La Chute de l'Empire Romain
Vous qui, comme tout les dimanches, vous êtes connectés pour voir de quoi j'allais parler sur votre blog préféré (après celui avec des recettes de tartes aux pommes, je suis bien votre blog préféré, non?), vous n'allez pas être déçu. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je vais évoquer cette semaine un sujet que je n'aborde pas aussi souvent que je le voudrais. Non, pas la ripperologie... le péplum!
L'un des grands progrès du DVD par rapport à la VHS c'est le fait que pas mal d 'éditeurs ont fouillé dans les cartons de leurs catalogues et on ressorti tout un tas de films plus ou moins oubliés. J'ignore à quoi cela est dû (films tombés dans le domaine public, plus grande facilité à fabriquer un DVD plutôt qu'une VHS ou que sais-je encore) mais aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai souvent plus de facilités à trouver un film rare en DVD qu'en VHS.
« La Chute de l'Empire Romain » n'est pas à proprement parler un film rare, ni un film méconnu mais il fait partie de cette tripotée de péplums que des éditeurs se sont amusés à rééditer, à ma plus grande joie.
Vous constaterez que l'affiche du film reprends un peu la graphie de celle de "Ben-Hur" tout en insistant sur une course de char, ce n'est, évidemment, pas tout à fait innocent (source: moviecovers.com)
A l'origine, j'avais pensé à vous parler de « Gladiator », le seul film que j'aie vu plus de dix fois en moins d'un an. Et puis j'ai fini par me dire que des chroniques sur « Gladiator », il suffit de donner un coup de pied dans un moteur de recherche pour en voir tomber quinze. Je me suis dit que j'allais plutôt vous parler du film qui a inspiré « Gladiator », « La Chute de l'Empire Romain ». La plupart des péplums que j'ai en stock sont des films de série B, le plus souvent tournés en Italie dans des décors en carton-pâte, ce n'est pas le cas de celui-ci qui est de la race des superproductions à budget pharaoniques (près de 20 millions de dollars).
Après le succès de « Ben-Hur » (1959), avec Charlton Heston, et de « Cléopâtre » (1964), avec Elizabeth Taylor, la Paramount s'essaie également à la superproduction, en illustrant une période un peu plus méconnue de l'histoire de Rome, les prémices de la chute de l'Empire Romain. Quand à commencé le déclin de Rome? La question est sujette à pas mal de discussions, la thèse étant ici que Rome a vu sa puissance diminuer après le règne de l'empereur Commode (180-192 ap. J.C.).
Certains connaisseurs en matière de péplums me rétorqueront que Commode fait partie de ces empereurs qu'aiment mettre en scène les réalisateurs de péplums, il faut dire que le bonhomme avait de quoi inspirer les scénaristes.
Ici commence une zone de précisions historiques.
Commode, Lucius Aurelius Commodus, pour les intimes fait partie de ce que l'historiographie a qualifié de « mauvais empereur». Il a 19 ans lorsqu'il monte sur le trône et succède à son père, Marc-Aurèle. . Officiellement, Marc-Aurèle est mort de maladie à Vindobona (Vienne), probablement la peste, et, il faut bien le dire, il n'y a aucun élément tangible qui permette de penser qu'il soit mort d'autre-chose, d'autant plus qu'en 180, une épidémie de peste fait rage et être empereur n'a jamais immunisé contre quelque maladie que ce soit. Très vite, pourtant, on commença à accuser Commode d'avoir assassiné son père, arguant du fait que l'empereur est mort bien vite pour un homme qui avait les meilleurs médecins de l'empire à son chevet. C'est trop vite oublier que Marc-Aurèle avait passé trois ans à se battre contre les Germains (qui étaient loin d'être des beatnikspacifistes) et qu'il avait 58 ans; à notre époque, je conçois que c'est encore jeune mais pas au IIe siècle après J.C. où, passé soixante ans, vous étiez un vieillard.
Quoi qu'il en soit, l'idée selon laquelle Commode ait pu tuer son père dans son impatience de régner persiste et il n'y a pas non plus de raisons d'écarter cette hypothèse. Après tout, une vingtaine d'années plus tard, Caracalla tenta bien d'assassiner son père, Septime Sévère, à peu près au même âge et pour les mêmes raisons (il en avait marre d'attendre).
Une superproduction n'est jamais une superproduction sans ses cohortes de figurants. Pour l'anecdote, la version américaine du "Juste Prix" avait offertt à l'un de ses candidats, un certain Robert Reynolds, un rôle de figurant dans le film. J'ignore où il se trouve ici si tant est qu'il ait pris part à cette scène.
Vu le jeune âge de Commode1, il a probablement eu maille à partir avec le Sénat. Les sénateurs, enfin ceux qui prenaient leur rôle au sérieux, ont pensé qu'ils pourraient peut-être faire de l'empereur une marionnette et gouverner à sa place. Cela amena Commode à se montrer d'une grande sévérité avec les sénateurs, voire même d'une cruauté certaine, il faut dire que quand des sénateurs tentent de vous tuer, il y a des raisons d'être un brin paranoïaque. Il organisa pas mal de purges et ne perdait jamais une occasion de montrer sa puissance, aussi bien politique que physique.
Commode était dit-on, passionné par les gladiateurs, assez grand, plutôt bien bâti, doté d'une barbe qu'il se laissait pousser pour accentuer sa ressemblance avec Hercule, on racontait même qu'il était le fruit des amours de l'impératrice Faustine (qui avait la réputation d'être... « accueillante ») et d'un gladiateur. Il fut tué le 31 décembre 192 par un lutteur du nom de Narcisse, le lendemain, il avait prévu de défiler dans les rues de Rome vêtu en gladiateur et faire sacrifier les nouveaux consuls aux dieux pour célébrer la nouvelle année.
Après sa mort, l'Empire connut une période de troubles, similaire à celle qui suivit la mort de Néron en 68 (l'année 69 vit se succéder pas moins de quatre empereurs: Galba, Othon, Vitellius puis Vespasien). En 193, la pourpre fut donnée par le préfet du prétoire à un certain Publius Helvius Pertinax, un homme dont on ne sait que peu de choses si ce n'est qu'il était d'origine modeste et s'était distingué par sa bravoure, son intelligence et son honnêteté. La plupart des historiens s'accordent à penser que Pertinax était l'homme de la situation. Pourtant, Pertinax ne régna que trois mois, de janvier à mars 192, il fut assassiné par la garde prétorienne à qui il avait refusé de verser le bakchich traditionnel.
C'est alors qu'arriva un épisode marquant dans l'histoire de Rome: la pourpre ne fut pas remise au meilleur, les prétoriens offrirent leur soutient au plus offrant. En d'autres termes, en mars 193 ap. J.C., l'Empire fut vendu aux enchères. C'est à ce moment-là que Rome commença a perdre se son autorité, les luttes de pouvoirs se succédèrent et aboutirent, au IIIe siècle, à une crise politique et militaire dont Rome ne se remit jamais entièrement.
Voilà pourquoi le film s'appelle « La Chute de l'Empire Romain », il illustre la façon dont le plus puissant des empires peut s'effondrer parce que mis dans de mauvaises mains.
Fin de l'intermède historique, vous pouvez reprendre une lecture normale.
A l'origine, « La Chute de l'Empire Romain » devait réunir Charton Heston et Sophia Loren qui avaient déjà remporté un certain succès avec « Le Cid » en 1961. De plus, Charlton Heston restait pour toujours Judas Ben-Hur, personnage principal du plus grand péplum jamais réalisé. Malheureusement pour la Paramount, Charlton Heston refusa le rôle, préférant jouer dans « Les 55 Jours de Pékin ». Ce refus fut tardif et la production dût trouver rapidement quelqu'un, d'autant plus que Kirk Douglas refusa lui-aussi de jouer dans ce film, malgré son désir de jouer un jour avec Sophia Loren. Est-ce parce qu'il avait exigé qu'Anthony Mann soit remplacé par Stanley Kubrick pour réaliser « Spartacus »? C'est une possibilité.
Finalement, le choix des producteurs se porta sur Stephen Boyd.
Ce nom ne dit pas forcément grand-chose à grand monde et pourtant Stephen Boyd est de ces acteurs talentueux qui n'eurent pas la carrière qu'ils méritèrent, d'autant plus que celle de Stephen Boyd fut courte: il fut terrassé à 46 ans par une crise cardiaque. Le plus grand rôle de Stephen Boyd fut, en 1959, son rôle de Messalla, le meilleur ami puis ennemi de Ben-Hur, qui finit par l'affronter lors d'une course de char restée dans les mémoires des cinéphiles.
En 1962, il fut le premier choix des producteurs pour le rôle de James Bond dans « James Bond contre Docteur No », le seul soucis était qu'il était déjà engagé pour jouer le rôle de Marc-Antoine dans « Cléopâtre ». Il faut croire que le destin aime jouer de vilains tours à certains puisque peu de temps avant le début du tournage de « Cléopâtre », Elizabeth Taylor tomba gravement malade et le tournage dut être suspendu. Ne pouvant attendre (il avait d'autres films à tourner), Stephen Boyd démissionna et fut remplacé par Richard Burton. Il fut engagé, comme je vous l'ai dit pour jouer le héros de « La Chute de l'Empire Romain » et l'échec retentissant du film fut un énorme handicap pour la suite de sa carrière... en tout cas c'est ce qu'il racontait.
Du côté du casting féminin, ce fut un peu plus calme: Sophia Loren joua comme prévu, la seule originalité étant qu'elle devint la seconde actrice de l'Histoire du cinéma à toucher un cachet d'un million de dollars pour un film, la première étant... Elizabeth Taylor dans « Cléopâtre ».
A l'origine, ce n'était pas Christopher Plummer qui était sensé incarner Commode mais Richard Harris. Finalement, pour des raisons de "divergences artistiques", Harris refusa le rôle qui fut alors confié à Plummer. Ironie du sort, c'est ce même Richard Harris qui pris part au tournage de "Gladiator" ne jouant pas Commode mais... Marc-Aurèle.
Si vous avez vu « Gladiator », l'histoire du film en elle-même vous rappellera pas mal de choses. Nous sommes en Germanie, en 180 ap. J.C., Rome vient de soumettre les derniers peuples qui lui résistaient, grâce, notamment, aux efforts du général Livius (Stephen Boyd). L'empereur-philosophe, qui aspirait à la paix, fit alors venir des représentants de tous les peuples payant tribut à Rome pour leur annoncer l'avènement de la Pax Romana.
L'idée de Marc-Aurèle était de confier, après sa mort, les rênes du pouvoir à quelqu'un qui savait mieux que quiconque le prix de la paix, à savoir Livius. Les empereurs ne se succédaient pas forcément de père en fils, chaque fois l'empereur devait, en principes, procéder à l'« élection du meilleur » pour lui succéder et le meilleur pouvait très bien être son fils, qu'il soit naturel ou adoptif. Pour Marc-Aurèle, son propre fils, Commode, ne peut pas régner, il est trop jeune, trop impulsif et n'a aucune idée des responsabilités inhérentes à la fonction d'empereur. Il avertit sa fille, Lucilla, de ses desseins et ceux-ci finissent par parvenir aux oreilles de Commode qui s'empresse de fomenter un complot pour faire assassiner son impérial paternel et y parvient grâce à un procédé pour le moins ingénieux.
Marc-Aurèle mort, Commode décide alors d'écarter Livius (qui de toutes façons n'avait pas trop l'air de tenir à régner) en le faisant général en chef des armées. Tout aurait pu aller pour le mieux, d'autant plus que Livius et Commode sont amis et que tout aussi impulsif qu'il puisse être, l'empereur écoutera sûrement son vieil ami. C'était compter sans l'ivresse du pouvoir: à force de s'entendre dire qu'il était un dieu, Commode finit par le croire et par ne plus écouter personne, partageant sa vie en débauches de toutes sortes et exercices martiaux. Livius tente bien de le ramener à la raison mais Commode ne l'entends pas de cette oreille, il ne veut plus que qui que ce soit lui dicte sa conduite et, par-dessus le marché, l'idée d'une Pax Romana lui est insupportable: hors de question pour lui de vivre en harmonie avec des barbares poilus non mais sans blagues. Sa politique envers les provinces devient de plus en plus dure, voire cruelle et, fatalement, cela amène des révoltes. Envoyé les mater, Livius finit par se retourner contre son ami et empereur et par mener la révolte contre Commode.
Une dernière anecdote en passant, le décor du forum, gigantesque construction de 400 mètres sur 230 mètres, est, encore à ce jour le plus vaste décor de cinéma jamais créé. Il s'agit, à l'origine, d'un décor sensé représenter Pékin (et utilisé pour "Les 55 jours de Pékin) puis remaquillé par la suite, seule restait la topographie des lieux.
« La Chute de l'Empire Romain » est une très belle œuvre, un de ces films qui font que l'on aime le cinéma, un drame historique très bien réalisé et interprété. Il y a juste une chose qui me chiffonne avec ce film: c'est qu'il est long, trois heures sans entracte on le sent passer et je me demande si cette longueur n'a pas été la cause de l'échec du film. « Cléopâtre » aussi était un film long (4 heures), « Ben-Hur » aussi était un film long (3 heures 20) mais ils offraient un peu de répit au spectateur. Notons, pour être tout à fait exact, que « Cléopâtre » aussi failli être un désastre: la 20thCentury Fox mit quelques années avant de rentabiliser son film.
Vaut-il le coup? Si vous êtes novices en matière de péplums, gardez-le sous le coude et attendez un peu avant de le voir, commencez par « Ben-Hur », voire par « Gladiator », enchaînez avec « Cléopâtre » et enfin regardez « La Chute de l'Empire Romain », et n'oubliez pas que, contrairement aux péplums italiens dont je vous ais déjà parlé ici, ces péplums sont moins des films d'aventure que des reconstitutions historiques et que le happy-end n'est pas toujours de mise.
Fiche technique:
Titre original: The Fall of the Roman Empire
Réalisateur: Anthony Mann
Année: 1964
Pays: États-Unis
Durée: 3h 08
Genre: Chroniques d'une fin annoncée.
1Tout est relatif, en 180, Commode a 19 ans. A l'époque un jeune romain était considéré comme un homme a partir de 16 ans et il n'était pas rare dans les familles aisées que de futurs époux se fiancent dès l'âge de 12 ou 13 ans, Commode était peut-être jeune mais personne ne le considérait comme un gamin.