle pour tout les petits enfants qui devaient, en 1914, servir de chair à canon dans les tranchées.

 

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Entre parenthèses, de l'autre côté du Rhin, les idées pangermanistes ont également engendré le déterrage de quelques anciens héros. Je pense ben sûr à l'empereur Frederic Barberousse, mais aussi au chef Germain Arminius (que les Allemands appellent Hermann) qui avait, avec une poignée d'hommes, anéanti trois légions romaines dans la forêt de Teutobourg en 9 ap. J.C., mettant fin aux velléité d'expansions romaines en Germanie.

 

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Quoi qu'il en soit, Jeanne d'Arc sortit de près de cinq-cent ans d'oubli, étrange, d'ailleurs, pour quelqu'un que l'on nous présente comme une héroïne de guerre, comme celle qui mit fin à la Guerre de Cent ans. En froid avec la France depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1904, le Vatican consentit finalement, en signe de réconciliation, de la béatifier en 1909 avant que Benoit XV ne la canonise en 1922.

Si aujourd'hui aucun historien sérieux ne nie l'existence du personnage, il est aujourd'hui communément admis que l'histoire est moins lisse qu'il n'y paraît et que, dans le meilleur des cas, Charles VII s'est fait abuser par une cinglée dont les délires ont été pris pour des transes mystiques et que, persuadés d'avoir Dieu de leur côté, les soldats français ont vu leurs forces se décupler et ont retrouvé le moral, écrasant une armée anglaise aussi épuisée qu'eux mais démoralisée. Quant à sa mort, Charles VII l'aurait tout simplement laissée tomber, n'ayant plus besoin d'elle. Une autre hypothèse voulait que cela arrange pas mal de monde qu'elle disparaisse, les chefs militaires français étant peu enthousiastes à l'idée de reconnaître qu'une gamine avait réussi en quelques mois ce qu'eux ne parvenaient pas à faire depuis près d'un siècle.

 

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François Ruggieri, lui, a une autre hypothèse. Ami du grand médiéviste qu'était Georges Duby, il s'est plongé dans les sources d'époques et dans les ouvrages des principaux historiens contemporains (dont ceux de Régine Pernoud, qui ne doutait pas de l'existence de Jeanne d'Arc). Il en est ressorti avec une hypothèse, qu'il n'est pas le premier à évoquer, certes, mais qui, mine de rien, tient la route.

Et si Jeanne d'Arc était un homme ?

 

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Évidemment, dit comme ceci, vous vous attendez à des raisonnements foireux, que l'auteur s'est contenté de supputer que Jeanne d'Arc s'appelait Jean d'Arc en se raccrochant à n'importe quel bout de chronique erroné ou incomplète en se reposant sur le principe du « un historien affirme ce qu'il veut du moment que l'on ne lui apporte pas la preuve du contraire » (et c'est un principe efficace, j'ai fait une bonne partie de mes études comme çà).

L'idée est ici plus élaborée que le simple « Jeanne d'Arc était un travesti » : et si le personnage de Jeanne d'Arc avait été inventé de toute pièce pour redonner foi au peuple de France, en comptant sur le fait que l'autosuggestion ferait le reste ?

 

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En parlant d'autosuggestion, François Ruggeri évoque le fait que le pain, fait avec du seigle, était susceptible de contenir de l'ergot de seigle, un parasite qui est la base du LSD. Chaque apparition de Jeanne d'Arc étant précédée de distribution de nourriture, il avance l'idée que le pain qui était donné contenait (volontairement ou non) de l'ergot de seigle et que Jeanne d'Arc ne serait que le résultat d'hallucinations collectives, un peu comme ce fut le cas à Pont-Saint-Esprit après la Seconde Guerre Mondiale.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette idée. Tout d'abord l'hallucination collective c'est une excuse facile, trop souvent utilisée la médiocrité des arguments (et ici il fait tâche). Ensuite, l''ergot de seigle provoque des hallucinations, il provoque aussi une maladie que l'on appelait à l'époque « le mal des ardents » et qui faisait mourir le malade dans d'atroces souffrances et je vois mal un pouvoir royal, surtout dans ce contexte, prendre le risque de décimer la population d'une ville au moment où une envoyée divine vient la délivrer.

 

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Quoi qu'il en soit, ce livre, qui relate les faits supposés de façon romancée, commence par démonter quelques éléments de la légende, en précisant bien que celle-ci date du XIXe siècle et qu'elle est très éloignée de la réalité historique. Tout d'abord, en 1429, la Guerre de Cent ans avait jeté sur les routes une tripotée de déserteurs, de mercenaires démobilisés et de paysans chassés de leurs terres qui s'étaient faits brigands. On ne s'éloignait pas seul des villes, surtout quand on était une jeune fille de treize ans (non seulement, jeune fille on ne le restait pas longtemps mais en plus il y avait de forts risques de ne pas fêter ses quatorze ans).

Ensuite, les horreurs de la Guerre s'étaient doublés aux affres de la famine : les paysans se nourrissaient de racines et des cas de cannibalisme sont avérés. Autant vous dire que plus personne ne gardait plus de moutons, ceux-ci ayant fini en gigots depuis longtemps.

Et puis, son père, Jacques d'Arc n'était pas paysan, il ne logeait pas non plus dans la maison que l'on fait visiter aux touristes et passant pour être celle de la Pucelle. Il vivait dans le château qui surplombe le village. La jeune bergère était donc fille de châtelain, ce n'est pas forcément elle que l'on envoyait garder les moutons, donc.

 

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La thèse de François Ruggieri est donc que la reine Isabeau de Bavière eut un fils illégitime avec le duc d'Orléans. Son mari, le roi Charles VI, dit « Charles le Fol » avait déjà manifesté des signes de démence grave : il avait, par exemple, chargé des compagnons de chasse qu'il avait pris pour des cerfs, en tuant deux. Ce bon roi de droit divin était donc enfermé à double tour et n'était plus lucide que quelques heures par jour, en d'autres termes, c'était un fou dangereux.

Pendant ce temps-là la vie continuait et la reine mis ainsi au monde quelques bâtards et vu la pagaille qui régnait déjà avec les prétendants au trône qui se bousculaient au portillon, le moment n'était pas venu d'en rajouter un. Parmi ces bâtards, Isabeau de Bavière mit au monde un petit Philippe, déclaré mort-né et enterré dans la basilique Saint-Denis.

 

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Et si Philippe n'était pas mort ? Et si c'était un cercueil vide que l'on avait inhumé à Saint-Denis ? Et si l'enfant avait été confié à un habitant de Domrémy ? Cela expliquerait, par exemple, les exonérations d'impôts dont bénéficia ce village à cette époque. On pourrait supposer alors qu'il reçut l'éducation de tout noble, qu'il apprit à lire, à écrire et qu'il fut initié au métier des armes.

Et puis un beau jour, quelqu'un eut l'idée du « stratagème ». Français et Anglais s'enlisaient dans la guerre, l'armée du Roi de France essuyait déroute sur déroute (en grande partie à cause des archers anglais), le roi précédent avait signé des décrets léonins en faveur de l'Angleterre, seul un miracle pouvait empêcher la France de tomber, à long terme, sous la domination anglaise.

Au bout de cent ans, le miracle ne se pointant pas, quelqu'un aurait eu l'idée de l'inventer en créant cette histoire de bergère élue du Très-Haut.

 

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Le défi restait de trouver quelqu'un avec suffisamment de lignage pour être suivi par les généraux (eux-même nobles) et en même temps inconnu à la cour : si quelqu'un reconnaissait la « bergère » s'en était fini. Voilà pourquoi un bâtard de la reine-mère que tout le monde croyait mort (ou que tout le monde considérait comme mort) faisait parfaitement l'affaire.

Quant à son inexpérience sur le champ de bataille, il suffirait de lui adjoindre des généraux de talent, comme Gilles de Rais. A noter d'ailleurs, sur ce personnage, qu'il est décrit dans le livre comme un psychopathe que l'on préfère voir démembrer des Anglais plutôt que des petits garçons. Il faut savoir que rien ne prouve que Gilles de Rais était déjà un tueur en série à cette époque et que pas mal de criminologues pensent que justement la fin de la Guerre de Cent ans l'empêcha de se libérer de ses pulsions sur le champ de bataille et que ce n'est qu'à ce moment-là qu'il commença à massacrer des enfants.

Je ne suis pas tout à fait sûr, donc, que lui adjoindre Gilles de Rais soit une tentative de se débarrasser de lui mais au contraire de s'assurer que le stratagème réussisse : pour qu'il fonctionne, il fallait y ajouter quelques victoires militaires et coller des cinglés dans les pattes d'un type qui n'avait jamais mené d'hommes au combat, passant en plus pour être une bergère, c'était du suicide, pur et simple.

 

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Reste à évoquer la mort de la Pucelle, parce que stratagème ou pas, on a bien jugé une femme à Rouen en la présentant comme Jeanne d'Arc, et elle a bien été brûlée pour hérésie, non ? Ce serait compter sans le fait l'Histoire est pleine de pions sacrifiables et que cette méthode a très bien pu être appliquée, d'autant plus qu'il n'existe aucun portrait (mis à part celui reproduit ci-dessous) de Jeanne d'Arc effectué de son vivant. La méthode du « pion sacrifiable » est autant utile pour faire endosser un crime que pour échanger des prisonniers. Elle consiste à récupérer dans une prison un(e) pauvre bougre(sse) un peu couillon(ne) sur les bords, un paysan illettré fait parfaitement l'affaire. Faites lui endosser ensuite le rôle que vous avez préparé pour lui, en lui expliquant de bien jouer le jeu lors du procès, que s'il est condamné à mort, il ne faut pas s'en faire, on le fera évader avant ; de préférence, envoyez un évêque ou un noble se charger de cette proposition, en expliquant bien à la victime que c'est un grand service qu'elle rend et que le bon Dieu là-haut sera content.

 

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Ce croquis au coin d'un manuscrit est la seule représentation connue de Jeanne d'Arc réalisé de son vivant. Rien ne dit, toutefois, que l'auteur ait travaillé de mémoire.

 

La thèse avancée ici serait qu'une prisonnière un peu naïve aurait pris la place de la véritable Jeanne d'Arc. François Ruggieri s'est procurée les minutes de son procès et s'est rendu compte d'un assez grand nombre d'incohérences. Par exemple, elle est capable de décrire précisément certaines de ses apparitions mais demande un délai pour répondre lorsqu'on lui demande quel est son nom, qui sont ses parents et quel est son âge. Ça sent l'impostrice préalablement briefée et à la mémoire de poisson rouge. On pourrait pourtant arguer qu'il s'agissait de la vraie Jeanne d'Arc et que sa confusion venait du fait que la moindre réponse erronée pouvait la mener au bûcher, et, si nous conservons l'hypothèse qu'elle ait pu être schizophrène, cela pourrait expliquer son comportement étrange lors du procès. Autre fait troublant : lorsqu'elle fut acquittée de son premier procès, on lui demanda de signer un papier et elle affirma ne pas savoir écrire, or, les textes de l'époque racontent qu'elle écrivait régulièrement et que, si elle était fille de noble, on le lui avait appris.

 

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Pour ma part, cela fait longtemps que j'ai fait mon deuil de la modeste bergère qui aurait été investie d'une mission divine et aurait botté les fesses des armées anglaises à elles toutes seule avant d'être ignominieusement trahie, vendue comme un vulgaire jambon et condamnée au bûcher au terme d'un procès à côté duquel les purges staliniennes ressemblent à la libre-antenne de France Bleu Dordogne.

 

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Je me suis longtemps appuyé sur le fait que la recherche du salut était l'une des principales préoccupations de l'Homme médiéval et que l'athéisme y était presque absent. Les Homme du Moyen-Âge n'étaient pas tous des grenouilles de bénitier (il y avait déjà des curés à l'époque pour se plaindre que les jeunes n'allaient plus à la messe!) mais ils craignaient la colère divine et essayaient d'interpréter ses messages. Si une jeune fille se disait investie d'une mission divine, on la prendrait aujourd'hui pour une folle et peut-être aurait-on raison) mais à l'époque, il est possible qu'elle ait été prise pour une véritable envoyée divine.

Pour moi, il y a bien eu une Jeanne d'Arc et ses succès ont été dû au fait que l'idée d'avoir une élue divine à leur côté a décuplé les forces de l'armée française. Si elle mourut de cette façon, ce fut peut être parce que Charles VII n'avait plus besoin d'elle (il aurait pu la racheter mais n'a même pas tenté de négocier une rançon).

 

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D'un autre côté, il faut reconnaître une chose : la thèse de François Ruggieri est intéressante et, même si je ne suis pas aussi convaincu qu'il doit l'être, force est de reconnaître qu'il a des arguments et qu'ils sont bons. Je suis d'accord avec lui pour dire que l'histoire, la vraie n'est pas celle que l'on apprends à l'école et que même ceux convaincus de l'existence de la Pucelle d'Orléans sont obligés de reconnaître quelques incohérences.

 

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Néanmoins, son histoire est un peu tirée par les cheveux et repose sur quelques présupposés comme le fait que l'on ait fait croire à la mort d'un enfant juste pour l'avoir sous le coude au besoin. C'est techniquement possible et ce qu'il raconte est vraisemblable (bien qu'il prenne soin d'illustrer ses thèses par des passages romanesques) mais j'ai souvent pu vérifier qu'en Histoire, les explications les plus complexes ne sont pas les plus courantes, ce qui ne veut pas dire que les siennes ne soient pas les bonnes.

Publié dans Livres

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M
Génial et délicieux.
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