Mad Foxes
Tel que vous me voyez, j'ai participé à pas mal de Nuits Excentriques, sept pour être précis et, qu'elles ait eu lieu à la Cinémathèque ou, comme cette année, au Grand Rex, elles ont toujours été sources de découvertes. Le plus souvent, la découverte intervient au deuxième film, aux alentours du de 22h30/23h. Le premier film est souvent un nanar de petite volée, en VO, destiné avant tout à chauffer le public avant LA pièce de résistance qu'est le film suivant. Cette année, l'ordre fut un peu chamboulé dans la mesure où le gros morceau, celui dont nos rétines se souviendrons, nous est arrivé dès le début. Et ce faire cueillir à froid par ça, ça marque.
Qu'est-ce donc que "ça" ? "Ça" c'est "Mad Foxes", un rape and revenge de 1981... Tourné en Espagne par un réalisateur suisse allemand.... Avec des bikers... Nazis.
Tu veux vraiment que je poursuives, lecteur ?
A tes risques et périls.
On ne sait pas grand chose de la genèse du film : tout ce que l'on semble deviner est que le réalisateur, Paul Grau (dont c'est le premier et avant-dernier film) a voulu tourner un film pour un budget minimal. Ce qui expliquerait la délocalisation en Espagne, le choix d'acteurs amateurs ou semi-amateurs ainsi qu'une tendance manifeste à vouloir économiser la pellicule (nous reviendrons sur ce point). Autre mystère : le scénario. Si je te parles de rape and revenge c'est simplement pour le coller dans une case mais un terme plus approprié serait celui de film avec un scénar' foireux.
Laisses-moi te raconter le début du film, lecteur, tu va comprendre. Hal, ce que nous allons bien être forcés d'appeler le héros, s'apprêtait à passer un samedi soir tranquille en compagnie de sa conquête du moment. La conquête en question venait de fêter ses 18 ans et notre homme avait dans l'intention de la saouler afin de profiter de la situation et de lui faire voir le loup. Et c'est même pas du mauvais esprit de ma part : il le lui dit assez clairement !
Tout irait normalement si, à un feu rouge, il ne lui était venu l'envie d'embrasser sa victime sous les yeux d'un membre de gang de bikers moustachu mais néanmoins nazi qui lui fit remarquer que, bien qu'adorateur de la swastika, il n'en restait pas moins un observateur des bonnes mœurs et qu'il y a des choses qui ne se font pas en public. Bon, il utilise un langage un peu plus fleuri mais le cœur y est.
S'ensuit alors un échange verbal et tendu, qui débouche sur l'une des courses poursuites les plus courtes de l'histoire du cinéma : rapidement, une moto tire tout droit et s'encastre dans une auto avant... d'exploser car c'est ce que font les motos dans les nanars. Tout ceci est évidemment bien triste quand on sait que l'altercation a commencé par un simple "dis-donc ça ce te ferait rien de pas bécoter ta copine dans ta caisse pourrie ?" (gardez bien ça en tête). Ça c'est pour ceux qui s'intéressaient au sort des bikers. Quant à Hal, il a mis son projet à exécution et scrupuleusement veillé à saouler la gamine qui l'accompagnait.
C'est une fois celle-ci à point que le drame se joue. Les bikers, bien décidés à venger la mort de leur compagnon, dont Hal est indirectement responsable, ont passé la nuit à le traquer. Après avoir repéré sa voiture (une très discrète Corvette blanche à liserés jaunes et rouges), ils lui tendent une embuscade à la sortie du bar. Hal est battu comme plâtre quant à sa copine, l'un des bikers la viole (rapidement), avant de lui peinturlurer le visage avec le sang de son hymen (dans un plan d'une élégance et d'un raffinement rarement égalé vous vous en doutez). Puis ils détalent, sans évoquer au passage une veillée funèbre dans un amphithéâtre voisin.
Dans un rape and revenge classique, nous pourrions imaginer Hal ivre de rage jurer vengeance au chevet de l'élue de son coeur puis traquer un à un ces salopards avant de les tuer dans des raffinements de cruauté dépendant du degré d'imagination du scénariste.
Mais nous sommes dans un nanar, lecteur, et vu ce que je t'ai déjà dit de notre ami tu te doutes bien qu'il va être moins chevaleresque.
Après avoir conduit sa dulcinée à l’hôpital, Hal se sert un verre (le premier d'une longue série) et échafaude un plan. Le plan en question consiste à appeler ses copains du dojo voisin afin de tendre un piège aux bikers réunis pour se bourrer la gueule et bruler le corps de leur camarade tombé au champ d'honneur (ce qui fait plus classe que "celui qui s'est vautré comme une merde avec sa moto explosive"). Je passerai sur le fait que des bikers nazis peuvent réquisitionner un théâtre antique sans soucis pour procéder à une crémation, le plus intéressant n'est même pas là. Le plus intéressant c'est que cette cérémonie va être interrompue par Hal, qui, quand il se fait attaquer à 5 contre 1, rameute 25 potes pour équilibrer les débats (cet homme est le héros, je vous le rappelle). Le clou de la scène étant le moment où Hal, qui n'a pas bougé le petit doigt de toute la baston, va ... couper la bite du chef de gang avant de la lui faire bouffer!
Dans la mesure où ce n'était pas lui le violeur, on se demande alors qui est le plus méchant dans l'histoire.
Bon ben voilà, Hal a donné une leçon aux bikers nazis, la gamine du début est vengée (ce qui lui fait une belle jambe dans la mesure où on ne la revoit pas du reste du film), on va pouvoir dérouler le générique de fin ! Comment ça "le film n'a commencé que depuis 20 minutes" ? Le souci c'est qu'on a épuisé nos idées de scénario alors... Ben on a qu'à dire que les bikers partent à la poursuite d'Hal ! Et Hal... ben on a qu'à dire qu'il leur échappe par miracle à chaque fois et puis vu qu'il est cavaleur on en profite pour caser quelques scènes de cul et c'est bon ! Et attention, on respectera la parité : il faut que le spectateur voie plus de bites que les urinoirs de la Gare de Lyon !
Et c'est en gros ce qui va se passer pendant une bonne heure : violence et nudité gratuite s'alternent, liées par un vague fil conducteur. En gros, 90% de scènes inutiles, suivant le canevas: "Méchants poursuivre gentil et tuer des gens / gentil culbuter gonzesses". Et histoire de varier un peu, on a un également des scènes totalement inutiles, comme Hal parlant de chasse à l'une de ses conquêtes, avant de tirer sur un Airbus ou encore, ce plan d'une trentaine de secondes où l'on voit la mère de notre héros lire un livre, le refermer, regarder par la fenêtre.... et c'est tout !
Non seulement Paul Grau tire sur la pellicule mais il ne fera même pas semblant de le dissimuler.
A sa décharge, pas mal d’éléments laisseraient penser à un film tourné en très peu de temps avec peu d'autorisations de tournage. Ce qui expliquerait pourquoi Paul Grau semble faire partie de ces réalisateurs moins adeptes du "coupez on la refait" que du "bôh, c'est pas grave, c'était spontané !". Un biker manque de se casser la figure en enfourchant sa moto ? "On la garde !" Un type galère pour enfiler ses chaussettes ? "On la garde !" On prévoit une scène d'amour dans une baignoire mais les deux acteurs galèrent pour y tenir à deux ? "On la garde !" L'eau de la baignoire est jaune pisse ? "Tant pis on fera avec, personne s'en apercevra !".
Quant au manque d'autorisation, il se manifeste par un détail assez amusant : les bikers nazis semblent avoir des brassards photosensibles. En gros, leurs brassards avec une croix gammée se transforment en brassards sans croix gammée dès qu'ils sont à l'extérieur. La seule explication rationnelle trouvée par le public est que, n'ayant pas d'autorisation de tournage, l'équipe du film voulait éviter des soucis supplémentaires en exhibant des symboles nazis. Ou alors, nous avons affaire à des nazis bien élevés, ce qui est renforcé par une observation : les bikers nazis peuvent violer la copine du héros, tuer son concierge, ses potes, ses parents, la bonne, le jardinier mais ne feront jamais une rayure à sa bagnole !
Ou alors c'est que c'était la voiture du producteur, qu'il avait prêtée à la condition qu'on ne l'abime pas.
Je sais qu'en principes il faudrait que je te racontes la fin, lecteur, histoire de t'épargner un visionnage mais là... je vais me contenter d'être vague. Apprends juste qu'Hal finit enfin par faire ce qu'il aurait du faire depuis le début et que lorsque tu le vois jouer la tristesse, tu comprends pourquoi on laissait son physique s'exprimer plus que le reste. Apprends juste que, visiblement, il suffit de demander son chemin pour trouver un repaire de néo-nazis homicides.
Enfin, apprends que "Mad Foxes" dispose de la fin la plus mal écrite, la plus illogique, la plus mal jouée et la plus whathefuckesque des sept galaxies ! Une minute trente qui, a elle toute seule, vaut que tu te tapes l'heure et quart précédente.
En définitives, apprends, que "Mad Foxes" est un excellent nanar dans la mesure où il reste aussi appréciable en groupe qu'en solo et aussi adapté à des nanardeurs expérimentés qu'à des débutants, pour peu que le trash ne leur fasse pas peur.
Un trailer qui a l'avantage d'être sous-titré en français et le désavantage de... spoiler 95% du film.
Fiche technique :
Titre original : Los Violadores
Année : 1981
Pays : Espagne/Suisse
Durée : 1h16
Genre : Zizi Riders