Jaguar Force
En cinéma, comme dans bien d'autres domaines, j'ai souvent le sentiment d'en savoir plus que je ne le pense mais pas autant que je ne le voudrais. S'il est vrai que je commence lentement mais sûrement à toucher ma bille en péplums et en vieux films de SF, force est de constater, par exemple, que mes connaissances en matière de films hong-kongais sont extrêmement minces. Et on ne pas foncièrement dire que ce film va améliorer les choses.
De prime abord, « Jaguar Force » ne paie pas de mine : il s'agit d'une sorte de polar, vaguement inspiré des polars américains. Point intéressant : ce film est produit par la Filmark de Joseph Lai, responsable, avec Godfrey Ho, de quelques films de ninja idiots ainsi que de dessins animés à la truelle qui n'existaient que pour envahir un marché occidental avide d'exotisme.
Quand on est accueilli par un écran titre comme çà, on sait qu'on ne sera pas déçu.
Comme souvent, l'origine du film est douteuse : s'agit-il d'un film original ou d'un assemblage de bobines rachetées à des producteurs en faillite et retaillées avec un scénario qui n'est là que pour justifier un semblant de cohésion entre les rush ? Le mystère reste entier, vu que, bien que semblant être construit d'une seule pièce, Jaguar Force possède un scénario tel que, malgré une idée de base tout ce qu'il y a de plus plate (gentils flics contre méchants dealers), il se trouve suffisamment embrouillé pour qu'un esprit normalement constitué n'y pige rien.
Le film s'ouvre sur une série de meurtre nocturnes dont les causes nous sont alors obscures. En parlant d'obscur, le type qui a filmé ces scènes aurait du investir un brin dans un petit projecteur vu que l'on y voit absolument rien. On comprend assez rapidement pourtant que vous venons d'assister à un début de guerre des gangs entre trafiquants de drogue. Grosso modo, l'organisation d'un type nommé Big Dad, tente de renverser celle d'un autre affreux jojo nommé Powder King.
Ah, oui, j'ai oublié de vous dire : les noms sont dignes d'un beat'em all des années 80 : le baron de la drogue s'appelle Powder King, le porte-flingue psychopathe s'appelle Madman, le serviteur nain Little Tiger la maitresse de Powder King s'appelle Pretty et son fils homosexuel Girly.
L'ignoble Powder King et son serviteur, Little Tiger, visiblement fou de joie d'être là.
Là où une police normale (enfin la notre en tout cas), laisserait ces empaffés se flinguer entre eux, la police de Hong-Kong décide, elle, de rappeler son meilleur élément, Ching Yung (non, il n'a pas de nom rigolo, lui). Le rappeler d'où, d'ailleurs, personne ne le sait, si ce n'est que c'était loin et que ça a duré longtemps. Il n'est toutefois pas revenu les mains vides : mieux qu'une boule à neige, Ching Yung est revenu de Pétaouchnok avec un plan.
On sait peu de choses sur l'acteur principal, Jaguar Lee, si ce n'est qu'il ne s'agit pas de sa seule collaboration avec Joseph Lai. Pour des raisons, que j'ignore, sa fiche imdb semble se confondre avec celle d'une actrice nommé Lieh Li.
Et ce plan est simple : se doter d'une équipe de durs-à-cuire-supers-forts-que-quand-ils-se-cognent-un-orteil-dans-un-meuble-c'est-le-meuble-qui-a-mal, la Jaguar Force qui a donné son nom au film. Elle a beau avoir donné son nom au film, il doit doit s'agir d'une des équipes de chocs les moins marquantes que je connaisse, à tel point que je n'ai même pas retenu le nom de ses membres et que, vous savez quoi ? Je ne vais même pas revisionner le film pour vous les donner vu qu'il n'y en aura pas besoin. Retenez juste qu'il y a une experte en arts martiaux, une tireuse d'élite, un policier scientifique et un ancien des triades, spécialités qui ne leur seront quasiment d'aucune utilité.
Avouez que pour l'instant je ne vous donne pas vraiment envie de le voir ce film : un mauvais éclairage, un scénario incompréhensible, des personnages falots... que ce passera-t-il quand j'ajouterais que les cadrages sont foireux ? Et par foireux, j'entends foireux : c'est bien simple, quand deux personnages discutent d'un côté et de l'autre de l'écran, on ne les voit pas. Je n'ai rien contre l'originalité mais voir un accoudoir de fauteuil discuter avec une lampe halogène n'aide pas foncièrement à comprendre une intrigue.
Il semblerait que "Jaguar Force" soit tout d'abord sorti au cinéma à Taiwan. Lors de son exportation en occident, il probablement été recadré, du format 16/9 (cinéma) au format 4/3 (vhs).
Vous voulez une raison de vous intéresser à ce film ? Et bien figurez-vous que sous dehors de gros polar crapoteux et miteux, « Jaguar Force » est un film absolument unique.
Je n'hésite pas à le dire : « Jaguar Force » est le film le plus mal doublé du Monde.
Et je vais le prouver.
Sans blagues !?
Évidemment, en matière de doublage, la concurrence est rude, combien de films ou de dessins animés ne se sont pas retrouvés doublés par trois comédiens sous payés au manque de motivation évident ? Vous vous souvenez d'« Eaux Sauvages ? » et bien à côté de « Jaguar Force », c'est un film bien doublé.
Désynchronisation avec les lèvres, textes récités de façon monocorde, fautes de liaison, accents qui n'ont rien à faire là... C'en est tellement mauvais que le film se met à prendre des airs de détournement à la Mozinor.
De deux choses l'une : soit l'adaptation à été faite n'importe comment et des doubleurs sur-démotivés ont parachevé le massacre. Soit, et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable, lancée par certains sites, dont Nanarland, le doublage aurait été effectué, non en France par des acteurs français, mais à Hong-Kong par... des types récupérés ça et là. Dans la mesure où Joseph Lai avait pour habitude, paraît-il, de récupérer des figurants occidentaux en proposant un petit job sympa aux noctambules occidentaux de Hong-Kong, il n'est pas exclu qu'il récupère ses doubleurs de la même façon.
Joseph Lai et Godfrey Ho utilisaient souvent les mêmes décors pour leurs films. Outre le parc de Kwoloon à Hong-Kong, ils appréciaient tout particulièrement le Sanjhi Resort de Taiwan. Ce complexe hôtelier futuriste construit en fibre de verre a été fermé depuis: les bâtiments étant trop fragiles pour supporter le climat venteux de la région.
Cela expliquerais tout : les accents idiots (qui ferait, sinon, parler le chef de la police de Hong-Kong avec un accent allemand?), le débit hésitant et les fautes de liaison. Je ne serais même pas étonné d'apprendre un jour que certains doubleurs n'étaient pas francophones et ont tout doublé en phonétique.
Quelques exemples:
Selon la loi qui veut que deux extrêmes se rejoignent toujours, de la même manière qu'un bon doublage transfigure un film, un mauvais peut rendre regardable un naveton insipide.
Si vous êtes un habitué des sites consacrés à la série Z, vous avez peut-être déjà vu l'extrait qui suit mais je ne pouvais consacrer un article à ce film sans vous le montrer.
Pour vous situer un peu la chose, nous sommes dans les vingt dernières minutes du film. Le gang de Big Dad vient de trouver une bonne idée pour que Chin Yung lui foute la paix : ils viennent de tuer sa femme et sa gamine. N'importe qui vous dira que c'est effectivement infaillible : qui imaginerait que Chin Yung irait se venger ? Mais Chin Yung est avant tout un humain et il est normal que le spectateur assiste à une scène poignante sensée rappeler à tout le monde la terrible tragédie qu'il vient de vivre et à convaincre les derniers sceptiques que zigouiller une femme et une gosse ne sont pas des pratiques de gentleman, même quand elles sont doublées par la même personne.
Je dit bien « sensée » car quand le résultat vous rend hilare alors qu'il devait vous faire pleurer, je crois que l'on peut considérer que la cible est ratée.
Fiche technique: