Le Juge Ti à l'oeuvre

Publié le par Antohn

Parce qu'il n'y a pas que le polar victorien dans la vie, j'ai profité des quelques jours que j'ai de libres ces temps-ci pour élargir un peu mon horizon en m'attaquant aux enquêtes du juge Ti, oeuvres qu'un professeur de français avait conseillées à ma classe il y de cela bien des années et que je m'étais depuis promis de lire. Changement de décor: ce n'est plus dans le Londres du milieu du XIXe siècle qu'ont lieu ces enquêtes mais dans la Chine des Tang, au VIIe siècle après J.C. Qu'ont lieu les exploits de ce magistrat ressuscité par Robert van Gulik. Grand connaisseur de la culture chinoise, Robert van Gulik, qui a passé le plus clair de sa carrière de diplomate en extrême-orient, était assez agacé par l'image de la Chine telle qu'elle était véhiculée en occident: l'exemple le plus frappant étant le fait que les chinois soient constamment représentés avec une natte alors que le port de la natte date de la renaissance.

 

le juge ti

 

Joueur de lutte, auteur d'un ouvrage sur les mœurs sexuelles des Chinois dans la Chine ancienne, collectionneur d'estampes et fortement soupçonné d'avoir lui-même réalisé quelques unes de celles qu'il essaya de vendre à différentes grandes bibliothèques du monde, Robert van Gulik est essentiellement connu pour avoir traduit en 1948 le Dee Gong An. Ce très ancien récit relatait comment, au VIIe siècle, le juge Dee Renjie (ou « Ti Jen-Tsié ») avait résolu trois affaires criminelles épineuses. Il faut savoir que le juge Ti (puisque c'est comme cela que son nom fut traduit en français) est en Chine l'équivalent du commissaire Maigret ou de Sherlock Holmes, autrement dit le symbole de l'enquêteur avisé à l'esprit de déduction inégalé. Il continuera par la suite à relater d'autres enquêtes, dont une série d'histoires courtes parues sous le titre « Le Juge Ti à l'œuvre ».

 

Contrairement à Maigret et Sherlock Holmes, le juge Ti a réellement existé: il est né en 630 et est mort en 700: tout d'abord juge, il se fit remarquer par ses incroyables capacités de déduction qui l'amenèrent à la cour impériale où il finit ses jours comme chancelier de l'impératrice Wu. On dit que son honnêteté et son sens de la diplomatie ont permis de faire supporter au peuple le régime de terreur instauré par l'impératrice.

 

Quoi qu'il en soit, les enquêtes du juge Ti sont toujours l'occasion de démontrer des capacités de déduction incroyables de rapidité et d'efficacité. Une enquête du juge Ti est un peu comme une enquête du lieutenant Columbo, à ceci près que l'on ne connait pas le coupable dès le début: tout se joue à un détail et pousse le lecteur à être le plus attentif possible aux descriptions, aux témoignages et mêmes aux phrases les plus anodines s'il veut essayer de mener lui-aussi l'enquête.

 

Chaque enquête est pour van Gulik l'occasion de nous parler de la culture chinoise de cette époque, du monde de vie des humbles, de celui des puissants, des droits et des devoirs d'un juge à cette époque, ainsi que du fonctionnement de l'armée chinoise qui était, à l'époque, la plus puissante du monde, ce qui n'était pas du luxe dans la mesure où les mongols frappaient alors aux portes de l'Empire avec la délicatesse d'un troupeau de mammouths traversant une fabrique de vitraux.

Parfois, ces présentations sont plus importantes que les enquêtes elle-même qui sont parfois expédiées un peu trop rapidement: que le juge Ti ait de grandes capacités de déduction, je veux bien le croire mais parfois ce ne sont plus des capacités mais des dons de voyance: il le faut le voir, par exemple, élucider un meurtre uniquement à cause d'une orchidée fanée qui aurait pu l'être pour une quinzaine de raisons différentes.

 

Malgré cela les enquêtes du juge Ti se lisent avec un plaisir évident pour qui aime torturer ses méninges avec un minimum d'exotisme et, comme dirait Horace « Il a remporté tous les suffrages celui qui a su joindre l'utile à l'agréable ».

Publié dans Livres

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