La Momie

Publié le par Antohn

 

« Ankhsenamon, notre amour a duré plus longtemps que les temples des dieux.. Aucun homme n'a autant souffert que moi par amour ».

 

Si je m'écoutais (et si je le pouvais), je passerais mes semaines à vous parler de Boris Karloff, tant sa simple présence à l'écran peut vous sortir un film de la médiocrité. Regardez « Frankenstein » (celui de 1931, s'entend), on ne peut pas dire que ce soit un bon film, surtout quand on constate que l'esprit du roman de Mary Shelley y est immolé sur l'autel du happy end. Mais voilà, il y a Boris Karloff, dont la prestation dans le rôle de la créature marqua tellement les esprits qu'aujourd'hui son apparence est indissociable de celle du monstre.

Il fit si forte impression que, lorsque la Universal l'employa pour tourner dans « La Momie », en 1932, le nom de Karloff et le titre du film avaient la même taille sur l'affiche.

 

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Entre parenthèses, l'affiche de ce film, qui passe pour être l'une des plus belles de l'histoire du cinéma, est également la plus chère du Monde: il ne reste à ce jour que deux exemplaires originaux de cette dernière et l'un d'entre eux fut adjugé il y a une vingtaine d'années à 453 500 dollars.(source: moviegoods.com)

 

Ce n'est pas la première fois que l'on parle d'Égypte ancienne au cinéma, ni même de momies: dix ans auparavant, une équipe d'archéologues menée par Howard Carter mets au jour la tombe inviolée du pharaon Toutankhamon et en sortent une quantité d'objets magnifiques dont un masque funéraire exceptionnel qui fait aujourd'hui la fierté du musée du Caire. Parallèlement, on s'interroge sur la possible malédiction qui pourrait frapper ceux qui ont osé troubler le sommeil éternel du roi: en fouillant la tombe, on se rends compte que des pillards avaient creusé un tunnel à l'époque ancienne mais que, effrayé par quelque-chose, avaient laissé leur butin à terre et s'étaient enfui. Et puis vient la fameuse « Malédiction de Toutankhamon »: au Caire, le canari de Lord Carnavon (mécène de l'expédition) est dévoré par un cobra, or le cobra était un emblème royal dans l'Égypte ancienne, puis vient le tour de Lord Carnavon lui-même de décéder, lors de la projection d'un film traitant justement, de l'Égypte; on dit même qu'au moment de sa mort toutes les lumières se sont éteintes dans son manoir et que son chien préféré tomba raide-mort après avoir poussé un hurlement lugubre. La presse s'empara de cette histoire et se mit à parler de malédiction d'outre-tombe: en Égypte, les ouvriers qui avaient excavé mourraient les uns après les autres, un autre membre de l'expédition mourut renversé par une voiture à son retour en Angleterre; et puis il y a cette inscription relevée sur la porte de la tombe « la mort viendra de ses ailes frapper celui qui ose violer ce tombeau »... à ceci près que toutes les tombes de pharaons portent ce genre d'inscriptions.

 

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Je rassure tout de suite les plus superstitieux, ces histoires de malédictions étaient en fait inventées de toutes pièces: lors de sa découverte, Howard Carter avait réservé l'exclusivité de ses révélations sur ses découvertes au seul Times de Londres, ce qui fait que les autres journaux devaient bien inventer pour vendre, et ce au risque de vendre du papier. Aucun de ces journaux n'a jamais expliqué, par exemple, pourquoi Howard Carter n'avait pas été touché par la malédiction...

Encore que... tout bien réfléchi, Howard Carter a bien fini par mourir...

Quoi qu'il en soit, « quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende » et celle de la malédiction des pharaons était en marche. Ce n'était pas la première fois que les archéologues étaient confrontés à un mystère insondable: dès le début du XIXe siècle, certains exhumaient des momies qu'ils prenaient plaisir à dé-bandeleter en public. Les momies étaient plus ou moins bien conservées et le visage de certaines semblait figé dans un hurlement. Dopé par l'imaginaire victorien, par la peur que beaucoup avaient à l'époque d'être enterrés vivants, on fit de ces momies des trophées macabres, le genre de reliques que quelques lords anglais gardaient sous verre dans un cabinet de curiosité, entre l'axolotl dans le formol et le crâne de pithécanthrope. Le soir, après le dîner, ces lords ouvraient leur cabinet à leurs invités et leur racontait l'« histoire », forcément tragique, de cet infortuné qui ne pouvait qu'avoir été enterré vivant il y a des millénaires.

Ainsi naquirent des légendes sur la prétendue « cruauté » des Égyptiens; de nos jours, l'archéologie leur a rendu justice et il est établi que les Égyptiens étaient le peuple le plus humaniste du monde antique.

 

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Une autre énigme célèbre alimenta ces légendes, celle de la tombe KV55, énigme qui ne fut résolue que très récemment. En KV55 sarcophagus (Cairo Museum)1907, deux archéologues allemands brisent les scellés qui mènent à une tombe de la Vallée des Rois que les autochtones leur avaient indiqué. Pensant mettre au jour une tombe inviolée, quelle n'est pas leur surprise de se rendre compte que le mobilier funéraire a été emporté, la chapelle funéraire sensée contenir le sarcophage démontée et toutes les mentions du nom du défunt martelées. L'énigme s'épaissit lorsque les archéologues s'intéressent au sarcophage: il s'agit visiblement d'un sarcophage royale mais celui-ci a été éventré, les attributs royaux arraché, les noms effacées, les amulettes protectrices enlevées et le masque mortuaire arraché (cf photo ci-cintre, cliché musée du Caire). Quant à la momie, elle est réduite à l'état de squelette et seul un examen des os permis de savoir qu'il s'agissait probablement d'un homme (en même temps, le contraire aurait étonné...). Les archéologues se sont longtemps demandé qui était cet homme, quel crime horrible il avait bien pu commettre pour que son souvenir ait été effacé, ce qui, pour les égyptiens, était un châtiment pire que la mort.

Quel était son crime? Il avait décrété que le dieu Amon était un faux dieu et qu'il n'y avait de dieu que le disque solaire, Aton. En d'autres termes, il s'agissait de la tombe d'Akhenaton, un pharaon qui avait tenté d'instaurer une sorte de monothéisme en Égypte au grand dam des prêtres d'Amon qui profitaient souvent de leur position et de leur puissance pour mener la grande vie et qui n'ont pas versé de larmes quand il est mort (par contre, il semble qu'ils aient donné quelques coups de burin).

 

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Le maquillage de Boris Karloff (à gauche) se devait d'être le plus réaliste possible. Pour ce faire Paul Pierce, le maquilleur s'inspira de la momie de Ramsès III (à droite).

 

Quoi qu'il en soit, toutes ces histoires ont durablement marqué les imaginaires et les contes d'horreur où des momies reprenaient vie fleurissaient bien avant le film de 1932: visiblement, le premier film de ce genre date de... 1899 (« Cléopâtre » de Georges Melies), en 1911, « The Mummy » de William Garwood raconte même comment une momie fut ramenée à la vie par un choc électrique, une sorte de mélange entre « La Momie » et « Frankenstein », quoi. Universal, qui avait bâti une partie de sa réputation sur ses films de monstres, ne pouvait passer à côté de ce mythe; après Dracula, Frankenstein ou encore le Loup-Garou, la Momie prenait enfin vie dans une production Universal. A l'origine, le film devait s'appeler « Cagliostro » et raconter l'histoire d'un aventurier franco-italien qui, au XVIIIe siècle, disait avoir vécu plusieurs siècles. Et puis l'engouement pour l'Egypte fut tel à cette époque que l'on « égyptinanisa » le script original pour donner ce qui suit.

 

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Associé à Karloff, on confia le destin du film entre les mains de Karl Freund, cinéaste d'origine allemande, arrivé deux ans plus tôt aux Etats-Unis et réalisateur, dix ans plus tard, du film « Les mains d'Orlac » où un pianiste ayant perdu ses mains dans un accident se voyait greffer celles d'un tueur récemment exécuté.

« La Momie » fut tournée en deux mois (de septembre à novembre 1932), ce qui n'était pas exceptionnel à l'époque et pour un budget estimé à 200 000 dollars. La Universal avait, certes, déjà dépensé bien plus pour ses films, ce qui n'empêcha pas à l'équipe de faire un travail, il faut bien le dire, de très belle facture.

 

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Tout commence dans la vallée des Rois, en 1922, un groupe d'archéologues anglais étudie les vestiges retrouvés dans une tombe inviolée depuis des millénaires et dont personne ne se rappelait l'existence (toute ressemblance avec la découverte de la tombe de Toutankhamon n'est absolument pas fortuite). Ils sont particulièrement intrigués par le pensionnaire de cette tombe, un certain Imhotep dont l'étude de la momie et l'absence de vases contenant ses viscères laissent penser qu'il ait été momifié et enterré vivant. Pourquoi? Nul ne le sait mais seul un crime horrible contre les Hommes ou les dieux a pu pousser un pharaon à prononcer une telle sentence contre l'un de ses sujets.

 

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Seule l'étude du Livre des Morts retrouvé à côté du sarcophage peut éclairer les archéologues. Bon, évidemment, le coffret le contenant est gravé des habituelles menaces, promettant mort, ruine, maladie et impuissance à quiconque oserait poser ses grosses mains sur l'objet sans y avoir été autorisé au préalable. Mais bon, ce genre de menaces, les égyptologues en on vu d'autres et elles n'empêchent en rien l'un d'entre eux d'ouvrir le coffre et de lire, à haute voix, les papyrus qu'ils contiennent. Le résultat? Et bien il est prévisible:

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Là, je triche, il ne s'agit pas d'une image du film mais d'une photo prise pendant le tournage du film (source: wrongsideoftheart.com). Le costume de Boris Karloff l'empêchait de se mouvoir correctement. Le métrage final se contente de filmer la main de la momie s'emparant du papyrus...

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... comme ceci.

 

La momie disparait dans la nature, laissant un pauvre homme rendu fou de terreur et des archéologues qui se jurèrent de ne plus jamais mettre un pied en Égypte. Malheureusement pour le chef de l'expédition, Sir Joseph, dix ans plus tard son fils le pousse plus ou moins à retourner là-bas. En manque de crédibilité depuis l'expédition précédente, il a l'occasion de redorer son blason grâce à la découverte d'Ardath Bey, un mystérieux égyptien qui compte mener les scientifiques jusqu'à l'emplacement de la tombe de la princesse Ankhsenamon (entre parenthèses, Ankhsenamon était également le nom de l'épouse d'un certain... Toutankhamon dont il est pas mal question aujourd'hui). Si Ardath Bey connaissait l'emplacement de la tombe d'Ankhsenamon ce n'est pas hasard: Ardath Bey est en réalité Imhotep qui n'a de cesse que de vouloir ressusciter celle qu'il aimait. C'est même ce qui lui avait coûté la vie trois mille ans auparavant: après la mort de la jeune femme, il avait dérobé le Livre Sacré de Thot qui renfermait des secrets que les Hommes ne devaient pas connaître, comme le moyen de ressusciter les morts par exemple et c'est pour ce sacrilège qu'il fut momifié vivant et enterré avec le Livre, ce même livre qui permit de le ressusciter lui.

Pour l'instant c'est clair.... non?

 

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Anecdote en passant, le nom d'Ardath Bey est l'anagramme de "Death By Râ" ce qui en anglais signifie quelque-chose comme "Râ apporte la mort".

 

Le seul soucis pour Imhotep c'est que la momie d'Ankhsenamon ne lui suffit pas pour la ressusciter, vu que quand elle a été enterrée, elle, elle était morte, il lui faut donc trouver sa réincarnation qui, par un hasard incroyable, s'avère être Helen Grosvenor, fille d'un diplomate anglais et d'une égyptienne. Entre parenthèses, les noms d'Imhotep, d'Ankhsenamon et d'Helen Grosvernor furent régulièrement repris dans les adaptations ultérieures de « La Momie », à commencer par la version de 1999 que je vous recommande bien que l'esprit y soit un tantinet plus parodique. Imhotep doit donc convaincre Helen de le suivre jusqu'au musée du Caire où sont exposés tous les outils dont il aura besoin, et de la tuer afin de transférer son âme dans le corps immortel de la momie d'Ankhsenamon. Avant cela il faudra se débarrasser des quelques obstacles qui lui barrent la route et semblent avoir découvert son secret, dont Sir Joseph. Tout ceci n'est évidemment pas du goût du fils de Sir Joseph qui voit d'un mauvais œil qu'un mort même pas vivant lui zigouille son père et tente de drôles d'expériences sur une demoiselle qui ne le rends pas indifférend.

 

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David Manners, l'une des figures récurrentes du cinéma d'horreur hollywoodien des années 30, c'est lui qui, par exemple, jouait le rôle de Jonathan Arker dans "Dracula" de Tod Browning.

 

Ne parlant de drôles d'expériences, on ne peut que regretter le fait que le code Hayes, une sorte de « code moral » qu'il était impératif de suivre si vous vouliez que votre film passe la censure à cette époque (et donnant lieu à des règles ubuesques telles que l'interdiction de montrer un homme et une femme dans le même lit, fussent-il habillés et mariés) ait frappé, une fois de plus là où on ne l'attendais pas. Ainsi, ce fameux code nous priva d''une longue séquence illustrant les différentes réincarnations d'Ankhsenamon à travers les âges, au grand dam de l'actrice principale, Zita Johann qui croyait dur comme fer à la métempsychose1.

 

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Seul reste le flash-back où Imhotep raconte à Helen Grosvernor la façon dont il mourut. Soulignons que Karl Freund eut l'excellente idée, pour tourner cette scène, de créer un décalage par rapport au reste du film en la tournant selon les techniques employées pour le cinéma muet.

 

Paradoxalement, elle finit le film dans une tenue de prêtresse égyptienne que l'on ne peut que qualifier de légère pour l'époque et on ne peut que s'étonner que cet accoutrement ait été accepté par la censure. La raison est simple: Zita Johann était une femme qui avait, comme on le dit, poliment, un caractère « entier », une façon de dire qu'elle n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds ni sur autre chose, ce qui déplaisait fortement à Karl Freund. En tentant de lui faire quitter le plateau, il eut l'idée de lui faire tourner une scène en petite tenue, pensant qu'elle en serait outrée et qu'elle démissionnerais... sauf que Zita Johann avait rapidement compris où Karl Freund voulais en venir et contre toute attente accepta à la seule condition que la scène ne soit coupée par personne.

C'est pour cela que cette scène fut conservée, ce qui n'empêcha pas au film d'être interdit aux moins de seize ans lors de sa sortie en salles.

 

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Le mauvais caractère de Zita Johann semble lui avoir joué pas mal de tours. Cette actrice, née à Temesvar en Autriche-Hongrie (aujourd'hui Timisoara, en Roumanie), fille d'un officier hussard émigré aux Etats-Unis en 1911, elle monta sur les planches de Broadway pour la première fois en 1924 et fait ses débuts au cinéma en 1931 sous la direction  de D.W. Griffith dans « L'assomoir ». Assez difficile à gérer (il faut dire que quand vous appelez un producteur pour lui demander pourquoi « il s'évertue à produire des conneries », ca fait mauvais genre), elle se retire du cinéma en 1934, après sept films et se consacra entièrement au théâtre avant, en 1986, de faire une dernière apparition dans le film « Raiders of the living dead ».


On reprochera pas mal de choses à « La Momie », le fait que Boris Karloff n'apparaisse finalement que très peu dans son costume de momie (et pour cause, il fallait huit heures pour le lui poser et le costumier avait juste oublié qu'il puisse avoir une envie pressante, que voulez-vous, on en oublie parfois que Boris Karloff était un homme), on lui reprochera également une intrigue qui, somme toutes, ressemble énormément à celle de « Dracula » mais on ne saurait lui reprocher d'être un mauvais film, tant la réalisation est impeccable et les acteurs géniaux.

 

 

Fiche technique:

Titre original: The Mummy

Réalisateur: Karl Freund

Année: 1932

Pays: Etats-Unis

Durée: 1h10

Genre: "L'oeil était dans la tombe et regardait l'archéologue"

 

BONUS: La Bande-annonce originale, sous-titrée.

 

 

 

 

1C'est ainsi que le générique de fin crédite un certain Henry Victor et un certain Arnold Grey respectivement dans le rôle d'un guerrier saxon et d'un chevalier qui n'apparaissent pourtant pas dans le film.

Publié dans Cinéma

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