L'Empire des fourmis géantes
De la même façon que l'odeur des embruns me rappellera toujours les plages de Bretagne, que « Sound of Silence » me rappellera toujours mes nuits studieuses de prépa ou je bossais en écoutant Simon & Garfunkel, les films de fourmis géantes me rappelleront toujours mon premier jour de boulot. A l'époque où je cherchais un job, j'avais pour habitude de mettre une ligne sur mon CV où je précisais tenir un blog à l'enseigne du Brocoli qui Tousse et traitant de culture cinéma alternative. Bien m'en a a pris car c'était souvent un brise-glace prodigieux lors des entretiens (et un répulsif à pisse-vinaigre tout aussi efficace). Il se trouve notamment que, dans mon boulot actuel, l'un de ceux qui allaient devenir mes chefs était également fan de cinéma déviant et, disons que ça a pas mal contribué à mon embauche. Résultat : lors de mon arrivée dans la boîte, quelqu'un m'attendait déjà avec impatience et prêt à partir dans des discussions enflammées sur John Carpenter et Dario Argento (qui eurent lieu plus souvent qu'à leur tour).
L'Histoire retint donc que le premier mail pro que je reçus commençait par « Alors comme ça on aime les films de gladiateurs ? » et que mon premier jour de boulot se termina sur une discussion relative à ce petit chef-d’œuvre qu'est « Des Monstres attaquent la ville ».
Autant dire que lorsque j'appris que la Cinémathèque diffusait un film de fourmis géantes dans le cadre de sa programmation Bis, dans la salle Henri Langlois qui plus est, là où ont lieu les Nuits Excentriques, je ne pouvais faire autrement que de m'y rendre, décidé à raviver pas mal de souvenirs. Et les souvenirs, c'est tout ce qui restait vu que la salle était quasiment vide et que le film... ben c'était « L'Empire des fourmis géantes » et on ne peut que se réjouir que ce soit « Des Monstres attaquent la ville » qui ait servi de modèle à Cameron pour écrire « Aliens » et pas ce film-là.
Et pourtant, il s'agit d'une adaptation d'H.G. Welles, réalisé par un spécialiste des créatures géantes : Bert I. Gordon, à qui cette spécialité à conféré le surnom de « Mister B.I.G. »... et puis il y a Joan Collins qui, dans la catégorie « Actrice de série B » se trouve quand même dans le haut du panier, et pourtant la mayonnaise ne prend pas la faute à... pas mal de détails en fait.
Comme pas mal de films animaliers, « L'Empire des fourmis géantes » s'ouvre sur une séquence documentaire avec des images de fourmis construisant leur nid, transportant des charges plus grosses qu'elles, tandis qu'une voix off nous explique que, pour leur taille, les fourmis sont très intelligentes, autant que les Hommes et qu'elles domineront un jour le Monde... plus tôt qu'on ne le pense. Autre petite anecdote qui aura son importance : nous y apprenons que les fourmis sécrètent des phéromones, qui fonctionnent comme des ordres auxquels les créatures exposées sont obligées de répondre. Le tout est là pour bien nous faire comprendre que, dans ce film, nous aurons affaire à une opposition entre fourmis organisées, intelligentes et travailleuses et humains lâches, sournois et vaguement pollueurs sur les bords.
Car pendant que les fourmis travaillent à la domination mondiale, les Humains, comme le montre le générique, leurs donnent involontairement des coups de pouce. Tenez, par exemple, vous savez comment, visiblement, on se débarrasse des déchets nucléaires en Floride ? En les balançant à la flotte, au large des Everglades ! Et sans lester ni vérifier l'étanchéité des bidons. Peu importe que le contenu se déverse sur une plage, les gens n'ont qu'a pas pique-niquer là ! Et ce qui devait arriver arriva, le contenu de l'un des bidons servit de petit-déjeuner à une colonie de fourmis, avec les conséquences que le spectateur devine aisément.
Une fois le décor planté, reste à présenter les personnages principaux et, disons qu'ils sont assez raccord avec la scène d'ouverture. Tout d'abord, il y a Joan Collins, qui joue ici Marilyn Fryser, une espèce d 'escroc à la petite semaine, secondée par Charlie, un associé/punching-ball/larbin/sex-toy. Celle-ci, profitant du fait que la côte sauvage soit déserte, y a monté une arnaque assez classique. Se faisant passer pour une entrepreneuse, elle a fait croire à de pauvres bougres qu'une partie de la côte allait être transformée en complexe résidentiel :« Les Rivages du Rêve » . Évidemment, ce projet n'existe pas et elle compte bien, après avoir récupéré les économies de ses investisseurs, disparaître dans la nature. En attendant, il faut endormir leur méfiance et organiser une petit ballade sur les lieux du futur lotissement.
L'occasion alors de découvrir les futures victimes et de s'apercevoir rapidement que la pêche va être assez mauvaise. En gros, les trois quarts des poissons ayant mordu à l'hameçon ne sont là que pour la petite ballade en bateau, le cocktail à base de Palermo tiède et de chips molles et la promenade en trimballe-couillons au milieu de nulle part, avec pour seul horizon des panneaux indiquant l'emplacement d'une future villa ou d'une future marina. Pour ceux qui l'ont lu, le passage me fait un peu penser à un album d'Astérix : « Le domaine des dieux » et le fait que l'un des personnages principaux ressemble à une espèce de mélange entre Goudurix et Guy Bedos ne fait que renforcer l'impression.
« Et les fourmis ? » me demanderez-vous ? Et bien elles épient, en silence et attendent le moment où l'une de leurs proies va se décider à quitter le groupe pour leur servir d'apéritif. Comme ceci :
J'avais oublié de vous prévenir: les vidéos comprennent pas mal de hurlements et de sifflements. Car dans ce film les fourmis sifflent, ce qui est une abbhération puisque chacun sait que la fourmi crohonde.
Comme vous pouvez le constater, les scènes avec les fourmis mélangent passages avec des marionettes et prises de vues réelles. En gros, le trucage est obtenu en incrustant sur les plans avec des acteurs des images de fourmis filmées en gros plan dans une serre.
Si l'idée n'est pas neuve : pas mal de films d'animaux géants ont utilisé, avec plus ou moins de succès, le truc de la bestiole filmée en gros plan, l'effet n'est pas toujours génial. En gros ça dépend du niveau de zoom avec lesquelles elles ont été filmées.
Et puis, une fois que l'on remarque que certaines d'entre elles s'appuient sur la paroi de la serre et qu'elles sont plus occupées à se battre entre elles qu'autre chose, le trucage en prend un coup. Autre chose qui gêne un peu : les fourmis semblent changer de taille en fonction des plans, passant de celle d'un gros chien à celle d'un camion benne.
Pour les spécialistes, les fourmis présentes dans le film sont ce que l'on appelle en Guyane des "fourmis flamandes". Elles sont appelées également "Fourmis 24 heures" et "Bullet Ants" en anglais. Pourquoi ? Parce que leur morsure provoque une douleur comparable à un coup de fusil qui ne s'estompe qu'après 24 heures.
Pour faire court, à taille normale ce sont déjà de belles saletés.
Résumons donc : lorsque vous accostez en bateau sur une presqu'île et que des fourmis vous attaquent, le premier réflexe est de se ruer vers le bateau en question et de vous enfuir. Assez bizarrement pour ce type de film, c'est le réflexe qu'ont nos héros... et ça aurait pu marcher si les fourmis n'avaient pas eu la même idée :
Avec le bateau coule le peu d'instinct de survie de nos amis humains qui vont, par la suite, accumuler les poncifs propres à l'horreur animalière.
Ce qui reste du groupe ne se retrouve sur une barque, à remonter le cours du fleuve vers la civilisation. S'ensuivent cinq-six minutes, qui paraîtront une éternité, autant au spectateurs qu'aux personnages, qui meubleront chacun leur tour en attendant que les fourmis reviennent couler l'esquif, comme il se doit. Est-ce la fin ? Que nenni, nos héros parviennent même à retrouver un petit village typique où ils sont recueillis par le shériff typique, qui ne prête qu'une oreille distraite à ces histoires de fourmis géantes. En brave fonctionnaire de police qu'il est, il promet d'aller faire un tour en forêt avec des collègues et des fusils et de prévenir le propriétaire de la raffinerie de sucre.
Car ce petit village possède une raffinerie de sucre et si, perspicace lecteur, il t'es arrivé de voir un pot de miel pris d'assaut par des fourmis, tu ne peux que deviner ce qui va arriver. Cela va arriver d'autant plus certainement que cette raffinerie semble être le principal lieu de vie du village et que tout le monde semble se liguer pour que les étrangers ne quittent pas la ville et racontent ce qui s'y passe. Le fin mot de l'histoire est donné assez rapidement par un twist final expliquant l'existence du mini-documentaire d'ouverture et l'histoire des phéromones. Ce qui n'empêchera l'explication d'être assez bancale.
Pour faire simple, comme cela a déjà été résumé avant moi : « L'Empire des fourmis géantes » c'est ce qu'aurait donné « Des monstres attaquent la ville » si les fourmis avaient gagné à la fin, « si » car je rassure les fans de happy end, tout se finira dans des flammes purificatrices et insecticides (et probablement dans le caramel, sucre oblige).
En conclusion, « L'Empire des fourmis géantes » m'a un peu déçu parce que là où je m'attendait à trouver une série B sympa, je me suis retrouvé face à une espèce de nanar (et vous savez que je n'utilise pas ce terme à la légère), avec des trucages bancals et un scénario tiré par les cheveux. Oui, parce que quand je dis que le film est tiré d'une histoire d'H.G. Wells... disons que le scénario ne garde de la nouvelle originale que le nom et les fourmis géantes. Ajoutons à cela que le twist final rend complètement irrationnel le comportement des fourmis durant tout le film.
Reste donc un film appréciable au second degrés et sauvé du ridicule par des moyens corrects et par Joan Collins, qui joue les insupportables garces avec un talent fou (et certains diront même un naturel confondant).
Fiche technique :
Titre original : Empire of the ants
Pays : États-Unis
Réalisateur : Bert I. Gordon
Année : 1977
Durée : 1h30
Genre : Pique-nique en forêt.