Les extraterrestres dans l'Histoire
Je ne sais pas ce que j'ai avec les essayistes iconoclastes ces temps-ci mais après un livre jouant sur l'hypothèse selon laquelle Jeanne d'Arc était en réalité un homme (enfin, c'est un peu plus compliqué que cela, si tu l'as raté, lecteur, c'est ici), je me suis dit que j'allais enfin ouvrir ce livre qui traînait dans ma bibliothèque, depuis que je l'avais acheté pour un euro dans un vide-grenier parce que le titre m'intriguait.
J’avais pourtant déjà entendu parler de Jacques Bergier mais pour moi, c'était surtout « le type qui avait inspiré Hergé pour le personnage de Mik Ezdanitoff dans Vol 714 pour Sydney », je savais vaguement que c'était un scientifique, qu'il était une sorte de frères Bogdannoff des années 60 et que les autres savants pensaient de lui qu'il était un peu zinzin (comme les frères Bogdanoff, quoi).
Le personnage était en réalité plus complexe : écrivain, espion, astrophysicien, chimiste résistant, ancien déporté, Jacques Bergier était également connu, semble-t-il, pour posséder une culture générale absolument monstrueuse. Il tenait la vedette, notamment, d'un jeu télévisé, L'incollable, où il répondait aux questions de l'animateur lorsqu'aucun candidat ne pouvait y répondre. Il était connu également pour ses étranges théories concernant les extraterrestres : il était persuadé, entres autres, que des formes de vies existaient hors de notre planète et que les extraterrestres étaient déjà venus nous visiter à maintes reprises. Il paraissait tellement convaincu, qu'une rumeur avait même circulé, affirmant que Jacques Bergier était un extraterrestre.
Jacques Bergier lors de l'émission "En français dans le texte" du 29 novembre 1959.
Il est, donc, l'auteur de quelques essais, dont Les extraterrestres dans l'Histoireoù il développe l'idée selon laquelle certains mystères du passé peuvent être expliqués par une intervention des extraterrestres. J'avais déjà entendu parler de telles histoires, notamment des textes anciens qui faisaient état d'étranges épisodes.
Vous voulez des exemples ?
Cicéron, De la divination, Livre I, Chapitre 40 : "Combien de fois le sénat n'a-t-il pas ordonné aux décemvirs de consulter les livres sibyllins. Dans combien d'affaires et combien souvent ne s'est-il pas conformé aux indications données par les haruspices! Par exemple quand un second soleil est apparu dans le ciel, quand on a vu trois lunes, quand des lueurs semblables à des torches ardentes sont apparues dans le ciel, quand la lumière du jour a resplendi en pleine nuit, quand un fracas s'est fait entendre au firmament, quand la voûte céleste a semblé s'entrouvrir et qu'on a cru apercevoir des globes par delà."
Frédégaire (continuateur de Grégoire de Tours), Histoire des Francs, Livre IX : « La cinquième année du règne de Théodoric, ont vit à l'occident les mêmes phénomènes qui avaient apparu l'année précédente, des globes de feu parcourant le ciel,et comme un grand nombre de lances de feu. »
Le Manuscrit d'Ampleforth, daté de 1290 et attribué à William de Newburg : « [Le 28 octobre 1290, dans l'abbaye de Byland], lorsque l'abbé Henry fut sur le point de bénir le repas, un frère, qui s'appelait Jean, entra et déclara qu'un énorme objet se trouvait au dehors. Tous accoururent et virent cette grande chose ronde, semblable à un disque argenté, volant lentement au dessus-deux et excitant la plus vive des terreurs. »
Extrait d'une chronique écrite en 1608 par un certain Pierre Ménier et relative à d'étranges observations faites au large de Gênes : « Au commencement du mois d'août de l'an mil six-cent huit, sur la mer de Gênes, se sont vus les plus horribles signes que de mémoire d'homme aient été relatés, par la parole ou l'écrit. Les uns avaient figure humaine avaient des bras qui semblaient être couverts d'écailles et tenaient en chacune de leur main deux horribles serpents volants, qui leur entortillaient les bras. Ils ne paraissaient que depuis le nombril, en haut hors de la mer, et jetaient des cris si horribles que c'était une chose épouvantable, et parfois, se plongeant dans la mer, puis ressortant en d'autres endroits plus loin de là, hurlaient des choses si épouvantables que plusieurs sont tombés malades de la peur qu'ils ont en ont eu, ils en voyaient qui semblaient être en figure de femmes ; d'autres avaient le corps comme un corps humain, tout couvert d'écailles mais la tête avait la forme d'un dragon. »
Selon les témoignages on fit tirer au canon sur ces apparitions, sans aucun résultat (source: sprezzatura.it)
Tout cela pour dire que je pensais que ce livre allait être une compilation de textes semblables et, s'il y en a, ils ne constituent pas la principale composante du livre. Jacques Bergier s'est amusé ici, à déceler dans l'Histoire tout ce qui pourrait s'apparenter à une intervention extraterrestre. A commencer par l'extinction des dinosaures.
Dans la mesure où il y a peu de témoins encore en vie, il est vrai que l'on ne sait pas avec certitude pourquoi les dinosaures ont disparu de la surface de la planète. L'hypothèse la plus communément acquise est celle d'une météorite gigantesque dont l'impact aurait provoqué un grand nombres d'éruptions, obscurcissant le ciel et faisant tomber la température du Globe, provoquant un changement climatique fatal à ces reptiles à sang-froid. Selon Jacques Bergier, il serait possible qu'aucune météorite ne soit à l'origine de cette extinction mais plutôt une volonté intelligente : pour lui, des extraterrestres auraient éradiqué les dinosaures pour laisser le champ libres aux mammifères et donc au développement de formes de vies intelligentes.
Le cratère de Chixulub au Mexique passe pour être le point d'impact de la météorite ayant exterminé les dinosaures.
Évidemment, on peut se demander pourquoi les extraterrestres se seraient soucié de cela. Franchement, si je trouvais une planète peuplée de dinosaures, mon premier réflexe ne serait pas de les massacrer pour permettre le développement des mammifères. Et si jamais j'éprouvais le besoin de faire çà, j'en profiterais pour coloniser la planète, je le ferais uniquement si j'avais un avantage à en tirer, ce qui semble ne pas être le cas des ces extraterrestres. En même temps, peut-être il y a-t-il quelque part des gens qui font le bien gratuitement.
Jacques Bergier semble obéir à l'un des enseignements de mon professeur de philosophie en Terminale, « Vous pouvez écrire dans une dissert' que vous avez trois jambes, nous avait-elle dit, le tout est d'avoir des arguments ».
Le seul soucis c'est que, tout scientifique qu'il soit, l'auteur oublie parfois de faire preuve de rigueur. J'en veux pour exemple, le chapitre qu'il consacre au savant Henry Cavendish (1731-1810). Cavendish est considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands physiciens de son temps, comme un remarquable génie dont les travaux ont fait progressé la science à pas de géants. On raconte que, malgré cela, ses études avaient été un échec, qu'il était sorti de l'université sans aucun diplôme et qu'il n'avait dû sa fortune qu'à un héritage qui lui permit d'installer son propre laboratoire où il poursuivit ses travaux.
S'il était un savant hors du commun, c'était également un être étrange. Il ne tolérait aucun contact avec les femmes, ne parlant à sa cuisinière que par notes manuscrites et l'avait menacée de renvoi si elle lui adressait la parole. Il refusait qu'on fasse le moindre portrait de lui (ceux qui existent ont été faits à son insu), il portait constamment les mêmes vêtements, se montrait avare avec lui-même mais prodigue avec les autres et n'a quasiment rien publié de son vivant. Avant sa mort (qu'il avait prévue) il demanda à ce qu'on l'enterre dans un cercueil scellé afin que personne ne pratique d'autopsies sur lui.
Tombe d'Henry Cavendish dans la cathédrale de Derby (source: findagrave.com)
Pour Bergier, c'est limpide : Cavendish était un extraterrestre, ce qui expliquerait ses extraordinaires capacités cérébrales, son comportement et le fait d'insister pour ne pas être disséqué. Seulement, l'auteur oublie un détail : et si Cavendish avait tout simplement été autiste ? Ce n'est pas une maladie qui était très étudiée au XVIIIe siècle et ce que ses proches ont pu prendre pour de l'excentricité pouvait très bien être une forme de troubles de ce genre.
Il en est de même pour cette histoire d'enfants verts, découverts à Banjos, en Espagne (actuelle Banyoles) en 1887 : deux enfants (un garçon et une fille) furent découverts par des paysans. Ils portaient des vêtements faits d'un tissus inconnu et avaient la peau couleur vert feuille. Confiés au juge de paix, celui-ci tenta de communiquer avec eux mais ils ne parlaient pas espagnol et, lorsqu'il essaya de les débarbouiller, il se rendit compte que le vert de leur peau était une pigmentation naturelle.
Ils refusèrent toute nourriture, mis à part des haricots frais. Le garçon mourut quelques jours plus tard mais la fille survécut, la couleur verte de sa peau disparut et elle entra au service du juge. Elle apprit suffisamment d'espagnol pour expliquer qu'elle venait d'un endroit où il ne faisait jamais jour ou nuit, un endroit séparé du reste du Monde par un grand fleuve très large. Pour Jacques Bergier, ces enfants étaient probablement des extraterrestres, bien qu'il reconnaisse lui-même que certaines carences en certains aliments peuvent donner une coloration verte ou bleue à la peau (l'anémie fait çà aussi).
Banyoles est connu pour son grand lac. Serait-ce le "grand fleuve" dont parlait l'enfant verte? (cliché Jaume Conesa)
Il est possible, après tout, que nous ayons affaire à des enfants sauvages ou a des enfants chassés de leur village après avoir contracté cette maladie qui les a rendu verts. Je sais que nous étions en 1887, mais bon les superstitions ont la vie dure (il n'y a qu'à voir le nombre de chats noirs encore abandonnés dans des refuges de la SPA) et ces enfants ont peut être été abandonnés. Quant à la langue, Banyoles n'est pas bien loin de la frontière française... et si ces enfants parlaient tout simplement l'occitan ?
Dernière chose: un texte anglais du XVIIe siècle raconte un épisode similaire, tellement similaire qu'il est possible que cette histoires d'enfants verts ait été inventée à partir de ce récit, lui-même semblant se contredire et fortement suspecté d'être au mieux une fable, au pire un canular.
Le village de Woolpit en Angleterre où seraient également apparus deux enfants verts au XIIe siècle.
Je respecte infiniment le savoir et la science d'un homme comme Jacques Bergier, son érudition est considérable mais plus j'ai avancé dans le livre, plus je me suis rendu compte d'une chose.
Jacques Bergier réfléchissait trop.
Il était, en gros, persuadé qu'il existait une intelligence qui nous dépasse et qui s'amuse à faire des expériences avec nous, envoyant des bizzareries pour voir comment nous réagissons. Comme il le dit lui-même, nous serions les souris de laboratoire des aliens.
Encore qu'il y ait dans ce livre quelques histoires moins facilement explicables. En témoigne l'histoire du manuscrit de Voynich.
Ce manuscrit tire son nom de Wilfrid Voynich, un collectionneur qui l'avait acheté en 1912 à des jésuites italiens. Ce manuscrit, qui daterait de la première moitié du XVe siècle a suscité pas mal d'interrogations.
Page du manuscrit de Voynich, décrivant, vraisemblablement, une plante inconnue.
Tout d'abord, l'écriture utilisée est indéchiffrable : elle ressemble à une écriture manuscrite normale mais personne n'est jamais parvenu à comprendre ce qui était inscrit. Il en est de même pour les gravures qui l'ornent : la section « botanique » représente des plantes inconnues, quant au planches anatomiques, elles font état de connaissances postérieures à celles du XVe siècle. Personne n'est en mesur d'où vient précisément ce manuscrit ni quel était son auteur : bien des candidats ont été évoqués mais aucun ne semble être le bon.
Pour Jacques Bergier, ce manuscrit peut être un manuscrit transmis aux Hommes par des extraterrestres. Admettons mais, dans ce cas, pourquoi l'avoir écrit dans une langue que personne ne comprend. De plus, les extraterrestres, s'ils sont plus avancés que nous, devraient avoir d'autres supports d'écritures que le parchemin, non ?
La section de ce manuscrit consacré à l'astronomie représente également une galaxie en spirale
Il est possible que ce manuscrit soit une supercherie ou qu'il ait été codé selon un chiffre qui ne serait connu de personne, pas même des plus grands experts en matière de cryptage. D'autres avancent même l'hypothèse qu'il s'agisse d'un langage inventé de toutes pièces, comme l'espéranto ou le klingon. J'avais même entendu une hypothèse intéressante, mettant ce manuscrit en relation avec l'histoire d'un ingénieur de la NASA, un homme brillant et respecté qui, malgré cela finit par mourir. En fouillant ses papiers, sa famille tomba sur des centaines de milliers de pages de chroniques où cet homme racontait ses exploits, se prenant, visiblement pour un aventurier interstellaire. Il était vraisemblablement schizophrène et, dans son délire, avait inventé des mondes entiers, des cultures et même des langues et des écritures. Peut-être l'auteur du manuscrit de Voynich était-il atteint du même syndrome et aurait inventé une écriture et une langue dont la clé s'est perdue avec sa mort.
Exemple d'écriture du manuscrit de Voynich.
Pour l'anecdote, la première personne a avoir tenté de le déchiffrer est un certains Anastase Kircher, un jésuite alsacien, connu également pour avoir été l'un des premiers à tenter de déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens au XVIIe siècle. Cette entreprise n'avait, d'ailleurs pas été couronnée de succès, le bon jésuite pensant que les hiéroglyphes étaient des symboles et non des sons.
Il me reste toujours un fond de cartésianisme, aussi je pense que ce genre de documents mystérieux ne sont que des supercheries (à chaque fois que le voile s'est levé sur un tel mystère, c'est ce que l'on a découvert). Mais si ce n'est pas le cas, il serait intéressant de pouvoir un jour décrypter ce qu'il dit (si ça se trouve, ce qui est écrit n'a aucun intérêt, ni même aucune cohérence). « Les extraterrestres dans l'Histoire » a le mérite de raconter quelques histoires intéressante, qu'on les prenne ou non pour argent comptant. De là à dire qu'elles sont la preuve irréfutable que des petit hommes verts soient venus nous dire bonjour par le passé, il y a un pas que je ne franchirait pas.
Souvent, l'explication la plus simple est la meilleure, mais paradoxalement, ce n'est pas parce qu'une explication est simple qu'elle est bonne.