Les monstres de la mer
« Un scénario doit produire une belle affiche, si l'affiche est bonne alors je produis le film »
Roger Corman
Et une belle affiche, une! (source: moviegoods.com)
Il est souvent question sur ce blog de films de série B, voire de série Z et il est difficile de parler de ce genre de cinéma sans faire un détour par Roger Corman. Véritable pape du film à petit budget, la carrière de Corman s'émaille d'autant de films bien faits et sympas (c'est quand même lui qui a mis le pied à l'étrier à des réalisateurs comme Francis Ford Coppola et James Cameron) que de nanars de la pire espèce et devinez à quelle catégorie appartient « Les monstres de la mer ».
Début 1980, Roger Corman repère un filon qu'il n'avait pas exploité jusque là: celui des remakes de films des années cinquante: il part du principe que « les gens » ne veulent pas voir de film en noir et blanc avec des trucages préhistoriques et il fait alors réaliser des remakes de ces films en couleurs.... en conservant les trucages préhistoriques.
Je serais bien incapable de vous dire de quel film « Les monstres de la mer » est le remake, bien qu'il ne soit pas sans rappeler « La créature du Lac Noir » auquel on aurait rajouté une dose d'« Alien ».
L'histoire est à la fois simple et compliquée: quelque part en Californie, dans le village de Noyo, les pécheurs de saumon se plaignent du manque de poisson. L'un des espoirs de certains est l'installation d'une conserverie à proximité qui pourrait fournir un emploi à pas mal de monde. Le village se partage entre pro-conserverie et anti-conserverie, parmis eux John, un indien qui voit d'un mauvais œil la construction d'une usine sur des terres piquées à son peuple.
Vic Morrow, acteur de renom tombé dans la série B et dont le destin fut des plus insolites. Embauché pour jouer dans la série "La 4e dimension", il mourut décapité par les pales d'un hélicoptère, pendant le tournage d'une scène.
Conscients du fait que leur présence n'est pas souhaitée par tout le monde, le directeur de la conserverie se déplace à Noyo et fait une grande annonce: son équipe scientfique, menée par une charmante généticienne, ont mis au point une variété de saumon gigantesque obtenue par manipulation de gènes. Bientôt ils les lâcheront au large et les pêcheurs alentours pourront pêcher des poissons gros comme des vaches. C'est pas génial çà?
C'est d'autant plus génial que le lendemain, on se rends compte que tous les chiens ont été tués sauvagement. Évidemment, le premier réflexe est d'accuser l'indien: on le menace, on lui brûle sa maison mais quand des hommes et des femmes disparaissent pendant que d'autres se font agresser en pleine nuit par des choses qui sortent de l'eau il faut se rendre à l'évidence: John l'Indien n'y est pour rien et il y a un truc pas très orthodoxe dans la flotte. Eux l'ignorent mais le spectateur le sait, le truc bizarre ressemble à ceci:
C'est là que l'expression "gueule de raie" prends tout son sens.
Comme vous pouvez le constater, ca pique les yeux et c'est encore pire quand çà bouge. Pour tout vous dire, la réalisatrice, Barbara Peeters, a même raconté par la suite que les cascadeurs sensés porter ces costumes ont refusé, les trouvant trop ridicules, ce qui fait que ce sont des figurants recrutés sur place qui jouent les affreuses bébêtes.
En parlant de figurant recruté sur place, l'un des rôles principaux est joué par un certain Doug McClure, icône, aux Etats-Unis, de l'acteur has-been. Son nom vous dit peut-être quelque-chose si vous regardez "Les Simpsons" et pour cause: il fut l'une des inspirations de Matt Groening lorsqu'il créa le personnage de l'acteur Troy McClure.
On apprendra plus tard l'origine de ces créatures: des saumons génétiquement modifiés se sont échappés d'un bassin d'expérimentation et sont été mangés par des cœlacanthes. Le coelacanthe (voir ci-contre) est un « fossile vivant », un poisson qui n'a pas évolué depuis des millions d'années et qui est donc tel qu'il existait au temps des dinosaures. Longtemps considéré comme disparu, cette espèce à refait surface (haha!) en 1938 lorsqu'un pêcheur sud-africain en ramena un dans ses filets. Selon la biologiste, le saumon transgénique n'était pas au point et, avalé par des poissons aussi étranges que les coelacanthes, ces derniers auraient rattrapé d'un coup des millénaires d'évolution et auraient muté en être humanoïdes. Comment un poisson mangeant un autre poisson peut se transformer en créature anthropomorphe, personne ne nous le dira, et je n'ose même pas imaginer les effets d'un tel produit sur un être humain.
Sortis de l'eau, ces créatures seraient poussées par leur instinct à massacrer les hommes et à violer tout ce qui ressemble à une jeune femme en tenue légère et ce dans le but de « parachever leur évolution » (sic).
Des gonzesses à poil, des monstres, du sang, de la fesse, pas de doute on est bien dans un film d'exploitation!
Vous me direz « Quoi! Des scènes de viol? Le film a été réalisé par une femme et il y a des scènes où des femmes se font violer par des hommes-poissons en rut? » et bien oui. Ce qui s'est passé est simple: en voyant le film, Roger Corman estimait que çà manquait de sexe et a demandé à ce que l'on en rajoute, histoire de vendre. Cela explique les motivations assez bancales qui poussent les créatures à violenter les jeunes femmes.
Barbara Peeters refusa de tourner ces scènes (on la comprends) et fut remerciée. C'est un certain Jimmy Murakami qui tourna les scènes de viol, ainsi que la scène finale, pompée sur « Alien » et augurant une suite qui ne vit jamais le jour.
L'animateur crétin de la radio locale ("Radio FISH") animant la Grande Fête annuelle du Saumon aux côtés de...
"Miss Saumon"!
Ce scénario bancal n'aurait pu être qu'un détail si le traitement du sujet n'avait pas été un ramassis de clichés et je ne parle pas que des personnages caricaturaux. Vous avez déjà vu des films de monstres où on suit pendant dix minutes des personnages qui ont « entendu un bruit » avant de s'apercevoir que le bruit venait d'un chat coincé dans la machine à laver? Et bien réjouissez-vous, vous y avez droit! En plus, heureux veinards, vous aurez même droit à la variante « crétin congénital qui ne trouve pas plus drôle de faire croire à sa copine que quelque chose rôde à côté de chez elle avant de lui sauter dessus en criant « Bouh! » ». Le pire c'est que le scénariste a l'air de trouver cette astuce extrêmement intelligente, nous la resservant trois ou quatre fois tout au long du film.
Autre cliché enervant: la voiture qui explose instantanément après avoir fait une chute de trois mètres
Aussi bizarre que cela puisse paraître, ce film rapporta pas mal d'argent, suffisamment en tout cas pour que Roger Corman en fasse faire un autre remake en 1996, avec un peu plus de moyens et, parait-il, supérieur à l'original. Bien que des plans entiers de ce film ait été réutilisés pour réaliser son clone.
Fiche technique:
Titre original: « Humanoids From the Deep » ou « Monsters »
Réalisatrice: Barbara Peeters
Année: 1980
Pays: Etats-Unis
Durée: 1h14
Genre: Saumon à l'oseille