Pays de cocagne
Un jour, Dieu créa la France et il en fit le plus beau pays du Monde
et puis, pour éviter toute jalousie, Dieu décida d'y mettre les Français.
Blague belge
Pierre Etaix. Ce nom résonne peut-être aux oreilles de certains, moi je vous avoue qu'il y a un mois j'ignorais jusqu'à l'existence de ce monsieur. A ma décharge, je ne suis pas le seul de ma génération à être dans ce cas. Pourtant, l'homme est plutôt intéressant: humoriste, dessinateur, comédien, cinéaste, mime, décorateur et j'en passe, il est étonnant qu'il ne soit pas plus connu ni plus apprécié. La raison est simple: pendant des années, ses films n'ont pu être diffusé, à la suite d'un désaccord entre lui et son producteur. Ce ne fut qu'en 2009 avec la projection « illégale » de l'un de ses films lors du Festival de Cannes, que le public se souvint de son existence.
Né à Roanne en 1928, Pierre Etaix est avant tout un dessinateur et un artiste de music-hall. Il collabora avec Jacques Tati, comme gagman, pour « Mon Oncle ». Mais c'est le personnage du clown Yoyo qui le fait réellement connaître. Il devient alors l'un des meilleurs représentants du comique visuel et il n'est pas rare à l'époque qu'on le compare à Jerry Lewis avec lequel il devient ami. Il fut même question de les faire tourner ensemble mais le projet fut avorté.
En 1971, Pierre Etaix sort son troisième long-métrage intitulé « Pays de Cocagne ». Le postulat de départ est simple: pendant l'été 1969, Etaix partit suivre la caravane du Tour de France avec une caméra 16mm. La France sortait des émeutes de mai 68, on fustigeait la société de consommation, le franchouillardisme, on se disait que plus rien ne serait comme avant, qu'on reviendrait aux vraies valeurs. Pierre Etaix eut alors l'idée d'aller constater de visu si la situation avait réellement changée.
Le moins que l'on puisse dire c'est que le résultat vaut le coup d'oeil.
C'est-y pas beau çà?
Trois mois de tournage, sept de montage, c'est en tout cas ce que Pierre Etaix nous déclare au début du film, noyé dans ses quarante kilomètres de pellicule. Des dizaines d'heures de métrage, que dis-je, des centaines et au final un film d'une heure et demie, à la causticité ravageuse.
Le film s'ouvre sur ce qui semble être un film de vacances, des prises de vues que tout un chacun aurait pris avec son caméscope: de riantes vallées que les rayons d'un soleil matinal viennent éclairer, de magnifiques édifices en granit du néolithique ou encore d'impétueux torrents de montagne où une eau cristalline vient caresser de placides galets aussi lisses que les joues d'un nourrisson (ou les fesses d'un babouin, cela dépend de votre capacité à vous émouvoir).
Pierre Etaix avec les négatifs de son film. Son visage risque de rappeler quelque-chose à ceux qui ont vu "Micmac à Tire-Larigot": il y joue l'inventeur d'histoires drôle.
Oui, chers lecteurs, la France est belle, son patrimoine est grand, sa langue est magnifique, son vin est un nectar et vous n'avez jamais réellement mangé tant que vous n'avez pas goûté aux meilleurs représentants de sa gastronomie. Oui mais voilà, tout aussi grands, beaux, forts et intelligents que sont les Français (j'en sais quelque-chose: je suis français), ils n'en demeurent pas moins des Hommes et les observer dans leur habitat naturel relève du croquignolesque. Il faut dire que Pierre Etaix, en suivant la caravane du Tour de France, savait qu'il allait rencontrer quelques numéros qu'il ne manqua pas d'interroger sur des faits d'actualité (la conquête spatiale, l'érotisme, la jeunesse...)
En parlant de numéro, ce monsieur est assez étonnant: il réussit à jouer des castagnettes... sans castagnettes, uniquement avec ses narines.
Tout d'abord, qui dit « été » dans les années 60-70 dit forcément « concours de chant organisé par une chaîne de radio ». A l 'époque ce rôle était souvent dévolu à Europe N°1 qui profitait des vacances pour faire la tournée des côtes, à l'affut de chanteurs en herbe, plus ou moins talentueux et plus ou moins convaincus d'être le nouveau Johnny/Dick Rivers/Leo Ferré/Guy Béart/Jean Ferrat (rayez la mention inutile). Vous qui regardez « La nouvelle Star » ou ses dérivés uniquement pour voir des types massacrer Johnny Halliday ou Florent Pagny avec des voix de yacks qui agonisent, vous risquez d'aimer ces séquences.
Et pendant ce temps-là quelqu'un chante
qu'"Ils se croyaient des Hommes mais n'étaient que des nombres".
Parce qu'évidemment vous vous doutez bien que ce ne sont pas les plus doués que nous montre Pierre Etaix: c'est essentiellement ceux qui manquent de voix ou qui essaient d'imiter leurs idoles jusqu'à la caricature (il y a quelques sous-Johnny assez fendards) qui ont ici les faveurs du réalisateurs. D'autres, malgré une voix correcte, sont handicapés par un look qui détruit totalement leur « star power », comme ce monsieur, l'une des vedettes du film, qui ne se séparera jamais d'une paire de lunettes à double foyers qui lui donnent constamment un regard de grenouille, le genre de regard qui ne vous rends jamais crédible dans quoi que ce soit.
Des lunettes comme on en fait plus... et heureusement.
On a reproché à Pierre Etaix de se moquer d'une frange de la population, voire même d'être « réactionnaire ». Comme je vous l'ai dit, nous sommes juste après mai 68 et voir un histrion s'amuser à filmer des concours de mâts de cocagne, des radios-crochets idiots, des campings pleins et des plages bondées faisait un peu mauvais genre. La critique a reproché à Pierre Etaix de se montrer « contre révolutionnaire » en prouvant que peu de choses avaient changé en réalité. La publicité était toujours envahissante, ce bon vieux Tour de France battait son plein, les concours de majorettes étaient toujours aussi populaires, et le peuple se fichait totalement de changer quoi que ce soit du moment que leurs besoins étaient satisfaits.
Que penser? Méprisant Pierre Etaix? Lui s'est toujours défendu d'avoir voulu se montrer méprisant, de faire exprès de prendre les images les plus disgracieuses possibles afin de nous montrer que décidément les gens sont moches et bêtes. Évidemment que le ton est un peu caustique: les concours de majorettes ou les élections du plus beau bébé ont toujours été d'un kitsch patenté (surtout aujourd'hui) et si Pierre Etaix insiste dessus, c'est bien évidemment pour déclencher des sourires. Parallèlement, quand il interroge des candidats de radio crochets ou des musiciens de fanfare municipale, il les laisse librement parler de leur passion et jamais le réalisateur ne se permet le moindre jugement de valeur.
Je n'ai toujours pas compris ce que ce monsieur faisait en costume de majorettes,
si ce n'est qu'il semble en diriger une troupe. A ma décharge, personne n'a compris ce qu'il faisait dans cette tenue.
Le plus souvent, c'est en superposant des images anodines sur des propos anodins que Pierre Etaix parvient à faire rire c'est probablement pour cela qu'on lui a reproché de se moquer du peuple. Quand un péquin donne son avis sur l'érotisme et que Pierre Etaix nous l'illustre par des gros plans sur des cellulites, évidemment, c'est drôle, mais pris tels quels ni le son ni l'image ne sont moqueuses ou méprisantes ou quoi que ce soit (on ne voit ni l'homme qui parle ni le visage de la propriétaire de la cellulite). Disons que Pierre Etaix a le don pour capturer le détail cocasse.
Ce genre de détails par exemple.
Là où le film est intéressant, pour un spectateur moderne, c'est pour le tableau d'ensemble de la société de l'époque. Je n'étais pas né en 1969 et mes parents eux-même n'étaient pas vieux et il est plutôt intéressant de remarquer que... finalement, peu de choses ont changé en quarante ans, seules les modèles des voitures ont changé, les noms des vedettes ne sont plus les mêmes mais les aspirations des Hommes sont les mêmes et déjà il y avait des gens pour douter de la réalité des Hommes sur la Lune, pour vilipender l'indigence des programmes télé ou pour fustiger cette jeunesse qui ne s'intéresse plus à rien.
Si ce n'est à trouver une exucse crédible pour sortir de là.
D'aucuns me rétorqueront que « Le Pays de cocagne » n'est pas l'œuvre la plus représentative de Pierre Etaix, même si, après tout, nous sommes toujours dans le comique visuel, même si celui-ci semble se faire au détriment des autres. Plus sérieusement, Pierre Etaix parvient à marcher sur la frontière entre moquerie et taquinerie comme tout bon funambule qui se respecte.
"Cet été ? Boh, vous savez, il ne s'est rien passé d'important."
Fiche technique:
Réalisateur: Pierre Etaix
Année: 1970
Pays: France
Durée: 1h13
Genre: Souviens-toi, l'été dernier.