L'Ile inconnue
Le péplum c'est fait, le gothique italien c'est fait... j'ai comme envie de laisser le coffre à jouets ouvertset m'attaquer à une autre catégorie de films auxquels je tiens: le film de dinosaures. Comme les films cités précedemment, leurs mécanismes sont souvent les mêmes. Et pour cause: lorsque l'on parle de films de dinosaures, il faut prendre en compte le fait qu'une écrasante majorité d'entre eux ont pour origine les mêmes livres: "Le monde perdu" de Conan Doyle et "Voyage au centre de la Terre de Jules Vernes. Ici, "L'Ile inconnue" ne déroge pas à la règle, bien que, au "Monde perdu" s'ajoute ici une seconde source d'inspiration: "King Kong", sorti quinze ans auparavant.
Tourné avec assez peu de moyens, ce film eut à l'époque son petit succès, notamment parce qu'à cette époque (1948), les films de dinosaures étaient assez rares: il fallait remonter huit ans auparavant avec "Tumak, fils de la jungle" (avec Victor Mature, Lon Chaney Jr et des bébés crocodiles déguisés) pour voir des dinos au cinéma. Le film eut même les honneurs d'une sortie en France (ces bienfaiteurs de l'humanité que sont Artus Films sont même allés trouvés une bande son du doublage français, certes abimée et incomplète mais existante).
L'histoire en elle-même, disais-je, emprunte énormément à King Kong. Tout commence dans un bar miteux quelque part sur le port de Singapour.. En gros, il s'agit de ce genre de bar peuplé uniquement de marins, où flotte au plafond une fumée tellement épaisse que le ventilateur ne parvient qu'avec peine à la dissiper et où le seul endroit où on peut boire autre chose que de l'alcool frelaté est dans l'évier.
C'est pourtant dans ce boui-boui que pénètrent un couple d'aventuriers: Carole Lane et Ted Osborne. Pilote de chasse pendant la guerre, Osborne avait survolé une île sur laquelle il avait cru voir des créatures préhistoriques. Une fois la guerre terminée, il est à la recherche d'un marin capable de le ramener sur cette île afin de ramener des preuves de sa découverte.
Ce marin, ils le trouvent en la personne du capitaine Tarnovski, un vieux loup de mer vaguement trafiquant d'animaux sur les bords. Après quelques tractations, il accepte de les accompagner sur l'île et convainc même (sans que nous sachions comment) un certain John Fairbanks de les accompagner. Particularité du monsieur: il est déjà allé sur l'île et prétend lui aussi avoir vu des monstres d'un autre âge. Et dans la mesure où il a vu ses copains se faire dévorer par ses monstres et que l'expérience l'a traumatisé, on serait amené à le croire.
Ni une ni deux, voici nos héros embarqués sur un rafiot miteux où seule la rouille fait tenir la peinture, direction une destination aussi mystérieuse que potentiellement dangereuse. Et tout cela n'était rien si l'équipage malais ne considérait pas l'île comme un endroit maudit, d'autant plus que ceux-ci se sont mis en tête de se révolter sous l'instigation d'un meneur tellement charismatique que c'est le seul à être joué par un acteur blanc maquillé.
Assez facilement matés (à se demander si cette scène n'a pas été seulement écrite pour rajouter dix minutes au métrage) les mutins reprennent la route et nos braves héros finissent par accoster sur l'île, rendant les choses intéressantes.
Par "choses intéressantes", comprenez par là "dinosaures", élément d'autant plus capital que de leur réussite dépend souvent celle du film. A l'époque, la technique la plus fréquemment utilisée pour animer les dinosaures était l'animation en images par images de maquettes animées dans des décors miniatures ou insérées dans des scènes avec des acteurs réels grâce à un système de caches sur la caméra. Cette technique était utilisée dès les années 1910-1920, notamment pour le "Monde Perdu" (1925), adaptation du roman de Conan Doyle. Ici, n'ayant ni le temps ni les moyens de réaliser de tels dinosaures, les responsables du films optèrent pour une autre solution.
Au lieu d'utiliser, comme dans "Tumak", des petits reptiles déguisés "L'Ile inconnue" est devenu le premier film à utiliser la technique de l'acteur dans un costume (avant "Godzilla").
Cette idée d'acteur dans un costume vient probablement de l'influence d'un certain Ray "Crash" Corrigan connu pour ses rôles de de cowboy mais également pour avoir joué les gorilles et autres monstres dans des films et serials d'aventure. Celui-ci participa au flim, prêtant son ranch en Californie pour certaines scènes incluant des dinosaures. Il semble également avoir joué l'un des dinosaures ainsi qu'un gorille, qui passait par là, sans toutefois avoir été crédité au générique.
C'est soit Ray Corrigan soit Alf sous stéroïdes, j'ai un doute.
La technique en étant à ses balbutiements, animer ses dinosaures n'est pas allé sans certains soucis. Tout d'abord, le résultat est moins réaliste que les dinosaures en image par image. Ces dinosaures ne sont pas particulièrement craignos (ils le sont mais on a vu pire), le problème venant surtout du fait qu'on a du mal à prendre au sérieux des dinos au visage statique animés par des acteurs qui semblent avoir du mal à rester debout.
Et quand je dis "sembler" je suis loin de la vérité. Comme vous vous en doutez il ne faisait pas frais dans ces costumes et le fait de tourner dans le ranch de Ray Corrigan n'arrangeait pas les choses. Pour faire simple, celui-ci était situé dans un coin où, en été, le fait de casser un oeuf sur un rocher suffisait à le faire cuire et où partir en excursion sans eau équivaut à du suicide. Le soleil y tape fort et attraper une insolation là-bas y produit un effet similaire à ce que feraient les Choeurs de l'Armée Rouge s'ils décidaient de danser la macarena dans votre crâne avec une ceinture de casseroles tout en chantant la bite à Dudule en breton et en s'arrêtant tous les quarts d'heures pour chier de la lave en fusion dans vos oreilles.
C'est d'ailleurs à cause de ces conditions que l'un des acteurs jouant les tyrannosaures s'est effondré, victime d'un coup de chaleur, en plein milieu du tournage d'une scène. L'histoire raconte que le réalisateur, Jack Bernhard, trouvant cette chute réaliste (et pour cause!) inséra au milieu de la scène l'image d'un acteur jetant une grenade hors-champ expliquant la chute de la bébête.
Le reste de l'histoire tombe un peu comme un soufflé pas assez cuit (ou trop cuit, je n'ai jamais eu énormément d'affinités avec la cuisson des soufflés), les personnages passant la plupart du temps à se battre pour savoir s'ils doivent quitter l'île ventre à terre ou bien capturer un spécimen pour le ramener à la civilisation (pour qu'il s'échappe et rase Bangkok comme le ferait tout dinosaure sain d'esprit). La suite du film est d'ailleurs assez molle, entre tentatives de fuite ratées et périls divers avant que ce joli petit monde ne se décide à s'en aller, non sans avoir assisté à une lutte homérique entre un gorille géant et un t-rex.
En conclusion, que dire de "L'île inconnue" ? Artistiquement le résultat n'est pas génial, sans être déshonorant non plus. La faute notamment à des dinosaures manquant pas mal de crédibilité et à un scénario pour qui nous montrer des dinosaures semble être une fin en elle-même. Résultat: nous voici face à un film ni bon ni mauvais mais gentiment kitsch. A réserver aux collectionneurs.
Fiche technique:
Titre original: The Unknown Island
Réalisateur: Jack Bernhard
Pays: Etats-Unis
Année: 1948
Durée: 1h25
Genre: Caoutchouc préhistorique