Porte des Lilas

Publié le par Antohn

 

«Un anarchiste est un homme qui traverse scrupuleusement entre les clous,

parce qu’il a horreur de discuter avec les agents.»

Gerorges Brassens

 

Bon, se ressaisit, il est temps que le Brocoli qui tousse retrouve sa vocation initiale de blog culturel. Alors que les Oscars se profilent, le film dont je vais vous parler cette semaine d'un film qui a bien failli remporter celui du meilleur film étranger en 1958, « Porte des Lilas » de René Clair. Certains verront dans cette nomination le fait que le film soit teinté d'une ambiance très parisienne que les américains adorent (regardez le succès outre-Atlantique de « La Môme », des « Triplettes de Belleville » ou encore du « Fabuleux destin d'Amélie Poulain »), ce film étant considérés par quelques cinéphiles comme le chant du cygne du cinéaste et comme un long-métrage qui n"avait rien à faire dans cette cérémonie. Ce n'est pas mon avis mais nous y reviendrons.

 

PORTE DES LILAS

 

A l'origine, la raison qui m'avait amené à voir ce film était le fait qu'il s'agissait du seul film de Georges Brassens. Pas mal de vedettes de la chanson à cette époque se perdaient dans quelques navets uniquement créés pour montrer leur talent vocal. En écrivant çà, je pense bien sûr à Elvis Presley mais également à Tino Rossi qui montra des talents de chanteur certains mais des talents d'acteur approximatifs dans quelques productions de ce genre (bien que ce soit dans l'un de ces films, « Destins » de Richard Pottier (1946) que l'on entendit pour la première fois sa version de « Petit Papa Noel »).

Brassens, lui se contenta de jouer dans ce film là, adapté d'une œuvre de son ami René Fallet, en jouant un personnage qui lui ressemble tellement qu'il ne fait de mystère à personne que c'est à lui que pensait Fallet quand il créa ce personnage.

 

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Cela ne veut pas dire que Brassens ne chante pas, bien au contraire, le film s'ouvre même sur une ballade qui n'est pas inoubliable mais que l'auteur de ces lignes fredonne depuis quelques jours, probablement parce qu'elle lui rappelle un endroit où il se promène régulièrement. Nous sommes Porte des Lilas, dans l'un de ces quartiers typiques du Paris des années 50, avec ses écoliers en blouse qui se poursuivent avec leur cartable en carton bouilli sur le dos, ses agents de police à moustache et ses bistrots avec un comptoir en zinc et où flotte constamment une odeur faite d'un mélange de tabac, de café et d'alcools divers.

 

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Dans ce petit monde où tout le monde se connaît, Brassens est « L'Artiste », un chanteur sans le sou qui gagne sa vie en chantant dans des bars et qui habite une maisonnette branlante où il n'a pour touts bien qu'un lit en fer, une table bancale, deux chaises et un évier. Il a pour principal ami un ivrogne du nom de Juju (Pierre Brasseur), bon à rien de première catégorie et légèrement limité du point de vue intellect. Il voue une certaine admiration à l'Artiste qu'il voit comme le seul être altruiste de notre monde et un amour, tout ce qui a plus de platonique, envers Maria (Dany Carrel), la fille du patron du bistrot où il passe pour ainsi dire le plus clair de son temps.

 

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La vie s'écoule tranquillement Porte des Lilas jusqu'à ce que l'actualité s'invite par le biais d'un gangster en fuite. Pierre Barbier (Henri Vidal), voyou à la gueule d'ange, vient de rater un braquage au cours duquel deux policiers et trois passants ont été tués... le genre d'escapade qui finissent assez rapidement sur la bascule à charlots, si vous voyez ce que je veux dire. Le quartier est évidemment en ébullition: Barbier s'est réfugié dans le coin et la maréchaussée compte bien le retrouver.

Pas de chance pour l'artiste, non seulement il se retrouve avec une dizaine de boîtes de conserves volées sur les bras (cadeau de Juju qui voulait lui montrer que lui-aussi pouvait être altruiste) et l'ennemi public numéro 1 ne trouve pas plus drôle que de venir se cacher dans sa cave... et en piteux état.

 

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Nous n'assistons pas au braquadge en lui-même, ce sont des enfants qui le reconstituent dans la rue, Barbier étant rapidement devenu un héros pour eux. L'idée est peut-être ici d'expliquer la fascination d'une bonne partie du casting pour ce personnage, en rappelant ce réflexe puéril qui consiste à admirer ceux qui ont osé "franchir la ligne", de quelque manière que ce soit.

 

Peu désireux d'avoir affaire à la maréchaussée (il n'y est pour rien mais allez savoir si on ne va pas l'accuser de complicité), l'Artiste décide de cacher Barbier, aidé en cela par Juju, trop heureux de se rendre utile pour une fois. D'abord tendues, les relations entre ces trois hommes, qui chacun à leur manière, vivent en marge de la société finissent par se détendre. A aucun moment pourtant, l'Artiste ne reconnaît Barbier comme un ami, il ne l'héberge que par devoir, parce qu'il refuse de livrer à la justice un homme qui finirait à coup sûr guillotiné et n'est complice que par hâte de le voir partir de chez lui. Juju, lui, finit par vouer une certaine admiration au bandit: lui, le pochetron de la Porte des Lilas trouve quelqu'un qui lui fait confiance (faute de mieux, certes, mais il lui fait confiance). C'est triste à dire mais Juju semble aimer Pierre Barbier parce que grâce à lui il se passe quelque-chose dans sa vie et ce sentiment est partagé par le reste de la population; d'ailleurs un spectateur attentif notera que le braqueur est le seul à avoir les honneurs d'un nom et d'un prénom.

 

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Eternel jeune premier, Henri Vidal était connu à l'époque pour jouer avec la même dextérité les héros et les sales types.

Sa carrière, que l'on annoncait exceptionnelle, fut pourtant interrommpue brutalement en 1959, année où il mourut d'une crise cardiaque alors qu'il n'avait que quarante ans.

 

Une autre qui semble avoir un faible pour le beau criminel, c'est Maria, la jeune femme dont Juju est secrètement amoureux. Enfin, « secrètement » est un grand mot, disons que Maria semble s'amuser de l'affection que ce gros nounours de Juju semble lui porter. Il l'aime, elle le sait, ils s'en fichent... jusqu'à ce que Pierre Barbier ne la remarque et la fasse tomber sous son charme (quand vous êtes une fille de patron de bistrot de la Porte des Lilas, que vous avez le choix entre un honnête pochetron joué par Pierre Brasseur et un bandit joué par Henri Vidal qui vous promet de vous emmener en Amérique du Sud... disons qu'il n'y a pas photo).

 

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Il n'y a pas vraiment de morale dans ce film, les seuls êtres bons sont soit rejetés soit manipulés, voire les deux. Le seul homme a réellement avoir le profil d'un héros est le salaud du film et, même si ca ne se finit pas en drame, on ne peut pas dire que la fin soit des plus porteuses d'espoir, bien que les plus optimistes noterons que l'un des personnages pâtit fortement de ne pas avoir tenu compte des sentiments de ceux qu'il méprise.

Alors, évidemment, certains vous diront que ce n'est pas le meilleur film de René Clair, d'autres vous diront qu'il est un peu trop manichéen et que ce n'est pas tout de mettre un grand chanteur, deux grands acteurs et une actrice plutôt mignonne si le reste ne suis pas. On vous dira peut-être que, bon, Brassens joue bien parce qu'on lui a juste demandé d'être lui-même que les intermèdes musicaux n'apportent pas grand chose (j'ai rarement vu un intermède musical apporter quoi que ce soit à l'action dans un film de toutes façons) mais après tout, on ne va pas reprocher à un acteur de bien jouer son rôle. Si?

 

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Alors, vaut-il le coup? Si vous aimez les films de cette époque et que vous supportez les chansons de Georges Brassens (ne riez pas: il paraîtrait qu'il y a des gens qui n'aiment pas), oui il vaut le coup. Cela dit, je vous le répète, le film ne se termine pas comme une tragédie de Racine mais n'attendez pas d'en sortir plein d'espérance en l'être humain. Les seuls êtres altruistes sont des marginaux, les autres ne sont qu'au mieux falots, au pire bêtes comme des balais sans manche. Tous vouent une fascination mélée de crainte envers le braqueur meurtrier , s'accordant à dire qu'il s'agit d'un monstre... mais un monstre qui a sa photo dans les journaux tout de même! Maria, la seule personne qui essaiera d'en appeler au coeur du braqueur, la seule personne qui parviendra à voir l'homme derrière le monstre, manque d'être le dindon d'une farce indigeste.

"Pour vire heureux, vivons cachés" dit l'adage. J'ignore s'il dit vrai mais si je devais retenir une morale à ce film, c'est bien celle-là (et s'il faut que je conclue cet article, ce sera comme çà).

 

Fiche technique:

Réalisateur: René Clair

Année: 1957

Pays: France

Genre: A l'Est rien de nouveau

Publié dans Cinéma

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