House by the River
"La saleté vient des gens, pas du fleuve"
Quand j'ai commencé ce blog, c'était avec la volonté d'en faire un truc un peu différent de ce que l'on peux voir d'ordinaire. Rassurez-vous, à aucun moment je n'ai eu la prétention de révolutionner ce mode de communication, je suis trop feignant et trop bête pour pouvoir faire çà, je voulais surtout éviter à ce modeste espace personnel de devenir une de ces horreur flottantes tenues par des décérébrés qui postent cinq « articles » par jour en langage sms et étalent une vie qui n'intéresse qu'eux et leurs proches. D'ailleurs il va falloir que l'on m'explique un jour l'intérêt d'écrire en langage sms sur un blog: si ca vous saoule d'écrire, n'écrivez pas, point barre!
C'est comme les fautes volontaires, à part à passer pour un illettré je ne saisis pas vraiment l'utilité d'une telle pratique (ca me rappelle ce type qui écrivait « Lyon » « Lion » « passke ca fé moin de lettre » (sic)).
Où en étais-je avant de taper sur les kevins? Ah oui, ma volonté de donner une certaine hauteur à ce blog, prétendument culturel. Et bien j'ai de quoi vous satisfaire en ré-ouvrant la section « cinema » avec un film, et quel film puisqu'il s'agit ni plus ni moins que d'un film de Fritz Lang: « House by the River ».
Il y a des acteurs dont la seule présence au générique m'incitera à voir le film, de la même manière, il y a des réalisateurs qui ont, à mon humble avis cette capacité rare à sublimer le moindre scénario par leur génie et Fritz Lang est de ceux-là. Le nom de Fritz Lang est indissociable de ses trois plus grands chef d'oeuvre: « Metropolis », « Le testament du Docteur Mabuse » et surtout « M le Maudit » dont je ne saurais trop vous conseiller le visionnage: ce film n'est pas bon, il est juste parfait.
Le génie de Lang lui joua des tours lors de l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne: bien que ses films soient jugés « subversifs » par le régime d'Hitler, il n'en était pas moins considéré comme un réalisateur de talent, talent que les nazis auraient bien aimé exploiter, les soviétiques avaient Eisenstein, les nazis voulaient Fritz Lang. Selon Lang lui-même, c'est le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels qui le fit venir, officiellement pour lui expliquer pourquoi « Le Testament du Docteur Mabuse » avait été censuré (le méchant du film reprenait à son compte les slogans nazis). En réalité, il s'agissait de lui proposer de réaliser une biographie de Guillaume Tell, biographie dont le but était, tout le monde s'en doute, d'exalter les thèses nationales-socialistes. Peu enthousiaste à l'idée de servir d'idiot utile à un régime dont il ne cautionnait pas l'idéologie, Fritz Lang répondit qu'il ne pouvait pas accepter cette offre, affirmant ces grands-parents maternels étant juifs. Goebbels lui aurais alors rétorqué « C'est à nous de décider qui est juif et qui ne l'est pas ».
Fritz Lang aurait alors demandé à réfléchir avant de sauter dans un train direction Paris après avoir vendu des bijoux de sa femme et laissé à peu près tout ce qu'il possédait derrière lui, y compris sa deuxième épouse qui a divorcé immédiatement. Ça c'est la version romancée, en réalité il a quitté l'Allemagne au bout de plusieurs mois et sa femme ne l'a quitté qu'après avoir découvert qu'il la trompait avec celle qui allait devenir sa troisième femme. Quoi qu'il en soit, il a bel et bien quitté l'Allemagne pour éviter d'être récupéré par le régime nazi qui finit par trouver son réalisateur officiel en la personne de Leni Riefenstahl.
Après un court passage en France, où il réalise « Liliom », il s'envole pour les Etats-Unis où sa réputation l'a précédé, autant comme cinéaste génial que comme réalisateur insupportable avec ses acteurs, ce qui lui causa quelques difficultés pour travailler, surtout à la fin de sa vie.
En 1950, donc, il réalise « House by the River » (« La maison au bord du fleuve », le titre en anglais viens du fait que le film n'a jamais été sorti en France, seul existe un dvd muni de sous-titres dans notre langue), il ne s'agit pas de son film le plus connu, ni le plus abouti, mais il n'en reste pas moins l'un de ces thrillers à la Hitchcock comme on en faisait dans les années 1940/1950.
En parlant d'Hitchcock, celui-ci disait que plus un méchant était réussi, plus le film le sera et là le méchant est particulièrement bon. Le méchant en question s'appelle Stephen Byrne, c'est une sorte d'écrivain raté qui vit dans une maison au bord d'un fleuve (d'où le titre), avec sa femme et deux domestiques, partageant son temps entre l'écriture de chefs-d'œuvres incompris et les taillages de bavettes avec sa voisine. Un soir, alors que sa femme est sortie, il se montre quelque peu trop entreprenant avec la plus jeune de ses domestiques, Emily. Alors qu'il tente de l'embrasser, elle se débat et pris de panique, il l'étrangle. Se demandant quoi faire, et ce que va penser sa femme quand elle va découvrir dans quel état il a mis sa femme de chambre, il téléphone en urgence à son frère, John, un modèle de dévouement fraternel. A la mort de leurs parents, John, qui gagnait déjà bien sa vie, avait renoncé à sa part d'héritage pour que son petit-frère puisse vivre de sa passion. Il avait, depuis des années, accepté de le sortir de pas mal de mauvais pas mais couvrir un meurtre c'était un peu trop lui demander.
C'est alors que Stephen a l'idée de faire croire à son John que sa femme est enceinte et que la révélation d'un tel drame pourrait être fatal à l'enfant, lui faisant confiance, John finit par accepter, cache le corps dans un sac en toile qu'il jette dans le fleuve et fait croire à la disparition de la jeune femme.
A l'origine, Fritz Lang voulais utiliser une actrice noire pour jouer Emily Gaunt.
Les producteurs lui ont alors expliqué que c'était bien joli d'innover mais que bon... ils n'étaient pas racistes mais ils ne trouvaient pas l'idée si bonne que çà.
Le plan semble se dérouler comme prévu, on plaint ce cher monsieur Byrne dont la domestique est parti si subitement et on vilipende cette Emily sur le compte de laquelle se mettent à circuler les pires ragots. Le nom de Stephen Byrne apparaît dans les journaux, ce qui suffit à pas mal de monde pour lui trouver du talent et son dernier ouvrage, librement inspiré de son histoire, se vend comme des petits-pains. De son côté, John Byrne périclite, hanté par l'horreur de ce qu'il a aidé à dissimuler, ne mange plus, ne dort plus, et intrigue sa gouvernante. Ajoutons à cela que sa belle-soeur lui a soutenu mordicus qu'elle n'attendait pas d'enfant et qu'il commence sérieusement à se demander s'il n'est pas destiné à être le dindon de cette macabre farce.
Les choses empirent quand le sac contenant la victime (enfin, ce qu'il en reste) remonte à la surface et est récupéré par la police, malgré les tentatives désespérées de Stephen Byrne pour récupérer le sac en question. On apprend donc qu'Emily ne s'est pas enfuie et qu'elle a été assassinée. Par qui? Les soupçons se portent assez rapidement sur Stephen Byrne puis sur son frère, et pour cause: le sac dans lequel a été immergé le corps appartenait à John Byrne et sa gouvernante y avait diligemment fait inscrire son nom.
"Le sac portait votre nom.
-Ce sac essaierait donc de se faire passer pour moi?"
Que pensez-vous qu'il va advenir? Ceux qui ont répondu que Stephen Byrne va faire le minimum pour sauver son frère et le laisser se débrouiller avec la justice ont gagné un Vanilla Ice en plâtre. C'est à ce moment là que l'on se rends compte de la vraie nature de Stephen Byrne: au début ce personnage attire la sympathie, ce n'est qu'un artiste incompris dont on renvoie constamment les manuscrits, il est gentils avec sa femme, aimable avec sa voisine et bon avec ses domestiques. On ne rêve que d'une chose c'est qu'un éditeur accepte l'un de ses romans, qui ne doit pas être plus mauvais qu'un autre mais que bon, on s'imagine bien que le manuscrit est arrivé au milieu d'une pile de cinquante autres et que personne ne l'a vraiment lu, d'ailleurs quand on voit ce qu'on publie de nos jours ma bonne dame... On parvient même à éprouver de la compassion pour lui quand il tue cette domestique: après tout c'était un accident et puis, basta, ce n'est qu'un personnage après tout. Et puis il est vrai qu'on est curieux de savoir comment la vérité va éclater au grand jour.
Petit à petit ce personnage finit par devenir hautement haïssable, qu'il ait essayé de se soustraire à la police passe encore mais qu'il ne fasse rien pour innocenter son frère, essayant même de le pousser au suicide, un coupable mort est toujours un bon coupable vu qu'il n'a plus sa vie pour payer.
Stephen Byrne ne cesse d'être pathétique tout au long du film mais alors qu'au début il attirait plus la compassion qu'autre chose, il finit par ne susciter que du mépris parce qu'incapable de se sortir d'une situation sans l'aide de son frère, parce que n'éprouvant aucun scrupule à utiliser les autres comme des kleenex et à les jeter comme tels. Ce film est avant tout l'histoire d'une métamorphose, il nous montre comment un homme bon mais faible moralement peut se transformer en monstre, en salaud intégral, alors qu'il n'est mû que par le même égoïsme qui nous anime tous dans chacun de nos gestes.
Notre esprit sait, en principes faire la différence entre le bien et le mal mais la cloison qui sépare les deux est ténue. C'est un peu comme quand un lac est gelé: la pellicule de glace qui le recouvre peut être solide par endroit mais ayez le malheur de vous aventurer là où vous ne le devez pas et le sol s'ouvrira sous vos pieds (ceci était ma minute « Lyrisme de Prisunic et conclusion d'article bancale »).
Fiche Technique:
Réalisateur: Fritz Lang
Année: 1950
Pays: États-Unis
Durée: 1h40
Genre: Itinéraire d'un enfant gâté