Scorpion Thunderbolt
Il y a parfois des signes qui ne trompent pas. Lorsque, par exemple, dans une brocante, vous tombez nez à jaquette avec une vhs d'un éditeur que vous ne connaissez pas, vous ne pouvez qu'être intrigué. Quand, en plus, cette vhs se trouve au fond d'un carton, coincée entre deux vieux films "éducatifs" avec Brigitte Lahaie (qui a dit "pléonasme" ?), vous vous demandez si l'on aurait pas essayé de la planquer. Vos soupçons s'intensifient lorsque, après avoir pris l'objet dans vos mains moites, le brocanteur s'approche de vous et vous dit: «te fies pas à la jaquette, elle a rien à voir avec le film. Puis de toutes façons il est pas génial».
Approuvant ce monsieur d'un signe de tête, accompagné du regard blasé de celui qui en a vu d'autres, j'entrepris de retourner la vhs afin de lire le résumé au dos... .Il y a des signes qui ne trompent pas, disais-je, et quand vous voyez au dos de la jaquette une photographie de Richard Harrison, toutes moustaches dehors, brandissant un sabre en plastique, vous savez que ca sent le nanar.Quand, au-dessus, un résumé vous parle de monstre mi-serpent ni-scorpion et se paie le luxe de spoiler la fin, vous n'avez plus grand doutes à ce sujet.
On dit souvent que les rebuts des uns sont les trésors des autres et cette vhs miteuse, que personne n'avait du enfourner dans un magnétoscope depuis quinze ans venait prendre pour moi des airs de lingots d'or à 8000 carats. Je la mis donc sur la pile de vhs que je m'apprêtais à emporter. Je me souviens encore du regard du vendeur où se mélaient la surprise ainsi qu'un je-ne-sais-quoi de "Je t'aurais prévenu". Une fois chez moi, je mis mon magnétoscope sous tension, puis lui fit avaler la vhs, qu'il ingurgita en poussant un "cric-wiii-plonk", ce qui en langage magnétoscope signifie "qu'est-ce que t'es encore en train de me faire bouffer ?".
Je devais voir çà... et j'ai vu. Pour ceux qui ont connu les vhs (90% de mon lectorat, donc), vous vous souvenez qu'avant et/ou après le film, nous avions droit à des bandes annonces pour d'autres cassettes qui allaient sortir. Ici, il n'y en a qu'une seule et, pour d'étranges raisons, il s'agit... de la B.A. du film lui-même. Il s'agit d'une de ces vieilles bandes annonces où un narrateur à la motivation douteuse vous éxplique toutes les bonnes raisons d'aller voir le film.
Et des bonnes raisons de voir "Scorpion Thunderbolt" il y en a, il y en a même huit:
Raison supplémentaire, et on va dire que je garde le meilleur pour la fin : il s'agit ni plus ni moins que d'un 2 en 1 signé Godfrey Ho, avec une nouvelle formule appauvrie en ninja mais enrichie en monstres en caoutchouc. Pour ceux qui découvriraient ce blog par hasard après avoir tapé "Brigitte Lahaie" sur Google ou tout simplement ceux qui n'ont pas lu l'article sur "Black Ninja", laissez-moi vous re-situer ce qu'est le 2 en 1. Il s'agit d'une pratique, notamment utilisée à Hong-Kong durant les années 80, consistant à racheter des films à l'étranger (en Corée du Sud, au Vietnam à Taiwan, en Thailande et j'en passe), films non destinés à l'exportation, et à les retoucher en y ajoutant, tant bien que mal, des scènes avec des acteurs occidentaux. Le résultat artistique était, bien entendu discutable et les scénarii assez bancals.
Pour Scorpion Thunderbolt, Godfrey Ho utilisa un films Coréen sorti en 1984 sous le titre "Mongnyeo Han", ce qui pourrait se traduire par "La malédiction de la Femme Serpent". Il y ajouta ensuite une vague histoire de sorcière, poursuivant Richard Harrison, détenteur d'une bague qui pourrait la détruire.
Pour rester dans les rappels, la présence de Richard Harrison dans ce film est dûe à une sombre histoire. Harrison avait connu sa petite heure de gloire dans les années 60, où il tournait en Italie dans un grand nombre de péplums et westerns. Selon ses propres dires, sa plus grande contribution au cinéma fut lorsqu'en 1964, il refusa le rôle titre de "Pour un poignée de dollars" et conseilla à Sergio Leone d'engager un certain Clint Easrwood, et ce parce qu'il savait monter à cheval. Dans les années 80, il alla cachetonner à Hong-Kong, auprès de la société de production IFD d'un certain Joseph Lai. Celui-ci le confia à Godfrey Ho avec qui il tourna un premier film, enchainant les scènes sans grande cohérence. Richard Harrison raconta ensuite que Joseph Lai, ayant opportunément oublié de l'informer de la réglementation en matière de travail menaca de le dénoncer au fisc s'il refusait de tourner un second film. Ainsi, Richard Harrison se retrouva à tourner plusieurs dizaines de scènes, essentiellement dans le parc de Kwoloon. Ces scènes furent petit à petit utilisées pour fabriquer des 2 en 1 et Richard Harrison se retrouva donc dans des dizaines de films en n'ayant été payé que pour un seul.
Des doutes subsistent sur la véracité de cette histoire : a-t-il réellement tourné contre son gré ? S'est-il interrogé sur les raisons qui poussaient ses employeurs à lui faire tourner des scènes sans aucun lien entre elles ? Non seulement je ne saurais répondre mais j'ajouterais que, de toutes manières, cela me laisse de glace. Toujours est-il qu'il arpente ces films, celui-ci compris, avec un regard de chien battu, le genre de regard caractéristique de l'acteur qui ne tourne que pour payer ses factures.
Richard Harrison affirme ne jamais avoir vu les films qu'il a tourné à Hong-Kong. Bien lui en a pris au vu de certains résultats, dont la cohérence laissait à désirer, tentant de façon désespérée de faire coexister deux histoires qui n'auraient jamais dû se rencontrer.
Si la plupart des 2 en 1 sont des films de ninjas, bricolés à partir de films de kung-fu, "Scorpion Thunderbolt" est donc, comme je l'expliquais au début, un rare exemple 2 en 1 fantastique. Attention, quand je parle de "fantastique" il s'agit de fantastique à la sauce Godfrey Ho, comprenez par là que nous allons être davantage dans le dadaïsme que dans l'intrigue prenante et angoissante.
Tout commence dans un l'antre d'une sorcière aux ongles démesurés (encore une qui doit avoir du mal à se curer le nez), agitant ses doigts au dessus d'une boule de cristal clignotante. Que fait-elle ? Elle invoque un monstre figurez vous ? Pourquoi ? Je n'en sais rien, je vous en pose des question !? Non seulement nous ne savons pas qui est cette sorcière (et nous ne le saurons jamais) mais en plus nous n'aurons qu'une vague idée de la raison pour laquelle elle s'amuse à semer mort et hémoglobine par grosse bebête interposée. Le mystère s'épaissit lorsqu'intervient une sorte de flûtiste aveugle (?), tirant d'étranges mélopées d'une flûte à bec, sosie parfait de celles dont nous tirions des sons ignobles en cours de solfège en osant appeler ca de la musique. Envoûté par ces sonorités infernales, le monstre massacre sans pitié d'innocentes jeunes femmes qui rentrent chez elles de nuit après avoir été on ne sait où (ou alors c'est qu'il n'aime pas la flûte à bec, il y a des gens qui, dès qu'ils entendent trois notes de flûte se mettent à avoir envie de massacrer des bébés phoques à coup de pelles, je connais des gens comme ca qui... enfin bref).
Pendant que la police de Hong-Kong enquête, nous suivons les pérégrinations de Richard Harrison. Si beaucoup de 2 en 1 essaient de garder une certaine cohérence entre parties "occidentales" et "asiatiques", notamment par le jeu du champ/contre champ et des appels téléphoniques, "Scorpion Thunderbolt" s'en garde bien. C'est un peu comme si les deux histoires se déroulaient dans des univers parallèles.
Ainsi, pendant que la police enquête, ce bon Richard échappe aux assassins lancés à ses trousses par l'atroce sorcière satanique. Par chance, la sorcière a le pouvoir d'invoquer un monstre mais celui-ci n'étant pas dans le même film, notre héros l'a échappé belle. Faute de monstres, on envoie des humains, fautes de grives on envoie des buses. Vous voulez un exemple ? Le premier tueur envoyé par la sorcière est une espèce de strip-teaseuse vulgos et récupérée sur le bord d'une route par un Richard Harrison visiblement sensible, aux méthodes de stop originales. S'ensuit une scène de strip-tease complètement gratuite dont le seul intérêt réside dans le fait qu'elle se déroule sur du Jean-Michel Jarre (Godfrey Ho racontait qu'il utilisait des musiques libres de droits pour ses films... Jean-Michel Jarre sera donc content d'apprendre qu'il est tombé dans le domaine public à Hong-Kong).
L'ignoble hétaïre ayant tenté d'user de ses appâts pour assassiner notre héros, celui-ci en vient assez rapidement à se demander si, par hasard, quelqu'un n'en voudrait pas à son intégrité physique. Ses soupçons se confirment lorsqu'un malandrin vient tenter de l'assassiner chez lui et qu'un second l'attaque alors qu'il faisait tranquillement son footing.
Ce qui ne l'empêchera pas de se faire latter à coups de..serviette.
N'appréciant pas l'idée de ne plus pouvoir se promener tranquille, notre bon Richard se décide donc à en réferer aux autorités compétentes. Je ne parle pas de la police mais son vieux maître omniscient qui, par chance, passe le plus clair de son temps à boire du thé dans un temple au sommet d'une colline. Celui-ci, après que son disciple soit monté le voir pour lui expliquer qu'on fait rien qu'à l'embêter, lui explique qu'une sorcière le poursuit afin de s'emparer de la bague qu'il porte. Cette bague serait le seul moyen de détruire la sorcière (pourquoi ? comment ? on en sait rien), voilà pourquoi elle chercherait à s'en emparer. Après avoir commencé à raccompagner notre héros moustachu vers la sortie en lui expliquant que, à part lui fournir des explications, il ne peut rien faire pour lui le vieux maître se ravise et, touché par la grâce, fournit à notre héros le moyen de se débarrasser de la sorcière.
"Je peux pas t'aider petit scarabée, tu devra trouver te débrouiller par toi-même pour vaincre la sorcière.
-Ah, euh, bon tant pis...
-Nan, je déconne, voilà un sabre magique et un miroir magique, je vais t'expliquer le rituel pour la savater".
En résumé, "Scorpion Thunderbolt" est un 2 en 1 pour le moins classique, bien que, il faut le reconnaître, la partie asiatiquen'a pas l'air foncièrement mauvaise : le film original doit être tout à fait correct.
Et puis n'oublies pas lecteur, tu as huit raisons de voir "Scorpion Thunderbolt", tu en as même une neuvième: il s'agit d'un film "Brocoli qui Tousse Approuved".
Fiche technique:
Réalisateur : Godfrey Ho
Année: 1985 (1984 pour la partie asiatique)
Pays: Hong-Kong/Corée du Sud
Durée: 1h25
Genre: Magie noire et flûte à bec