Ni vu... ni connu
Contrairement à ce que certains pourraient penser en lisant certains de mes articles, mes lectures ne se limitent pas aux polars victoriens. En même temps, les chances pour que vous soyez un lecteur assidu sont assez minces: le plus souvent les gens qui arrivent ici ont juste tapé « homme qui tousse » dans un moteur de recherche (grippe A oblige).
Mes lectures, disais-je, sont plus variées qu'il n'y paraît, je suis, par exemple, un grand admirateur d'Alphonse Allais (1854-1905). Quand je dis admirateur, c'est un euphémisme: je donnerais un rein pour avoir un dixième du talent et de l'humour de cet homme. Fondateur du mouvement fumiste, précurseur des tableaux monochromes (dont les célèbres « Cueillette des Tomates sur les bords de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques », «Première communion de jeunes Filles chlorotiques par un Temps de Neige» et « Combats de nègres dans un tunnel »), compositeur de la « Marche Funèbre pour les funérailles d'un grand homme sourd » (sans la moindre note car les grandes douleurs sont muettes), Alphonse Allais est souvent présenté comme le maître à penser de la plupart des grands comiques français du XXe siècle.
En 1899, sort l'un de ses textes les plus célèbres: « L'affaire Blaireau », qui, sous des dehors d'anodin vaudeville champêtre cache en réalité une satire acerbe sans jamais être grinçante de la société de la fin du XIXe siècle. Témoin du succès que rencontra cette œuvre: sa rapide adaptation à l'écran en 1923, suivi d'une seconde, en 1932 et, enfin, celle qui nous intéresse: celle d'Yves Robert en 1958.
Quelle est l'intrigue, me demandez-vous, puisque vous n'avez pas lu le livre? Et bien elle est à la fois simple et compliquée et relativement fidèle à l'ouvrage, la principale liberté prise avec l'œuvre étant le fait que l'intrigue soit transposée de nos jours (comprenez par là « à la fin des années cinquante »). En gros ce serait une histoire digne de guignol et du gendarme, d'ailleurs Yves Robert ne s'y trompe pas: le générique d'ouverture défilant devant un théâtre de marionnettes où un Guignol poursuit un gendarme et vice-versa. Tout commence, et tout se déroule, d'ailleurs, dans la ville de Montpaillard, « la ville la plus calme de France » proclame un écriteau à l'entrée. Pour être paisible elle l'est, elle l'est trop même: on s'ennuie ferme à Montpaillard, mais c'est le prix de la tranquillité, ironie du sort, c'est ici qu'est implantée la prison du canton, ici où l'autorité a l'apparence débonnaire et rebondie du garde-champêtre Ovide Parju (Moustache).
Ce bon gros bonhomme aux faux airs de Sergent Garcia (rôle qu'il joua en 1972 en affrontant Alain Delon) n'a qu'un seul réel adversaire, un braconnier que tout le monde connait sous le nom de Blaireau (Louis de Funès). Quand l'histoire commence, cela fait vingt ans que les deux hommes jouent au chat et à la souris, Parju tentant depuis tout ce temps de prendre Blaireau en flagrant délit de braconnage ou de quoi que ce soit de répréhensible. Le seul hic c'est que Blaireau est malin, très malin et connait la forêt comme sa poche, il est en plus aidé d'un toutou, baptisé « Fous-le-camp » qui a l'avantage de posséder un QI tout à fait respectable...pour un clébard s'entend.
Parallèlement, s'opère une autre sorte de poursuite entre le professeur de piano, Amédée Flechard (Claude Rich), et la fille du châtelain local, Arabella de Chaville (Noëlle Adam). Celle-ci, incarnation parfaite de l'ado rebelle du début des années soixante (elle écoute du rock, roule en Vespa et lis des « Séries Noires ») est aussi extrêmement romanesque et ne jugera digne de son intérêt qu'un homme qui osera prendre des risques pour elle. Flechard décide alors de déclarer sa flamme, de façon anonyme à Arabella et lui donne rendez-vous de nuit. Il n'avait juste pas prévu que Parju fasse une ronde de nuit et prenne Flechard pour Blaireau en le voyant escalader la clôture du château de Chaville. En s'enfuyant, Flechard s'enfuit et assomme Parju.
Voilà là où l'histoire se complique: Parju a enfin l'occasion de coffrer Blaireau, il ne l'a pas vu, il faisait trop sombre, mais il ne peut pas laisser passer l'occasion. Tel Elliott Ness faisant tomber le mafioso Al Capone pour fraude fiscale, Parju fait tomber le braconnier Blaireau pour coups et blessures sur un représentant de la force publique. Condamné à un mois de prison pour cette pécadille, il est envoyé à la prison de Montpaillard, prison en lice pour le titre officiel de « prison la plus cool du Monde ».
La prison de Montpaillard est administrée par un certain Monsieur Bluette (Pierre Mondy), un brave type qui, fauché, « décida de devenir directeur de prison par crainte d'y finir ». Adepte d'un mode d'incarcération humain, Bluette confie à chacun de ses détenus une occupation en lien avec ses précédentes activités à condition qu'elles fussent honnêtes, faisant de sa prison une sorte de petite cité où tout le monde vit en harmonie en faisant ripaille le soir entre copain, quand le gardien chef n'a pas prévu d'excursion au cinéma.
Quant au réel coupable, Flechard, il broie du noir: Arabella, persuadée que c'est bien Blaireau qui a tenté de lui rendre visite, est tombée sous le charme du rude braconnier. D'où cette situation ubuesque: alors que Blaireau clame son innocence, Flechard, lui, clame sa culpabilité et fait des pieds et des mains pour entrer en prison et acquérir le côté rebelle et insoumis qui plait tant à l'élue de son cœur. Abberration administrative: alors qu'il est innocenté, Blaireau est obligé de rester en prison jusqu'au retour de vacances du procureur, il n'en fallait pas moins pour alerter le parti révolutionnaire du jeune avocat Maître Guilloche (Jean-Marie Amato). Vous avez bien lu: il y a un parti révolutionnaire à Montpaillard, selon Alphonse Allais, il compterait dix-huit membres sur dix-mille habitants. Ce brave avocat organise alors la résistance, érigeant cette fripouille de Blaireau (aussi attachant soit-il) en martyr de l'immobilisme et du conservatisme.
L'adaptation du roman est d'excellente qualité, j'aurais juste un bémol: la sous-exploitation de maitre Guilloche, sorte de petit bourgeois révolutionnaire qui finit par se faire prendre à son propre piège (un précurseur de ces donneurs de leçon qui crachent sur la société de consommation avec des fringues à cinq-cent balles pièce). Malgré cela le films réussit le tour de force d'être aussi drôle que le livre bien que l'humour ne vienne pas forcément des mêmes éléments: ici Guignol poursuis le gendarme pendant qu'Arlequin tente de séduire Colombine, le tout se terminant en charivari général.
Alors évidemment, oui, ca manque d'originalité mais Dieu que c'est efficace.
Fiche technique:
Réalisateur: Yves Robert
Année: 1958
Pays: France
Durée: 1h 35
Genre: Imbroglios champêtres