Vocation fatale
« L'avantage des médecins, c'est que quand ils font une erreur, il l'enterrent rapidement »
Alphonse Allais
Bien qu'il fut souvent question dans les tomes précédents de la saga « William Monk » de l'état de la médecine britannique au milieu du XIXe siècle (et pour cause, l'un des personnages secondaires les plus importants, Hester Latterly, est infirmière), « Une vocation fatale » approfondit ici le sujet en se concentrant sur ce milieu ô combien angoissant qu'est l'hôpital et ceux qui y exercent leur profession.
Tout commence pourtant dans un cadre plus bucolique mais pas forcément dans des circonstances moins sordides. William Monk est contacté par une femme dont la sœur dit avoir été « molestée » (comprenez par là « violée ») alors qu'elle peignait dans le pavillon d'été du jardin. Refusant d'aller porter plainte auprès de la police, en sachant parfaitement que cette dernière a pour habitude de traiter les victimes de viol comme des chiennes (dans tous les sens du terme), elle a préféré se rendre auprès d'un détective privé. Cet épisode occupe les trois premiers chapitres du livre et, à première vue, il semble indépendant de la suite de l'histoire (à première vue seulement): le coupable est assez rapidement identifié, on ne peut pas dire que cela se termine de la façon la plus heureuse possible, le gros morceau arrivant plus tard.
Monk ne tarde pas à avoir à nouveau du travail, et ce coup-ci ce n'est ni plus ni moins que sa mécène, lady Daviot, qui a besoin de lui. Entre autre activités, celle-ci est membre du conseil d'administration du Royal Free Hospital où quelqu'un vient de mourir. Il n'y a rien de surprenant à trouver un mort dans un hôpital, aussi prestigieux soit-il. Ce qui l'est plus c'est quand le cadavre en question est celui d'une infirmière, qu'on le retrouve dans la goulotte à linge de l'établissement et qu'il porte des marques sur le cou qui ne laissent que peu de doutes sur l'origine du décès: elle a été étranglée.
Comme souvent, la victime est quelqu'un à qui personne ne semblait vouloir de mal. C'était une femme de bonne famille, qui avait appris son métier en Crimée et qui était passionnée par son métier en particulier et par la médecine en général. On disait même que son rêve était de devenir médecin, ce qui bien sûr était ridicule, personne ne pouvait concevoir qu'une femme ait l'intelligence la force morale suffisante pour exercer une telle profession. Le seul soucis c'est que quand personne n'est suspect, tout le monde l'est et que ce meurtre peut tout aussi bien être le fait d'un soupirant rejeté que d'une rivale, d'une infirmière jalouse ou d'un des médecins qu'elle aurait tenté de faire chanter: il ne se passe pas que des choses légales dans cet hôpital.
D'ailleurs qu'il s'y passe des choses légales ou non ne rendrait pas cet établissement des plus rassurants pour autant, pour un lecteur moderne, bien entendu. A l'époque où se déroule ce roman, la médecine connait des progrès importants: c'est au milieu du XIXe siècle, par exemple, qu'apparaissent les premiers anesthésiques (avant, il y avait bien la gnôle mais son efficacité était relative) et de plus en plus de médecins militent pour de meilleures conditions d'hygiène dans les chambres et une meilleure formation des infirmières. Les hôpitaux ne sont pas pour autant des modèles de perfectionnements en matière sanitaire: les infirmières refusent pour la plupart d'ouvrir la moindre fenêtre, les outils sont imparfaitement stérilisés, les fièvres se soignent à l'eau froide et les opérations se font dans les cabinets des médecins avec tous les risques infectieux que cela implique. Le milieu hospitalier est à l'époque un mélange de progrès et d'archaïsme et cet état de fait semble bien avoir précipité le destin de la victime, « une vocation fatale » étant surtout l'histoire d'une femme qui a cru son époque plus avancée qu'elle ne l'était
Comme souvent la police semble être d'une incompétence crasse, trop soucieuse de ménager les puissants et d'être crainte des faibles pour prendre le temps de se montrer juste, préférant, comme souvent dans ces romans, choisir le coupable plutôt que le démasquer. Rien de neuf sur ce plan là, le roman se terminant comme le précèdent par une scène de procès où, ce coup-ci, maître Rathbone (à croire parfois qu'il n'y a qu'un seul ténor du barreau à Londres, mais passons) ne va pas tarder à se retrouver devant un drame cornélien, que faire quand vous êtes avocat, que votre client est acquittable mais que vous doutez de son innocence? Malheureusement, si la scène du procès est plutôt bien écrite (mais moins prenante que la précédente) elle souffre du fait de se finir de façon beaucoup trop abrupte, je n'ai rien contre les romans où l'on ne découvre la vérité qu'à quelques pages de la fin mais là nous n'avons le fin mot de l'histoire que quelques lignes avant la fin, ce qui laisse penser qu'Anne Perry a eu un peu de mal à l'amener de façon plus subtile.