Suburban Commando
« Alors comme çà, monsieur Ramsey, vous ne venez pas d'ici? »
Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, Monmartre en ce temps là s'arrêtait le mercredi après-midi pour regarder Canal + et l'émission qui alors faisait un tabac chez les pré ados: les « Superstars du catch », commentée par Jean Brassard et Raymond Rougeaud. N'ayant pas Canal + à cette époque, je ne regardais que rarement ce programme: il fallait que je passe le mercredi chez un pote, qu'il pleuve et que la Megadrive/NES/Game Boy/Super Nintendo (rayez la mention inutile) soit indisponible. Je me souviens quand même de certains personnages, Yokozuna, par exemple mais aussi, et surtout, le véritable héros de cette série: Hulk Hogan, alias « Le viking chauve ». Hogan était LE favori de la foule (je dis « était » mais notez que le bonhomme est toujours vivant et catcherais même encore), celui qui faisait vendre des t-shirts et tout un tas de produits dérivés, c'était le mastodonte qui, à la fin de chaque épisode, dézinguait le vilain pas beau qui donnait le mauvais exemple aux petits enfants.
L"affiche originale du film (source: moviegoods.com)
Rapidement conscients de la porté commerciale du bonhomme, la WWF (la fédération de catch qui l'employait alors) s'empresse, dès la fin des années 80, à financer des films où joue sa vedette, s'assurant assez aisément des recettes plutôt confortables. Le premier de ces films s'intitulait « Cadence de combat » (« No Holds Barred » en VO), Hulk Hogan y incarnait...un catcheur super populaire qui devait se battre contre un promoteur de combat qui voulait pervertir ce sport merveilleux et noble qu'est le catch, où absolument rien n'est truqué.
Ici, le scenario est un peu plus subtil vu notre bon Hulk y incarne Shep Ramsey, un super mercenaire de l'espace qui lutte contre un tyran inter galactique. A l'origine, il avait été écrit à l'attention d'Arnold Shwarzenegger et de Danny DeVito; ceux-ci ayat préferé jouer "Jumeaux", le script fut racheté pour une somme modique et le Hulkster y remplaca l'Autrichien bodybuildé.
A ce propos, le jeu d'Hogan est absolument dantesque: visiblement le bonhomme sait jouer les gentilles brutes sur un ring quand il s'agit de faire semblant de se battre avec un costume extravagant, par contre pour ce qui est de jouer les personnages un tant soit peu plus étoffés, il n'y a plis grand monde. Chacune de ses apparitions étant un festival de roulements d'yeux, et de cabotinage à faire passer Vanilla Ice pour un acteur bergmanien.
"T'es à cours de métaphores, toi."
Comme tout bon film de science-fiction, celui-ci commence par une bataille spatiale où des vaisseaux mal incrustés se battent à coup de laser contre un croiseur copié sur le modèle des croiseurs impériaux de la Guerre des Etoiles. Nous y rencontrons le General Suitor, le tyran inter galactique cité plus haut. Alors qu'il s'apprête à savourer sa victoire, on lui apprends qu'un intrus (Shep) tente de s'infiltrer. Par «s' infiltrer », comprenez par là que Shep s'infiltre comme peut s'infiltrer un gros monstre de deux mètres et cent-cinquante kilos: en fonçant dans le tas! sa définition de discrétion se limitant à trois mots: « pas de témoins ».
Enfin bon, Shep élimine le méchant, se sauve mais, victime d'une avarie, est contraint de se poser sur une planète pour recharger son turbo, planète qui se trouve être la Terre, peuplée par ces êtres répugnants que sont les Terriens et que Shep ne supporte pas (personne ne sait pourquoi).
Suitor, le tyran intergalactique de service qui a pour étrange capacité de se transformer en une créature empruntant à "La Mouche" de Cronenberg dès qu'on vient à lui couper une main ou autre chose.
Il loue une chambre dans un quartier pavillonnaire à une famille tout ce qu'il y de plus banal: les Wilcox. Là il joue le bons samaritains en sauvant les chats, en sympathisant avec le vieux colonel gâteux qui passe ses journées dans une jeep sans roues plantée dans son jardin et en molestant les jeunes voyous qui passent leur temps à rouler à toutes berzingues en manquant d'écraser les gens. Vous remarquerez que pour quelqu'un qui n'aime pas les Terriens, il se montre assez philanthrope, encore que des raisons de ne pas aimer les Terriens il ne va pas tarder à en avoir.
"Ben déjà il faut voir comment ils s'habillent! Ils ont pas peur du ridicule ces types!"
Son logeur, étonné par l'accoutrement et le comportement assez peu commun de son locataire (bon, il dit qu'il est français, mais quand même!), décide de le suivre un jour jusqu'à son vaisseau et de jouer avec l'armure bionique et les super gadgets qu'ils contiennent. Il fait même ce que n'importe qui aurait fait à sa place: il se pare de l'équipement de Shep et va défendre la veuve et l'orphelin dans les bas-fonds de la ville (avec un succès pour le moins relatif). Cette escapade, si elle ne passe pas inaperçue aux yeux des voleurs de sacs, n'est pas passée non plus inaperçue aux yeux d'autres bad-guys aux intentions tout aussi mauvaises.
Charlie Wilcox (Christopher Lloyd, à gauche) et son patron tyrannisant ses employés avec un naturel et une bonhomie peu commune.
C'est là qu'intervient l'autre attraction principale du film, après les expressions faciales d'Hulk Hogan, à savoir la paire de chasseurs de prime cradingues. Sensés être les deux plus grandes terreurs de l'Univers, ayant juré allégeance à Suitor même par delà la tombe, ces chasseurs de primes se présentent sous la forme de deux brutes de plus de deux mètres, avec une cicatrice en mousse sur le front et une apparence générale dénotant une aversion aussi violente que manifeste pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à un savon. Le seul soucis est que la production n'avait qu'un seul comédien de plus de deux mètres capable de jouer ce rôle, ce fut donc l'un des producteurs, Hogan himself, qui dégota le second de la paire, non pas dans une école d'art dramatique mais plutot sur un ring de catch et...comment dire, savoir lequel des deux est comédien s'avère assez facile.
Shelley Duvall, habituée au rôles de mère de famille dévouée (notamment dans "Shining") qui joue ici... une mère de famille dévouée.
Les connaisseurs reconnaitrons facilement le catcheur Mark Callaway, plus connu sous le nom de ring de "The Undertaker" (le fossoyeur). C'est la première et dernière fois que ce dernier joue dans un film et on comprends assez rapidement pourquoi.
Et encore: pour la dernière vous n'avez pas le son!
Ceci mis à part, je vais peut-être répondre à la question qui vous brûle les lèvres depuis que vous êtes tombés sur cet article alors que vous étiez innocemment en train de faire des recherches sur Walter Sickert ou Vanilla Ice: à savoir: ce film est-il bon malgré tout? Et bien je sais tenté de vous dire « oui ». Ne me faites non plus dire ce que je n'ai pas écrit: ce n'est pas pour autant un chef-d'oeuvre, simplement un film destinés avant tout aux enfants avec ce que cela implique de ressorts scénaristiques faciles et de gags au raz des pâquerettes. Il n'en reste pas moins que le film se lasse regarder, peut-être aussi parce que, il faut bien l'avouer, je m'attendais surtout à un navet, au mieux à un nanar. Il est vrai qu'Hulk Hogan y est mauvais mais sa gaucherie, son manque de naturel passe relativement bien ici: il est un extraterrestre peu au fait des us et coutumes de la planète sur laquelle il vient de débarquer, qu'il ait l'air à l'Ouest n'est pas aussi déroutant que dans d'autres films.
Bonus: Notons aussi que le film fut décliné en jeu vidéo, ce qui en dit long sur l'âge moyen du public visé.
(source: coverbrowser.com)