Il était une fois le Diable
"Encore des égarés Louise?"
Le double titre "Devil's Story, il était une fois le Diable" semble venir du fait que ce film ait, dans certains pays, été vendu comme une production américaine.
Mine de rien, ca fait plus de deux semaines que la Nuit Excentrique a eu lieu (presque trois) et je n'ai même pas fini de vous parler de la programmation. C'est d'autant plus dommage que j'avais gardé le meilleur pour la fin, l'un des plus grands nanars de l'Histoire, si ce n'est le plus grand nanar de l'Histoire, à savoir le génial « Devil's Story, Il était une fois le Diable » du non moins génial Bernard Launois.
Dans quelques semaines, l'éditeur de dvd Sheep Tapes, en collaboration avec nanarland.com, sortira ce film en dvd, accompagné de divers bonus dont une interview de Bernard Launois lui-même, dont nous eûmes quelques extraits avant et après la projection de ce « Cuirassé Potemkine » du mauvais film sympathique. Ces extraits nous en on appris un peu plus sur la genèse de ce film, car nous savions qu'une chose pareille ne pouvait qu'être née dans la douleur.
Au commencement, il y avait Bernard Launois. Distributeur de films, sillonnant les routes en vendant des longs métrages à des salles de cinéma, Bernard Launois se mis en tête, un jour, de se servir de ses connaissances sur la réalisation et la distribution d'un film pour passer lui-même derrière la caméra. Sa première expérience de réalisateur date de 1972, avec un film intitulé sobrement « Lâchez les chiennes » au sujet duquel je serais bien incapable de vous dire quoi que ce soit si ce n'est qu'il semble s'agir d'un porno lesbien. En 1976, il réalise un autre film pour public dit averti (« Les dépravés du plaisir ») puis un film policier (« Les machines à sous », 1976) avant de se tourner vers la comédie en 1980 avec « Sacrés Gendarmes » et « Touch'pas à mon biniou » avec quelques gueules bien reconnaissables telles que Jacques Balutin, Sim ou encore Daniel Prévost. En 1982, il réalise « Devil's Story » connu aussi sous le titre « Il était une fois le Diable », sixième et, à ce jour, dernier film de ce réalisateur, délaissant la comédie pour le film d'horreur.
Encore que, quand on voit çà, on se demande s'il a réellement délaissé la comédie.
L'avantage d'un film d'horreur, c'est que le plus souvent ca ne coute pas trop cher à fabriquer et que ca peut rapporter facilement des sous. A l'époque, les exemples de slashers tels que « Vendredi 13 », « Halloween », ou encore « Massacre à la tronçonneuse » ont prouvé qu'on pouvait facilement avoir du succès avec une recette simple. Collez une douzaine d'ados plus ou moins délurés dans une maison inquiétante, un tueur masqué armé d'un couteau de boucher ou d'une tronçonneuse sans fil, faites tourner la caméra pendant une heure vingt jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une jolie fille et un beau mec, faites-les tuer le tueur, et finissez sur un twist final laissant penser que le monstre est encore en vie. Avec un peu de chance, cela fera suffisamment peur pour en faire une suite, voire une saga (si mes souvenirs sont exacts, « Halloween » a eu huit suites, sans compter les remakes).
C'est un peu à cela que pensa Bernard Launois quand il tourna « Il était une fois le Diable », à faire un film efficace mais pas cher. Que ce film n'ait pas couté cher c'est une chose... qu'il ait été efficace s'en est une autre, vu que son film d'horreur fait encore plus rire que ses comédies.
Bernard Launois lui-même, donnant de sa personne pour la cause.
Le premier obstacle auquel se vit confronté Bernard Launois c'est le manque d'acteurs: il pouvait payer de sa personne, inviter quelques amis à venir tenir des rôles, embaucher une bonne partie de sa famille dans l'équipe du film, il lui manque quand même des personnages. Ni une ni deux il passe une annonce à l'ANPE de Fécamp qui lui envoie quelques acteurs plus ou moins professionnels (dans le cas de certains, il s'agit de leur seule apparition sur un écran). En tête une certaine Véronique Renaud, héroïne de cet OFNI qui, visiblement avait toutes les qualités du Monde, à l'exception de celle de savoir jouer correctement.
A sa décharge, elle n'est pas la seule à mal jouer, la quasi-totalité du casting jouant avec un manque de naturel flagrant, dites-vous bien qu'« Il était une fois le Diable » est le seul film où même la pendule joue mal.
Il y a que le chat qui joue bien, et encore je le soupconne de s'être fait doubler.
Ce manque de talent d'acteur est renforcé par un scénario des plus obscurs, le générique de fin remercie la Benedictine, je me demande s'il s'agit bien du palais. Jugez plutot: tout commence dans une clairière; enfin... par « clairière » entendez un jardin en bordure de forêt, le spectateur discernant assez aisément le mur d'une maison à côté. Dans cette clairière, rôde un tueur qui tue les campeurs, les automobilistes en panne et les demoiselles en jogging bleu qui se trimballent du petit bois en sautillant, un tueur, au visage difforme, au couteau sanguinolent et à l'uniforme de SS (pourquoi porte-t-il un uniforme de SS ? Parce qu'il est méchant c'est tout!). Sans transition aucune, nous passons à un couple de touristes, en balade dans la région de Fécamp. Pour des raisons que j'ignore, leur voiture porte une plaque floridienne, vissée tant bien que mal à la place de leur plaque française. Est-ce une volonté de nous faire croire que l'action se déroule aux Etats-Unis ? Est-ce une volonté de nous faire croire que ces touristes sont des touristes américains? Est-ce à cause d'une autre raison encore plus obscure?
Quoi qu'il en soit, eux aussi tombent en panne (règle dans les films d'horreur: les voitures, quelle que soit leur marque, sont aussi fiables que des Lada) et, pendant que son mari essaie de réparer la voiture, la passagère va faire un tour au pied d'une falaise, falaise en haut de laquelle se tapis un chat noir qui l'attaque. Je vous rassure, ses blessures ne sont que légères ou alors elle cicatrise très vite vu que dès le plan suivant elle n'a plus rien, il n'empêche qu'elle n'a plus vraiment envie de se balader. Cherchant un abri pour la nuit, ils arrivent à Fécamp devant un manoir imposant et inquiétant (tellement inquiétant que quand ils arrivent devant les lumières s'allument et on entends une Toccata de Bach) .
Un lecteur de Fécamp reconnaitra ici le Palais Benedictine, construit au XIXe siècle pour l'inventeur de cette liqueur.
Ce manoir est tenu par un couple d'aubergistes, qui s'empressent d'accueillir nos deux naufragés de la route et de leur raconter l'histoire du coin. Les aubergistes leur expliquent? Flash-backs à l'appui, que jadis l'endroit était habité par « cinq frères » (dont une sœur) qui naufrageaient les bateaux. Une nuit, ils font couler le Condor, un navire anglais de retour d'Egypte. Cela entraîne une catastrophe telle que les cinq frères (dont une sœur) meurent et que le littoral en est complètement redessiné. Quant à l'épave du bateau, personne ne sait ce qu'elle est devenue, ce que l'on sait, par contre, c'est que les descendants des cinq frères (dont une sœur) vivent encore dans la région et que l'une de ces descendantes aurait eu un fils un peu bizarre (le genre à tuer des gens et à se balader avec un uniforme de SS).
Quelque heures plus tard, alors que le couple dort paisiblement, celle qui apparaît comme étant l'héroine du film se lève, mue par une force inconnue, elle sort de l'auberge, en nuisette, enfile un ciré, des bottes et prends la voiture pour se rendre on ne sait où. Quant à son mari, il ne se rendra compte de rien, pour ainsi dire, il disparaît totalement du film.
Le reste du film est une succession de scènes se déroulant au mépris de toute logique: l'héroïne (je ne me souviens pas qu'elle ait un nom) rencontrant le tueur SS du début et sa mère, le chat noir, un cheval noir, l'aubergiste qui essaie de tuer le cheval, une morte vivante et une momie qui semble particulièrement réussie jusqu'à ce qu'elle se retourne et que le spectateur se voie récompensé par l'un des plus beau cas de fermeture-éclair apparente de l'Histoire du Septième Art. Au bout d'une vingtaine de minutes, le spectateur est déjà groggy et, tel un boxeur trop amoché, encaisse, docilement, en attendant le KO salvateur.
Une momie surgissant d'un sarcophage en carton... enfin, d'un couvercle de sarcophage en carton.
Nous pourrions croire que les évènements vont s'enchainer avec un rythme incroyable, et bien non, ce serait même tout le contraire. Bernard Launois expliqua lors du documentaire qui suivit la projection du film, qu'il avait engagé des acteurs pour trois semaine mais que ceux-ci se sont avérés tellement mauvais qu'il a renvoyé tout le monde au bout de deux semaines de tournage en leur faisant cadeau de la troisième semaine. A ce moment-là, il n'a que cinquante-deux minutes de métrage exploitable et selon ses propres dires « que fait le réalisateur, quand il a promis un film d'une heure vingt et qu'il n'a que cinquante-deux minutes de tournées? Et ben... il tire sur la pellicule. »
...et pendant ce temps-là l'aubergiste tire sur tout ce qui bouge.
C'est ainsi que chaque scène pouvant s'étirer en longueur s'étire en longueur, chaque poursuite dure cinq bonnes minutes, chaque agonie dure le temps que le personnage perde une vingtaine de litres de sang... le clou étant atteint par l'aubergiste qui passe la quasi-totalité du film à tirer sur un cheval noir (en réalité deux chevaux, le premier s'étant sauvé en cours de tournage, il devait avoir lu le scénario) qu'il prends pour une incarnation du diable. Voir cet homme en tenue de chasseur, armé d'un fusil à pompe qu'il ne recharge jamais tirer dans toutes les directions possibles sur un cheval qui trottine gaiement dans un champ, ne s'arrêtant que pour balancer des jurons reste une expérience inoubliable. Mises bout à bout, ces scènes de lutte entre homme et bête doivent bien prendre un quart-d'heure.
"J't'aurai créature du diââââble!" [Pan!]
« Il était une fois le Diable » est au cinéma d'horreur ce que « Plan 9 From Outer Space » est à la science-fiction, le nanar par excellence. Aberration cinématographique dans sa plus simple expression, bien des gens s'accordent à penser que ce film est au delà de toute critique, il n'est pas bon, il n'est pas mauvais, il est juste « autre », c'est un satellite gravitant autour du réel. Quelle que soit votre tolérance en matière de film, quelle que soit votre culture cinématographique, votre goût pour les films d'horreur, dites-vous bien que jamais, ô grand jamais vous ne serez prêt pour voir çà.
Fiche technique:
Titre alternatif: Devil's Story
Réalisateur: Bernard Launois
Année: 1985
Durée: 1h20
Pays: France
Genre: Fécamp, ville maudite.