Monsieur Verdoux

Publié le par Antohn

 

"C'est l'histoire de bien des grosses affaires.

Un meurtre fait un bandit, des millions un héros. Le nombre sanctifie."

 

Vous avez vu « The Artist » ? Si non, vous devriez vraiment consacrer deux heures de votre vie à aller le voir, que vous aimiez ou non le cinéma muet. Ce film est le genre de bijoux comme il en sort un tout les cinq ans et ses multiples nominations aux Golden Globes ne sont, à mon avis, que justice. Quoi qu'il en soit, des avis sur « The Artist », il y en a des pelletées sur le Net et vous n'êtes pas venu ici pour çà.

L'histoire du film m'a un petit peu interpellé : un acteur de muet qui tombe dans la déchéance après l'avènement du parlant, c'est l'histoire de bien des stars des années 20. A tout bien réfléchir, très peu de vedettes du muet ont continué à être des vedettes dans le parlant.

Ce qui n'a pas empêché à certains de continuer à faire de grands films : regardez Charlie Chaplin. Sur les 86 films qu'il tourna, il ne fit que 5 parlants mais parmi ces films, il y a celui dont je vais vous parler.

 

Affiche

 

L’histoire raconte que, sept ans après son premier film parlant, « Le Dictateur », Chaplin fut approché par Orson Welles. Celui-ci avait écrit un scénario, s'inspirant de l'affaire Landru, qui avait défrayé la chronique dans la France des années 20. Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire, Henri Landru, un homme déjà condamné pour quelques escroqueries, avait été condamné à mort et guillotiné en 1922 pour avoir assassiné une dizaine de femmes. Il passait des annonces matrimoniales dans les journaux et sélectionnait celles qui n'avaient pas ou peu de famille, les convainquait de retirer tout leur argent des banques puis les assassinaient avant de se débarrasser des corps dans une cuisinière en fonte. Le personnage marqua les esprits, non seulement parce des tueurs en séries en France il y en avait peu mais également parce que Landru fit preuve, lors de son proçès, d'une effronterie peu commune.

 

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Je ne digresse pas tant que cela : pour comprendre ce film, il faut comprendre l'Histoire d'où il est tiré. Landru, à l'époque, passait pour être, non un bel homme mais tout du moins quelqu'un de séduisant (il était chauve et barbu pourtant... mais c'était une autre époque). Et puis c'était un homme qui ne manquait pas d'esprit, voire d'un humour pour le moins inhabituel dans sa situation. « Monsieur le président » avait-il lancé au président du tribunal, qui réclamait la plus grande des sévérités, « vous parlez tellement de ma tête que je regrette de n'en avoir qu'une à vous offrir. ». La légende raconte également que, le matin de son exécution, on lui demanda s'il avait une dernière volonté : « J'aimerais manger des fraises » répondit-il. « Ce n'est pas la saison » lui fit remarquer le greffier, « Ce n'est pas grave, j'attendrai » répondit Landru.

Tout cela pour vous expliquer que Landru avait été l'objet d'une fascination morbide qui continue encore de nos jours : pour vous donner un exemple, la cuisinière dont il se servait pour brûler les corps de ses victimes a récemment été mise aux enchères après avoir été un temps la propriété du Musée Grévin. Pour ceux que cela intéresse, elles est maintenant la propriété de l'animateur de télé Laurent Ruquier.

 

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Non, ce n'est pas vraiment un spoiler: le film s'ouvre ainsi. Nous voyons la tombe du personnage principal tandisque celui-ci, en voix off, nous raconte son histoire.

 

Lorsqu' Orson Welles proposa, disais-je, un scénario basé sur cette histoire à Charlie Chaplin, c'était dans l'idée qu'ils travaillent ensemble, qu'Orson Welles réalise pendant que Chaplin jouait dedans. Sur le papier, cela pouvait être séduisant mais Chaplin refusa : il n'avait rien contre Orson Welles et l'histoire lui plaisait, mais il avait toujours dirigé ses films et il n'avait pas l'intention que cela change. Voici pourquoi il acheta le scénario à Orson Welles (pour 5 000 dollars), scénario qu'il remania, créditant néanmoins Orson Welles pour « l'idée originale ». Orson Welles déclara par la suite qu'il y avait un peu plus que l'idée originale dans le script final mais qu'il ne s'en offusquait pas outre mesure, ne tenant pas, de toutes façons à ce scénario.

Il n'en reste pas moins que la mise en scène est d'une qualité peu commune, portée par un Chaplin qui s'est ingénié à camper un personnage principal comme une sorte de double maléfique de son célèbre Charlot.

 

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Pour l'anecdote, lors de la sortie du film en France (en septembre 1948), la production de "Monsieur Verdoux" fut poursuivie par un homme qui estimait que le film portait atteinte à son image.

Il faut dire que le plaigant était employé de banque à Paris et se nommait... Henri Verdoux!

 

Henri Verdoux (vous constatez que le prénom est le même que Landru) fut pendant trente ans un honnête employé de banque. Il ne gagnait pas très bien sa vie mais suffisamment pour faire vivre Mona, sa femme infirme, et son jeune fils. Et puis un jour, les affaires de la banque allèrent mal et Verdoux fut le premier à être renvoyé. C'est alors que, pour échapper à la misère, il eut l'idée de séduire quelques femmes seules et riches, de les amener à retirer leur argent de la banque et de les assassiner. Verdoux est donc présenté comme un homme qui aurais voulu rester honnête mais que l'injustice de la vie a mené à devenir un assassin. Verdoux est tour à tour un mari et un père aimant, et un assassin cynique et calculateur. Ce n'est pas un homme dont on parvient pourtant à condamner les actes et cela fut d'ailleurs reproché à Chaplin au moment de la sortie du film : il fut assez rapidement accusé par la censure américaine de l'époque (qui était, comme chacun le sait, ouverte, tolérante et absolument pas hypocrite), d'avoir fait un film pour excuser le meurtre.

 

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La mécanique bien huilée de Verdoux fonctionne parfaitement pendant des années, se faisant passer tour à tour pour un ingénieur, pour un capitaine au long cours ou encore pour un explorateur (histoire de justifier ses nombreuses et longues absences), il amasse une belle fortune qu'il justifie par de bons placements financiers et un commerce de meubles anciens. Un soir, un ami pharmacien lui apprends que l'on vient de découvrir la formule d'un poison absolument redoutable, tuant plusieurs heures après ingestion et ne laissant aucune trace dans l'organisme. Hors de question pourtant de laisse ce poison en circulation : imaginez ce que cela donnerais dans les mains d'un assassin !

 

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"Moui... imaginons..."

 

Très vite, Verdoux fabrique ce poison dans son laboratoire et se met en chasse d'un cobaye, de quelqu'un sur qui tester sa mixture et dont la disparition n’inquiéterais personne. Il trouve ce cobaye en la personne d'une jeune femme qui semble se protéger de la pluie sous un porche. L'invitant chez lui, il apprends assez rapidement qu'elle est belge et qu'elle sort de prison où elle a passé trois mois pour abus de confiance. Lui expliquant qu'elle traverse une mauvaise passe (terme poli à l'époque pour faire comprendre qu'elle se prostitue) et qu'elle vient de perdre son mari, qui était aussi infirme que la femme de Verdoux. Ajoutez à cela le fait qu'elle vient de recueillir un chaton et vous obtenez un portrait tout ce qu'il y a de plus émouvant, suffisamment, en tout cas, pour que l'assassin fléchisse et réserve son poison pour plus tard. Bien lui en prends, d'ailleurs, notamment parce que ce poison lui sert assez rapidement à se débarrasser d'un commissaire de police qui venait de découvrir son manège.

 

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Tout allais pour le mieux jusqu'à ce que deux grains de sable se mettent à gripper sa mécanique. Le premier c'est le fait que la famille de l'une de ses victimes se mette à avoir des doutes, s'étonne que leur parente ait si rapidement épousé cet homme qu'ils ne connaissaient pas, qui se présentait comme un explorateur pour une société de géographie qui n'existait pas. Cette famille n'eut alors plus de cesse que de vouloir le retrouver, mettant ainsi la police à ses trousses.

Le second, c'est sa femme, la seconde.

Verdoux, en se faisant passer pour un capitaine de cargo, le Capitaine Bonheur (!), a en effet épousé une certaine Annabella, une femme aux allures de demi-mondaine, dont il espère bien s'emparer un jour de la fortune. De la même façon que Verdoux et le contraire de Charlot, Annabella est le contraire de Mona. Si Mona est montrée comme une femme douce, calme, et attentionnée, Annabella est, quant à elle, malhonnête, impulsive, mal élevée et ponctue la plupart de ses phrases par un rire qui n'est pas sans rappeler le bruit d'un sac de noix qui dévalerais un escalier.

 

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Verdoux aura beau tenter de la noyer, de la chloroformer, de l'empoisonner, toutes ses tentatives se soldent par des échecs. Comme je vous le disais, la victime étant assez peu sympathique, le spectateur se surprends à souhaiter que le tueur parvienne à ses fins (ne serait-ce que pour faire cesser ce rire!). Sans s'en rendre compte, nous oublions que le personnage principal est un assassin qui n'agit que par appât du gain et nous en venons à ressentir de la compassion pour l'homme.

 

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Les Hommes refusent la qualité d'être humain à ceux dont les actions leurs semblent indignes de la civilisation. Combien de fois, a-t-on entendu un criminel être assimilé à un « monstre » ? Verdoux est-il un monstre ? C'est un tueur cynique, méthodique, c'est un homme qui, mine de rien, n'a aucun respect pour la vie humaine. Mais, après tout, n'est-il pas à l'image de la société dans laquelle il évolue ? La banque qui l'a renvoyé après tant d'années de bons et loyaux services a-t-elle eu du respect pour la vie de l'homme qu'elle mettait à la rue ? Ne s'est-elle pas montrée elle aussi cynique et calculatrice ?

C'est l'idée de départ de la scène du procès : Verdoux n'est que le reflet de ce que peut être la société, il est la personnification de ses plus bas instincts et c'est moins pour ses meurtres qu'il semble être condamné à mort que parce qu'il est une verrue sur le visage d'une humanité qui se veut sans tâches. Cette même société qui fourbit ses armes, cette même société prête à partir de nouveau en guerre et qui encensera alors les marchands de canons, qui eux aussi prennent des vies innocentes afin de s'enrichir.

 

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Vous vous en doutez, ce film fit un flop : en 1947, le public n'avait pas vraiment envie de venir voir des histoires de meurtres, fussent-ils tournés sur le ton de la comédie ? De plus, le message véhiculé à la fin fut interprété par beaucoup comme un message crypto-communiste, ce qui amena Chaplin à être l'une des victimes du maccarthisme quelques années plus tard (bien que, comme il le faisait lui même remarquer : « Je suis millionnaire, je vis dans un château en Suisse, avouez que je ferais un drôle de coco ! »).

« Monsieur Verdoux » a donc rejoint les rangs des bons films qui n'ont pas trouvé leur public. On a reproché notamment à Chaplin de ne pas s'être affranchi des codes du muet et d'avoir usé de techniques de réalisation archaiques. C'est à moitié vrai : Charlie Chaplin cabotine un peu trop dans ce film, il y joue comme il jouait autrefois Charlot : avec de grands gestes, de grandes mimiques qui ne se justifient plus maintenant que le son est là pour transmettre des émotions. D'un autre côté, ce cabotinage n'est pas non plus mal venu, dans la mesure où il permet de souligner la dualité du personnage.

 

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Charlie Chaplin avait tenu, au début du tournage, à commencer par tourner les dernières scènes de son film, qui n'étaient pas les plus faciles à jouer. Il disait que cela le débarrasserais d'un poids et permetterais de donner pleine mesure de ses moyens pour la suite.

 

Alors, vaut-il le coup ? Cent fois oui. On ne peut pas forcément dire que ce film remonte le moral mais il vaut quand même pour un Charlie Chaplin a contre-emploi de son rôle habituel et pour un film qui a quand même inspiré Claude Chabrol pour « Landru » et rien que pour avoir inspiré Chabrol il mérite une place dans mon panthéon personnel.

 

 

Fiche technique :

Réalisateur : Charlie Chaplin

Année : 1947

Pays : États-Unis

Durée : 2h00

Genre : Clown tragique

Publié dans Cinéma

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