Supermen Dönüyor (Turkish Superman)

Publié le par Antohn

 

Bien des gens pensent que faire un film implique forcément une débauche gigantesque de moyens et d'argent, qu'on ne peut pas faire de film en comptant sur l'imagination du spectateur...Si vous voulez mon avis, ces gens-là ne sont pas turcs.

 

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Si le cinéma turc est aujourd'hui un cinéma tout ce qu'il y a de plus conventionnel, représenté notamment par Nuri Bilge Ceylan (prix du jury à Cannes en 2003 pour « Uzak »), il n'en fut pas toujours de même. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il était interdit en Turquie de diffuser des films étrangers, en tout cas officiellement, les films en question circulant souvent sous le manteau. La Turquie devait donc produire elle-même ses propres films, avec les moyens du bord. L'avantage qu'avait cette interdiction était que les lois sur la propriété intellectuelle étaient pour le moins lâches, si ce n'est pas inexistantes, fournissant donc aux scénaristes et réalisateurs turcs un matériaux de choix. Il n'était ainsi pas rare, dans les films d'exploitation turcs d'entendre des musiques piquée à d'autres films, quand ce n'étaient pas des scènes entières, voire même des scénarios entiers.

 

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L'exemple le plus célèbre de cette époque est « Dunyayi Kurtaran Adam » plus connu sous le nom de « Turkish Star Wars », film mettant en vedette la star du cinéma turc Cuneyt Arkin, et rempompant sans aucun scrupules des passages entiers de « La Guerre des Etoiles » ainsi que la musique d ' « Indiana Jones ». Tous les grands blockbusters ont eu droit à leur remake, des faux James-Bond, des faux Captain America, des faux Spiderman, un faux Batman et même... un faux Santo! Il n'y a pas un héros qui n'ait eu droit à son adaptation turque, pas un genre qui ne fut abordé par ces stakhanovistes de la pellicule (promis, je n'emploierais plus cette expression). Si certains se laissent regarder (à condition que vous supportiez de vous taper un film d'une heure vingt en turc non sous-titré) , notamment les westerns, dits « western kebab », d'autres sont pour le spectateur averti, et même pour les spectateurs turcs d'aujourd'hui, de véritables petits bijoux de kitscherie et de cinoche décomplexé.

 

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Turkish Kryptonite

 

Celui dont je vais vous parler s'intitule tout simplement « Süpermen [sic] Donüyor » (« Le retour de Superman »), remake plus ou moins assumé du Superman de Richard Donner.

Réalisé (et produit) par un certain Kunt Tulgar, auteur également d'une version turque de Tarzan sur laquelle je suis impatient de tomber, « Süpermen Donüyor » est l'un des plus beaux exemples de ce que la Turquie savait faire à l'époque avec trois bouts de ficelle et une caméra d'occasion.

 

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Et voilà ce qu'ils arrivaient à faire avec trois bouts de ficelle et un appareil à diapos d'occasion.

 

Le film s'ouvre sur une vue du cosmos, enfin, par « cosmos » entendez une toile noire constellée de paillettes sur laquelle un accessoiriste a suspendu des boules de Noël. Une voix-off nous explique que Krypton était la plus belle planète de l'univers, qu'elle fut détruite et que les kryptoniens envoyèrent sur Terre le fils de leur chef afin de conserver leur civilisation intacte. C'est en tout cas ce que j'ai compris: contrairement à bien d'autres films turcs, il existe des sous-titres pour celui-ci. Malheureusement, ces sous-titres sont en espagnol; ne parlant pas un mot d'espagnol, ma compréhension de l'intrigue n'en a été que très légèrement améliorée.

 

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Vous comprenez maintenant pourquoi je vous parlais de l'imagination du spectateur trop souvent sollicitée?

 

S'ensuit un générique fait de panonceaux peints à la main, et directement emprunté au Superman original (musique comprise). Nous faisons alors connaissance avec Clark Kent, enfin ce qui en tient lieu ici. Vous vous souvenez de Christopher Reeves? Et bien préparez-vous à un choc car le Christopher Reeves turc ressemble à cela:

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Coucou!

 

Je vous présente Tayfun Demir, acteur sur lequel je n'ai pas appris grand-chose si ce n'est qu'il se nommait en réalité Haşim Demircioğlu, qu'il nous a quitté en 2003 et qu'il s'agit ici de sa seule apparition cinématographique, si l'on excepte une courte apparition dans un film intitulé « En Büyük Yumruk », sorte de James Bond turc dont il faudra que je vous parle un jour. Un talent d'acteur limité, une carrure qui fait de lui un journaliste crédible mais un surhomme douteux, ce bon Tayfun (dont le personnage se fait aussi appeler Tayfun, pratique) ressemble plus ici à un cosplayer dans une convention de DC Comics (si, vous savez ces salons hors de prix où on vend des BD hors de prix à des cinglés déguisés en Batman) qu'à un sauveur de l'Humanité.

 

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Tayfun, disais-je, est journaliste, non pas au Daily Planet mais dans un journal appelé « Dunya » (« le Monde » hé oui!), en compagnie d'une certaine Alev, la Lois Lane de service, accessoirement fille d'un célèbre scientifique, le professeur Hetin. Avant cela, Tayfun, avait quitté la ferme familiale et avait obtenu la révélation: un Marlon Brando turc lui étant apparu et lui expliquant qu'il avait « la force d'Hercule, la vigueur de Zeus, la sagesse de Salomon et la patience d'Atlas (?) », ainsi que tout un tas de pouvoirs rigolos que les scénaristes lui inventerons au fil de l'histoire.

 

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Turkish Jor-El

 

 

En parlant de "pouvoirs rigolos", voici ce qui arrive quand Superman a du mal à contrôler ses pouvoirs, prétexte à l'indispensable séquence "gauloiserie".

 

Hasard incroyable, il se trouve que le père d'Alev viens de découvrir, lors d'une expédition, une météorite renfermant une pierre venant de krypton. Cette pierre (il s'agit bien sûr de la kryptonite verte), aurait des propriétés incroyables et pourrait même servir à offrir à l'Humanité une source d'énergie inépuisable. Parallèlement, un collègue du professeur Hetin (le Lex Luthor local) viens d'inventer une machine qui, sous des dehors de vieil appareil à diapos trafiqué, serait en fait capable de transformer n'importe quel métal en or.

 

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Comme le disait Confucius "Tout film d'exploitation turc sans sbire à moustache n'est qu'un mensonge".

 

Désireux de devenir « l'homme le plus riche et le plus puissant du Monde » (pléonasme), cet affreux jojo se rends compte qu'il a besoin de la kryptonite pour faire marcher son engin. Armé de quelques sbires, il tente alors d'enlever le professeur, ou sa fille, ou les deux, pour s'emparer du caillou magique. C'était compter sans Superman.

C'est au bout d'une vingtaine de minutes, donc, que le film devient réellement intéressant, notamment quand Superman se met à utiliser ses pouvoirs et notamment à voler, effet obtenu en filmant l'acteur en gros plan devant un écran où défilent des paysages, ou alors en suspendant un mannequin en bois devant ces même écran. Superman doublé par Big Jim, ca donne çà:

 

 

 

Vous noterez que dans cette vidéo, Lois/Alev est attachée à l'arrière d'un camion que les méchants ont envoyé dévaler une route de montagne, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? En outre, un spectateur attentif notera que le camion fou ne l'est pas suffisamment pour oublier de tourner dans les virages.

 

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De façon générale, les plans machiavéliques des méchants sont assez tirés par les cheveux, d'autant plus que la plupart des sbires sont d'une bêtise abyssale (à se demander si ce n'est pas le propre des sbires). Vous vous souvenez de ces aventures de Lucky Luke où à chaque fois que les Dalton dégainent alors qu'ils savent très bien que Luke va les désarmer en deux coups de cuiller à pot? Et bien là c'est pareil: à chaque fois qu'ils voient Superman, les sbires vident leur chargeur dessus alors qu'on voit bien qu'il les dévie (l'effet étant obtenu en lançant à la main des balles sur l'acteur), avant d'en venir aux mains, mais attention,hein: un par un et en prenant soin de bien frapper à dix centimètres de la cible, c'est Superman quand même.

 

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"Haha, comme si une guillotine en bois pouvait faire peu à Superman!"

 

Sous des dehors de films semi-amateur filmé à la va-vite avec un casting à moitié recruté sur place et des trucages à la Meliès, « Supermen donuyor » se doit d'être vu avec le recul nécessaire. En le regardant, certains ricanerons, d'autres ne tiendrons pas cinq minutes ou se demanderons pourquoi ils s'abîment devant ce truc alors que « Superman Donuyor » est à voir comme ce qu'il est: un film à très petit budget fait par des gens dont le métier était de divertir. C'est un peu pour çà que j'aime les séries Z, parce qu'elles sont souvent faites par des gens qui réalisent leur rêves en même temps que leur film, par des gens qui se soucient assez peu de la vraisemblance de ce qu'ils tournent du moment que c'est eux qui tournent, des gens qui n'ont pas écouté tous les oiseaux de mauvais augure qui leur ont dit que jamais ils n'y arriveraient, qu'ils feraient mieux de faire un vrai métier, des gens dont la philosophie fut de ne pas avoir de regrets et de divertir...

 

Simplement divertir.

 

 

Fiche technique:

 

Titre original: Süpermen Dönüyor

Réalisateur: Kunt Tulgar

Année: 1979

Durée: 1h07

Genre: Türk Süperman

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