Liberté Egalité Choucroute
« On dit que quand on nous ampute un membre il nous fait encore mal des années après.
T'imagines Louis XVI la migraine qu'il doit avoir? »
Pierre Brasseur
On dit souvent que l'on reconnaît quelqu'un de talent à sa capacité à prendre au sérieux ce qu'il fait et non ce qu'il est... enfin je ne suis pas sûr que ce soit la sagesse populaire mais moi, en tout cas, je le dis. Prenez Jean Yanne, par exemple: l'homme paraissait plutôt déconneur, dilettante, se cachait derrière une apparence de barbu soupe-au-lait mais c'était pour mieux dissimuler un véritable génie, un artiste complet, capable, dans un même film, de s'occuper de la réalisation, du scénario, du premier rôle, de la musique et même de chanter le générique de fin. Si cela ne force pas l'admiration, je ne sais pas ce qu'il vous faut.
Ça faisait un petit moment que je voulais parler de Jean Yanne sur ce blog mais bon, il me fallait une occasion et vu que je viens de mettre la main sur une copie de « Liberté, Égalité, Choucroute » et que le 14 juillet arrive à grands pas, je me suis dit que c'était le moment où jamais.
« Liberté, Egalité, Choucroute » est un film dans la veine de « Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ », à savoir une parodie historique remplie d'un bon paquet de guest-starsvenues par amitié participer à cette grande farce. Fourmillant d'anachronismes (qui ne sont souvent que des transpositions d'éléments réels de la vie quotidienne de l'époque), ce film se veut donc un monument à cette page marquante de l'Histoire que fut la Révolution française.
Paradoxalement, ce n'est pas à Paris que débute le film mais à Bagdad la majestueuse. Alors qu'il règne sur le monde arabe en sachant, quand il le faut, avoir une main de fer dans un gant d'acier, le calife, s'enquiert un jour des nouvelles du Monde. Comme le dit son vizir, Raymond, il est dommage qu'il ne règne sur l'ensemble des Hommes: en Europe, par exemple, c'est la chienlit. Le peuple râle, a faim, menace de renverser les rois... tsss.... c'est bien triste tout cela, les souverains d'Occidents manquent de poigne. Une nouvelle cependant retient son attention: à Paris se tient actuellement le « Salon de la Torture et de l'Équipement de Bourreau ». Rien de bien extraordinaire de prime abord: au niveau tortures et modes d'exécution atypiques l'Orient aurait plus à apprendre à l'Occident que l'inverse. Si ce n'était l'annonce de la présentation par le docteur Guillotin d'une machine à décapiter de son invention absolument révolutionnaire. Curieux de voir cela, il embarque pour Paris avec son fidèle vizir.
Ce début est un bon exemple de ce que je vous disais au départ: ce qui semble être une fantaisie ou un anachronisme possède souvent une part de vérité. En 1910 (ou dans ces eaux là), le Shah d'Iran, se rendit à Paris en voyage officiel. Apprenant qu'une exécution allait avoir lieu boulevard Arago, il se rendit au petit matin assister à la mise à mort, curieux, dit-on, de voir comment fonctionnait une guillotine.Il fut, dit-on, déçu de la rapidité du supplice et les officiels eurent bien du mal à lui faire comprendre qu'il n'y avait pas d'autre condamné à mort en stock, et que, par conséquent, il était impossible de faire une seconde démonstration.
On lui expliqua également qu'il était hors de question, contrairement à ce qu'il suggérait, de décapiter quelqu'un pris au hasard dans la foule.
Pendant ce temps, à Paris, Marat dirige d'une main de fer « L'ami du peuple ». Ce dernier tyrannise notamment son assistante, Charlotte Corday qui, bien qu'elle se démène, n'a jamais grâce à ses yeux. La révolte gronde, le mécontentement est attisé par les gazettes révolutionnaires et une discussion dans un bistrot dégénère, amenant une foule innombrable à prendre la Bastille.
De son côté, Louis XVI ne s'inquiète pas outre mesure: la prise de la Bastille? Il n'y avait plus personne dedans. Le peuple veut du travail et a faim? Et ben du travail, il y en pas.... quant au fait que le peuple ait faim... ca lui fait penser que lui aussi a faim.
Et allez savoir pourquoi, il se taperait bien un gigot.
Vous l'aurez compris, l'image de Louis XVI donnée dans ce film est similaire à celle que l'on nous apprenait en primaire: celle de ce gros roi mou et idiot, flanqué d'une reine qui ne s'intéressait qu'à ses moutons et qu'on soupçonnait assez fortement d'être un peu boche sur les bords.
Bon, là elle est jouée par Ursula Andress qui est suisse allemande mais bon, l'accent germanique est là.
Personne ne sort réellement grandi de ce film, d'ailleurs: le calife est une brute, Marat ne vaut pas plus cher, le roi est idiot, le peuple prêt à avaler n'importe quoi, quant aux leaders révolutionnaires, ils n'ont strictement rien à faire du peuple. Comme disais je-ne-sais-plus-qui « les gens détestent les inégalités mais adorent les privilèges. Et le plus souvent, ils n'appellent « inégalités » que les privilèges des autres », ces hommes ne dérogent pas à la règle: ils n'ont rien à faire du peuple, ils veulent simplement la place des aristocrates.
Desmoulin, Mirabeau, Charlotte Corday, Danton et Robespierre en plein conciliabule. A noter, pour l'anecdote, que Danton est joué par Olivier de Kersauzon, navigateur émérite et grand ami de Jean Yanne, dont c'est la seule apparition au cinéma.
Ça critique, ca hurle mais dès que le roi montre les crocs, il n'y a plus personne: Louis XVI est décrit comme un roi faible qui est sur le point d'être renversé par des gens qui ne valent pas plus cher que lui; les rares à ne pas être lâches sont des hypocrites.
Charlotte Corday est campée ici par Mimi Coutelier, une ancienne mannequin devenue costumière, mais également épouse de Jean Yanne qui lui confia quelques rôles dans ses films.
Inutile de vous préciser que la vérité historique prends un sacré coup dans l'aile, notamment quand le calife de Bagdad se retrouve mêlé aux sans-culottes et prends d'assaut le château de Versailles.... Oui, Versailles, il était un peu compliqué de tourner aux Tuileries. Mais peu importe de détourner le cours du temps lorsque c'est fait avec suffisamment de talent. Quant au devenir de Louis XVI, je me garderait de le dévoiler mais dites-vous bien qu'il ne prends pas la forme d'une guillotine.
Alors, est-ce un bon film? Disons qu'il est inférieur à « Deux heures moins le quart avant J.C. » mais il reste néanmoins l'un de ces délires où l'Histoire n'est que la toile sur laquelle un artiste va peindre ses fantaisies. Sous des dehors légers « Liberté, Égalité, Choucroute » est aussi une satire de la société humaine (peu importe l'époque) et l'expression de l'idée selon laquelle même les plus nobles idéaux peuvent être salis et détournés dès qu'ils sont mis entre les mains d'êtres plus ambitieux que convaincus.
Fiche technique:
Réalisateur: Jean Yanne
Année: 1984
Durée: 1h 49
Pays: France
Genre: Si Versailles m'était conté...