Eaux Sauvages
Je ne sais pas pourquoi mais le fait de parler « Starcrash » il y a quelques temps m'a donné envie de continuer à explorer mon coffre à nanars. Encore fallait-il en trouver un du même calibre et je vous avoue que le tri n'a pas été facile. Et puis l'un d'entre eux s'est petit à petit imposé et voici comment « Eaux Sauvages » eut l'honneur discutable de se retrouver sur le Brocoli. Contrairement à « Starcrash », pourtant, « Eaux Sauvages » n'est pas un space-opera plein d'effets spéciaux datés, de vaisseaux en plastique et d'actrices jouant mal, ce serait plutôt le genre d'expérience cinématographique comme il en existe peu, le genre de films à ranger au côté de « Devil's Story » dans le panthéon de l'étrange.
La jaquette de la VHS française, qui doit compter parmi les plus ignobles du genre.
Sur le papier, « Eaux Sauvages » n'avait pourtant pas grand-chose du nanar de compétition : une histoire de randonneurs, exterminés un à un par un mystérieux assassin pendant qu'ils descendent le Grand Canyon (prononcez « Grand Cannion ») en rafting, le tout jusqu'au dénouement final et après la mort d'une poignée de clichés sur patte. Bien filmé, il y aurait de quoi mettre en valeur la beauté de ces terres sauvages et opposer la grandeur de la nature à la barbarie des Hommes. Bien scénarisé et bien joué, il y aurait de quoi en faire un huis clos à ciel ouvert, une sorte de « Crime de l'Orient Express » au Colorado....
Seulement voilà, « Eaux Sauvages » n'est ni bien réalisé ni bien joué ni tout autre chose : ce n'est pas parce que vous avez une guitare que vous êtes Jimmy Hendrix, ce n'est pas parce que vous avez une caméra que vous êtes Fritz Lang. Et quand vous n'avez pas de scénario, vous ne mettez pas toutes les chances de votre côté.
A noter que le réalisateur, Paul W. Kener avait déjà réalisé un film, appelé "Wendigo" qui voyait un groupe d'explorateurs pourchasser une créature mythique. D'après ce que j'ai pu en entendre, il ne se passait pas non plus grand chose dans ce film-là.
Et oui c'est bien çà le problème du film, le scénario tient en trois lignes, ce qui n'est pas évident lorsque vous devez réaliser un film d'une heure trente. Alors que faire ? Et bien on suit le précepte de Bernard Launois et on tire à mort sur la pellicule. Les héros descendent le Grand Canyon, Et bien on va jouer à mort la carte de l'immersion, on commence par les voir arriver sur le lieu d'embarquement, puis on suit leur trajet jusque sur les rives, on les voit embarquer, on a même droit à un cours d'enfilage du gilet de sauvetage en temps réel. Un spectateur optimiste pourrait penser que le gilet de sauvetage aura une incidence quelconque sur le déroulement de l'intrigue, il n'en sera rien, la scène n'ayant pour autre utilité que de gagner cinq minutes. Tout événement, même (et surtout) anodin donne lieu à une scène, c'est à peine si on ne nous fais pas un plan-séquence à chaque fois qu'un personnage va pisser (à peine !).
Je serais mauvaise langue, j'irais même jusqu'à dire que ce film n'est qu'une version romancée des vacances du producteur mais ce serait injuste : tout aussi long et soporifique qu'il soit, « Eaux Sauvages » n'est pas un simple film. « Eaux Sauvages » est un film à message.
Oui vous m'entendez bien sous ses dehors de slasher bête et méchant se cache un film qui essaie de nous faire réfléchir. Vous me direz que d'ordinaire, les slashers ont un message, ne serait-ce que « c'est pas bien de tuer les gens » et « rien ne vaut un lance-flammes pour se débarrasser d'un cinglé ». Aussi étrange que cela puisse paraître, « Eaux Sauvages » est le premier (et le seul) slasher écolo du cinéma.
Quand je vous parle d'écologie, je ne vous parle pas de ces hypocrites qui crèvent les pneus des 4x4, font trente-sept signes de croix quand vous parlez de prendre des bains mais qui pour rien au Monde ne se priveraient de leurs sushis au thon rouge. Là, je vous parle de vrais écologistes, avec des cheveux gras et une vague odeur de patchouli, le genre qui partent en randonnée en faisant gaffe de ne pas déranger les brins d'herbes et laisser les cailloux là où ils sont. Des hippies, quoi, qui profitent du film pour nous exposer leur vision du monde à coup de longues tirades qui n'ont, pour certaines, d'autres utilités que de meubler. En témoigne une scène mémorable où l'un des guides profite du petit déjeuner pour nous expliquer le principe du karma.
Je m'aperçoit que j'avais oublié de vous parler d'une chose mais par chance vous venez de vous en rendre compte : le doublage est absolument catastrophique. En gros, ils ne devaient pas être plus d'une demi-douzaine dans la cabine et, visiblement, ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils allaient doubler. Cette tâche est, en plus, compliquée par le fait que, comme je vous le disais, les dialogues sont idiots et que le manque de doubleur les incite à changer de voix en fonction des personnages.
Quelques vidéos valant mieux qu'un long article, enjoy :
Vous l'aurez compris, écrire un article sur « Eaux Sauvages » tient de la gageure tant ce film est creux. Woody Allen disait « Dans l'industrie du cinéma, on fait quinze films avec une idée qui ne vaut pas un court métrage », et « Eaux Sauvages » en est la preuve. Il devait y avoir de la roche, il devait y avoir de l'eau et du sang, las, il n'y aura que du vent !
Fiche technique :
Titre original : Savage Water
Réalisateur : Paul W. Kener
Pays : Etats-Unis
Année : 1978
Genre : Rafting contemplatif