Les rongeurs de l'apocalypse
Mon grand-père me racontait qu'on ne prononçait jamais le mot « lapin » sur un bateau, de même que « corde » ou « cochon » parce qu'ils portent malheur (on ne prononce jamais le mot « dromadaire » également mais çà c'est uniquement parce que pour parler de dromadaire sur un bateau il faut être fortiche). L'histoire raconte qu'un bateau transportant d'inoffensifs lapins avait coulé après que les rongeurs se soient échappés et aient rongé la coque du bateau, depuis, aucun marin n'embarque de lapins et tout marin un tant soit peu superstitieux refusera ne serait-ce que de prononcer le nom de l'animal.
Le lapin est la preuve même qu'un petit animal gentil (bien que légèrement con, il faut bien le dire) peut s'avérer redoutablement destructeur, qui n'a pas eu ses fils de téléphones rongés par cette bêbête et qui n'a pas manqué de s'étouffer avec un petit os en mangeant un civet ne peut comprendre l'ampleur des dégâts qu'il peut causer.
"Il n'y a pas de limites à l'horreur" clame l'affiche...
Dans un sens elle n'a pas tort. (source: wrongsideoftheart.com)
Autre inconvénient du lapin : il se reproduit très vite et peut s'avérer destructeur pour les récoltes : en, Australie, le lapin fut introduit pour nourrir les populations. Un jour, quelques uns de ces rongeurs se sont échappés de leur élevage et ont envahi la campagne australienne, transformant les champs en déserts. Une longue campagne d'extermination fut alors mise en place et bien des paysans australiens en vinrent à préférer voir leurs champs traversés par des kangouroux ou des dingos plutôt que par de simples petits lapins. Le lapin, c'est un peu comme la sauterelle ou le zombi : seul ce n'est pas dangereux, à plusieurs çà devient pénible.
Aujourd'hui, chers lecteurs, nous allons donc voir comment, en mêlant un sympathique mammifère et des aspirations écologistes, nous pouvons aboutir à de sanglantes horreurs.
« Les rongeurs de l'Apocalypse » est tiré, à l'origine d'un roman, « Year of the Angry Rabbit » de l'australien Russell Brandon. Si le livre est parodique, le film l'est beaucoup moins (du moins volontairement) et le résultat est donc une espèce d'ovni qui passe aujourd'hui pour l'un des films d'horreur animaliers les plus insolites (pour ne pas dire autre chose) de l'Histoire.
Tout commence en Arizona. Depuis peu, les agriculteurs locaux sont confrontés à une nuisance inconnue : je ne parle pas des pique-niqueurs mais des lapins. Ces sales bêtes rendent impossibles toute culture et les trous qu'ils creusent dans la terre empêche de chevaucher librement avec le soleil sur le visage, ce qui est quand même l'un des rares avantages à vivre dans l'Arizona. Une solution serait bien de pulvériser du cyanure pour empoisonner les rongeurs mais cela impliquerait d'empoisonner également les autres bêtes ainsi que le sol. Hors de question pour le fermier Cole Hillman qui cherche des moyens « naturels » de se sortir de ce problème.
"Au début j'avais pensé au lance-flammes mais t'imagines, l'impact C0² de ce truc ?"
Ainsi, il prête son concours à un couple de chercheurs, les Bennett, qui cherchent un moyen de stériliser les lapins afin de freiner leur prolifération. « On va faire en sorte que John ressemble plus à Jill et Jill un peu plus à John », comme l'explique Gerry Bennett à sa fille, Amanda, qui ne les quitte jamais, même dans leur labo.
Si vous êtes un habitué des films d'horreur, vous savez bien que gamin=catastrophe et ce cas là ne déroge pas à la règle : Amanda n'aime pas que l'on fasse du mal aux lapins, elle a du mal à comprendre que l'on fasse des expérience sur ces peluches qui ne veulent que gambader et brouter librement dans les champs comme vous et moi.
Ne vous fiez pas à son air innocent et à son pull à rayures,
cette gamine s'apprête à faire une très grosse bétise.
Après que ses parents aient injecté un sérum stérilisant à un spécimen, Amanda tanna ses parents pour qu'ils la laissent prendre un lapin, promettant, évidemment, que c'est elle qui nettoiera sa cage, le nourrira, le soignera, le sortira, et tout le saint-frusquin. Sa mère, qui veut bosser tranquille, accède à sa requête sans vérifier une chose : la gamine ne voulait pas n'importe quel lapin, elle voulait un lapin précis, celui-là même auquel ses parents venaient d'injecter un sérum, et s'en empara. Trente secondes plus tard, elle le laissa échapper au cours d'une dispute avec le fils du fermier et, ingrat comme peut l'être un rongeur, l'animal (je parle du lapin) s'échappa dans le premier terrier venu.
Voilà comment un caprice de gamin va mener à une dizaine de morts, ne la remerciez pas.
Une dizaine de morts et une centaine de lapins qui, eux, lui disent merci.
Peu de temps après, on découvre auprès d'un point d'eau une trace de pas gigantesque et inconnue, pire encore : on constate la disparition d'un vieux fou qui vivait dans une mine désaffectée et la mort d'un camionneur, retrouvé sur le bord de la route, portant des blessures étranges. Pire encore : sa cargaison n'a pas été pillée : elle a été... rongée !
Qui peut bien avoir fait çà ?
Oui, qui ?
La réponse est simple : les lapins ont muté jusqu'à atteindre la taille d'un cheval, ou presque. Disons que le gros problème c'est que les lapins changent de taille d'une scène à l'autre. Pas de craignos monsters pour autant : les lapins géants n'étant ici que des lapins normaux filmés dans des décors miniatures, un cascadeur en costume se chargeant de jouer les scènes avec des humains. Des lapins normaux, donc, trop normaux, ressemblant davantage à de paisibles lapins domestiques qu'à des lapins de garenne sauvages.
Ces lapins, disais-je, ont élu domicile dans la mine du vieux fou et sortent la nuit pour assouvir leurs instincts carnassiers... oui parce que pour des raisons que personne ne nous expliquera, les lapins géants sont carnivores et ont un QI suffisant pour planifier des attaques sur des villes humaines, en commençant, notamment par couper les communications.
Les humains mettent un moment avant de comprendre ce qui se passe (et qui pourrait les en blâmer ?) et mettent encore plus de temps avant de réagir efficacement. Leur premier réflexe, par exemple, est de dynamiter la mine où les lapins se sont réfugiés pour les enterrer vivants.
Oui, vous avez bien lu : ils ont essayé d'enterrer des lapins ; le procédé est similaire à celui qui consiste à noyer un poisson.
Le film s'étire ensuite, jusqu'à atteindre l'heure et demie légale pour qu'enfin on transforme ces bestioles en terrines de campagne transgéniques.
Pour les curieux, Gerry Bennett est jouée par Janet Leigh. Lorsqu'on lui demanda pourquoi elle avait accepté de jouer là-dedans, elle répondit que c'était simplement parce que le tournage avait lieu près de chez elle et que non seulement elle n'avait jamais vu le film mais qu'en plus elle essayait d'effacer de sa mémoire tout souvenir du tournage.
Je vous avoue que je m'attendais à un nanar de haute volée en me décidant à voir ce film mais, finalement, je me suis plus ennuyé qu'autre chose. Évidemment, le fait que les acteurs fuient les créatures les moins effrayantes de l'Histoire des films d'horreur est amusant et n'est pas sans rappeler le lapin de Caerbannogg dans « Monthy Python, Sacré Graal ». Quelques clichés idiots viennent aussi égayer le tableau, comme le figurant qui trébuche au moment où les monstres lui arrivent dessus ou encore le classique « allons donc nous enliser dans un petit sentier plutôt que de prendre la route goudronnée ».
Pas grand chose à se mettre sous la dent, donc, quelques scènes de dialogues idiots à base de sabir scientifique de comptoir auraient peut-être pu être un plus.
Pas de second degrés, donc, un doublage normal et même pas de sermon philosophico-religieux sur le fait que c'est pas bien de se prendre pour Dieu en essayant de contrecarrer les lois de la nature. S'il y a une morale à tirer de cette histoire, ça serait « ne laissez pas votre enfant sans surveillance dans votre labo », « laissez faire la garde nationale quand vous avez des problèmes » ou encore « le meilleur moyen de se débarrasser des lapins, c'est encore un fusil de chasse ».
« Les rongeurs de l'Apocalypse » est donc à ranger dans la catégorie des films d'horreur animaliers torpillés par un choix d'animal pour le moins discutable : le lapin étant l'animal le moins effrayant du Monde, après le bébé phoque et le scottish terrier. D'ordinaire, de tels films compensent par une prise de recul salvatrice, ce qui n'en fait pas toujours de bons films mais qui les sauve du ridicule.
Non mais quoi, c'est vrai, une attaque de lapins géants... et puis quoi encore ! Pourquoi pas de la moussaka géante tant qu'on y est !
Fiche technique :
Titre original : Night of the Lepus
Réalisateur : William F. Claxton
Année : 1972
Pays : États-Unis
Durée : 1h28
Genre : Lapin aux péquenots