Gorgo
Pour répondre à l'une des requête citées dans le précédent article, je vais vous expliquer comment ressusciter un brocoli, ou tout simplement le décongeler. L'un des méthodes les plus simples est de dégoter une vielle VHS dans une brocante ou un vide-grenier, de préférence un truc qui sent la série B à plein nez, un vieux film d'horreur, de SF ou un péplum, et de laisser le charme agir.
L'affiche française, à dominante bleue, contrairement aux autres affiches du film, à dominante rouge. (source: wrongsideoftheart.com)
Pour le coup, c'est raté, ce sera un kaiju mais attention, pas n'importe lequel : alors que la plupart des films de monstres géants viennent d'Asie, du Japon pour être plus précis, celui dont je vais vous parler est une production britannique réalisée par un réalisateur français. Ben oui, que voulez-vous, j'ai une réputation à tenir : quand un de vos confrères vous qualifie de "Walhalla de l'alter-cinéma" (en l’occurrence, Joël, de Moovy Memory(Z), preuve supplémentaire que cet homme a du goût), vous ne pouvez plus vous permettre de chroniquer de petit film conventionnel. Et, vous savez quoi ? Je n'avais, de toutes, façons, pas l'intention de faire autrement.
Quoi qu'il en soit, vous aimez Godzilla ? Et bien je vous présente son petit-neveu par alliance : Gorgo.
A l'origine, l'histoire du film devait rappeler autant celle de King Kong que celle de de Godzilla: deux marins apprennent l'existence d'un monstre sur une île peuplée de sauvages et le ramènent à la civilisation (à l'origine, Tokyo). Le monstre devait s'échapper et semer la mort et la destruction avant d'être tué d'une façon x ou y. Pour plusieurs raisons, l'idée d'emmener le monstre à Tokyo fut abandonnée, au profit d'une situation plus occidentale. Paris tint longtemps la cote avant de se voir préférer Londres, pour des raisons que je vous expliquerais plus tard.
Quant à l'île peuplée de sauvages tout nus, elle fut remplacée par une autre île, peuplée d'Irlandais (ce qui, pour pas mal de Britanniques revient au même, mais passons).
Ici, ce sont deux marins à bord d'un navire de sauvetage, dépêchés sur les lieux d'un mystérieux naufrage, qui découvrent la bestiole après qu'un tremblement de terre sous-marin ait fait chavirer leur embarcation. Débarquant sur une île où la plupart des gens parlent gaélique et où on leur fait comprendre qu'il serait judicieux de réparer leur rafiot au plus vite et de décamper rapidement, nos deux amis ne tardent pas à découvrir la raison des naufrages alentour.
Et la raison fait 10 mètres au garrot a des écailles et fait "Graou !", le monstre du Loch Ness vous fait peur ? Petites natures! C’était avant de voir les horreurs se cachant dans la mer d'Irlande:
Personnellement, en voyant cela, non seulement je me mettrais à être d'accord avec les autochtones qui veulent que je débarrasse le plancher mais j'ajouterais même que je serais prêt à rentrer à la rame, en priant tout ce que l'humanité a ou a eu comme divinité un tant soit peu bienveillante pour que l'autre horreur ne me confonde pas avec un apéricube. Mais nous sommes dans un film, les enfants et hors de question que le comportement de nos zigs soit logique. Flairant le filon, l'un des marins, qui n'a sûrement pas vu "King Kong", se dit qu'il y aurait quelques picaillons à ramasser en exhibant cette jolie bestiole comme une vulgaire femme à barbe.
Une fois capturé et bourré de somnifères récupérés on ne sait où (ou de whisky, ça a les mêmes effets et c'est plus facile à trouver en Irlande), le monstre marin est rapatrié jusqu'à Londres, remorqué sur un bateau. Ce n'est qu'une fois en ville que l'on apprend son nom : Gorgo. Pourquoi "Gorgo"? Non pas "parce que ça ressemble à Godzilla", mauvaises langues, simplement en référence à la Gorgone, cette créature mythologique dont le regard changeait en pierre quiconque le croisait. L'explication vaut ce qu'elle vaut, toujours est-il que, si elle ne change pas en pierre, la créature pétrifie au sens figuré.
"Gorgo pèse aussi lourd que six éléphants" nous assène le bonimenteur face à l'enclos de la bête, tandis qu’une armée de scientifiques étudie ce phénomène sous toutes les écailles. Et leurs découvertes sont assez troublantes: Gorgo n'est pas un sujet adulte.
Plus inquiétant: non seulement ce n'est pas un sujet adulte mais c'est un sujet très jeune qui peut atteindre près de 60 mètres s'il mange bien sa soupe.
Plus inquiétant encore: ce petit lézard a une mère, qui est à sa recherche.
Et maman n'est pas contente.
Les dents de la Mère.
Voilà d'ailleurs pourquoi le film se déroule à Londres et non à Paris: les producteurs, ainsi que le réalisateur, Eugène Lourié, se sont rendus compte que si un monstre marin de 60 mètres remontait des kilomètres de méandres de la Seine pour atteindre Paris, il se ferait forcément intercepter avant. Il lui était donc plus facile d'attaquer Londres en passant par l'embouchure de la Tamise. Il est d'ailleurs amusant de constater que, pour un film de monstre géant, "Gorgo" veille à conserver un semblant de vraisemblance.
La scène de l'arrivée de Gorgo à Londres a lieu dans des rues étonnamment désertes. Et pour cause: ces images ont été tournées un dimanche matin assez tôt, à l'heure où il n'y avait pas grand monde dans les rues. C'est pour cela que la voix-off nous explique qu'il a été demandé aux londoniens de rester chez eux pour éviter tout incident.
Par exemple, Eugène Lourié refusait, dans un premier temps, que l'on tire sur la mère de Gorgo, ce qui devait donner lieu aux scènes habituelles où la grosse bestiole encaissait balles et missiles sans broncher. Pour lui, ce genre de scène était stupide dans la mesure où aucun animal, aussi massif soit-il, ne pourrait survivre à un tel traitement. Liouré fut contraint et forcé d'introduire de tels plans, assez mal fichus d'ailleurs puisque probablement réalisés à la va-vite avec des stocks-shots de la marine britannique piqués un peu partout (tellement un peu partout que certains marins arborent fièrement un uniforme de l'US Navy). La petite histoire raconte même qu'Eugène Lourié se fit faire une copie personnelle du film dans laquelle il fit couper toutes les scènes militaires pour s'en faire une sorte de director's cut qu'il projetait dans son garage.
Sans vouloir vous spoiler la fin, il faut savoir que ces scènes n'ont toutefois aucun impact sur le déroulé du film et que malgré la fureur et la mitraille maman Gorgo récupérera son chérubin et disparaîtra avec lui dans les profondeurs abyssale qu'ils n'auraient jamais dû quitter. Ici aussi Eugène Lourié influa sur le script original. A la base, les monstres devaient se faire tuer et prouver qu'une fois de plus la force brute de la Nature de vaut rien contre l'ingéniosité (et la force brute) des Hommes.
C'était compter sans un petit détail: Eugène Liouré a une fille, qui était assez jeune. "Que cela peut-il faire ?" me demanderez-vous. Et bien c'est simple: aussi bien père aimant que réalisateur consciencieux, Eugène Lourié avait à cœur de ne pas faire pleurer sa fille à la fin du film et a donc obtenu de laisser la vie sauve à Gorgo et à sa mère.
Et force est de constater que cette décision était, d'une part, la meilleure moralement et, d'autre part... la meilleure logiquement une fois de plus.
En définitive, "Gorgo" n'est pas un si mauvais film qu'il en a l'air au premier abord. Si l'on excepte le fait que le monstre soit assez laid physiquement et que l'histoire rappelle un peu trop fortement celle de King Kong on se retrouve avec un film sympathique et plutôt bien fichu, bien que parfois handicapé par le télescopage entre volonté du réalisateur et impératifs de production.
Fiche technique:
Pays : Grande-Bretagne
Réalisateur: Eugène Lourié
Année: 1961
Durée: 1h18
Genre: Irish Kaiju