Blacula
"Tout le monde sait que les vampires n'existent pas.
-C'est bien leur meilleure défense.'
L'autre jour, j'avais tenté, avec mes modestes moyens, de vous parler de la bruceploitation avec « Les clones de Bruce Lee ». Aujourd'hui nous allons continuer notre ballade dans les films d'exploitation des années 70 avec la blaxploitation, plus précisément avec l'un des films les plus connus de ce genre: « Blacula, le vampire noir », adaptation (très) libre du roman de Bram Stoker.
L'affiche originale (source: wrongsideoftheart.com )
Avant tout, replaçons le film dans son contexte. Nous sommes en 1972, à cette époque, les noirs américains sont en plein combat pour être reconnus comme des citoyens à part entière. Martin Luther King a été assassiné quatre ans auparavant, cinq ans auparavant, certains États interdisaient le mariage mixte, il y avait des écoles pour noirs et des écoles pour blancs et nombreux étaient encore les noirs américains à avoir connu le Ku Klux Klan à l'époque où il n'était pas qu'un simple ramassis de néo-nazis illuminés. Il n'y avait officiellement plus de ségrégation mais être noir ou blanc aux États-Unis n'était pas devenu subitement un détail, si tant est que cela le soit devenu un jour.
C'est vers cette époque que des réalisateurs (noirs comme blancs, d'ailleurs) se mirent à faire des films spécialement créés pour la communauté noire. Hormis Sydney Poitier, il y avait peu de grandes stars noires à cette époque et peu de personnages auxquels les noirs américains pouvaient s'identifier. Ainsi naquirent les films de blaxploitation, comme « Sweet Sweetback's Baadasssss Song » (paie ton titre) où des Black Panthers et des Hell's Angels combattent des policiers racistes ou encore « Shaft », où un détective aux méthodes expéditives combat d'abord une bande de bandits (noirs) avant de s'allier à eux pour combattre la mafia (blanche) qui ravage Harlem.
Premier hommage discret: le générique de début s'inspire assez librement de celui du "Bal des vampires" de Roman Polanski avec sa goutte de sang qui change de forme et se balade au gré des noms. .
Certains de ces films, mal faits ou mal écrits, voire les deux, tombaient parfois dans le manichéisme bas de plafond; il faut dire qu'assez rapidement, la blaxploitation est devenue pour les producteur un filon comme un autre. Les sous-Shaft ont bien entendu pullulé, les films d'arts-martiaux également, sous l'impulsion de Jim Kelly, connu avant tout pour son rôle de karatéka dans « Opération Dragon ». En gros, chaque genre, chaque classique a eu sa déclinaison « black » et les films d'horreur ne font pas exception: « Blackenstein », « Black Werewolf », « Dr Black and Mr Hyde » et, bien entendu, « Blacula »
Faire un Dracula noir... après tout pourquoi pas. Mais comment expliquer sa genèse? Comment expliquer que l'on puisse retrouver un vampire noir en Transylvanie? Comment expliquer que l'on puisse le retrouver à notre époque aux Etats-Unis?
L'explication est à la fois très simple et très compliquée. Tout commence en 1780, dans le château de Dracula. Ce soir là, le vampire reçoit deux invités de marque, le prince Mamuwalde et son épouse Luva. Ces deux dignitaires ont fait un long voyage depuis le Niger jusque dans les Carpates pour tisser des liens d'amitié avec l'Europe. La seule condition qu'ils mettent est que les souverains qui seraient prêts à accepter leur main tendue abolissent l'esclavage.
La situation est pour le moins invraisemblable: non seulement, voir des princes nigériens converser sans aucuns soucis avec un noble roumain est assez étrange mais il faut savoir qu'à la fin du XVIIIe siècle, il existait réellement de grands royaumes en Afrique noire et que la plupart du temps, ces royaumes tiraient bien des bénéfices... de la revente des prisonniers de guerre à des marchands d'esclaves arabes et européens.
Tu me ranges ton petit Lavisse, toi? Avec tes cuistreries tu en as carrément omis de dire qu'en plein XVIIIe siècle je m'habille comme si j'étais au XXe. Ca ne prouve pas que je suis en avance sur mon temps, çà?
Peu importe la vraisemblance historique, de toutes manières Dracula est contre et trouve même absurde que des sauvages viennent l'enquiquiner avec çà. Le ton monte, une dispute éclate, dispute à la suite de laquelle Dracula a le dessus.
Dracula décide alors de faire de Mamuwalde un vampire, qu'il appelle « Blacula » (vous ne vous attendiez quand même pas à ce que Dracula ait un humour ravageur quand même ?!), l'enferme dans un cercueil blindé qu'il emmure dans une crypte afin qu'il vive "une éternité de faim et de soif". Il en profité également pour emmurer Luva vivante, histoire de faire d'une pierre deux coups.
Autre hommage discret: l'affiche de "Blacula" placardée dans les abris-bus...
... est partiellement inspirée de l'une des affiches du "Dracula" de Tod Browning.
Deux-cent ans plus tard, un couple d'antiquaires homosexuels rachète le mobilier du château de Dracula, y compris le cercueil blindé et son contenu. Une fois tout ce bazar ramené à Los Angeles, ils ne résistent pas à la tentation d'ouvrir le cercueil et... se font mordre. Blacula est revenu à la vie (en passant par là, j'ignore pourquoi Dracula a jugé bon de le rebaptiser, dans la mesure où il continue à se faire appeler Mamuwalde) et figurez vous que Blacula a faim.
Pour ceux qui en douteraient encore: nous sommes bien en 1970.
Deux hommes retrouvés morts dans un entrepôt, vidés de leur sang et portant deux profondes blessures au cou, voilà de quoi intriguer la police ainsi que le médecin légiste, Gordon Thomas. Quand d'autres corps sont retrouvés, Thomas en vient à soupçonner un vampire, hypothèse crédible si l'on omet un tout petit détail: les vampires n'existent pas... en principes. Parallèlement à cela, il remarque un étrange personnage dans le quartier, un certain Mamuwalde, un grand type qu'on ne voit que la nuit, qui ne se sépare jamais de sa cape et qui possède la capacité étrange de ne pas pouvoir être pris en photo. Ce Mamuwalde a jeté son dévolu sur Tina, la belle-soeur de Thomas, il faut dire que Tina ressemble à s'y méprendre à la première épouse de Mamuwalde, Luva.
Le docteur Gordon Thomas, joué par un certain Jack Crowder qui préferait être crédité sous le nom (à consonnance plus africaine) de Thalmus Rasulala.
Vonetta Mac Gee, l'une des actrices récurrentes des films de blaxploitation. Pour les fans de westerns, c'est elle qui joue Pauline dans le beau (mais déprimant) "Grand Silence" de Sergio Corbucci. Ici, elle joue le double rôle de Luva et de sa réincarnation, Tina.
Un mot quand même sur Mamuwalde, enfin, l'acteur qui l'interprête. La blaxploitation a eu entre autres dons de mettre en valeur une ribambelle d'acteurs: Richard Roundtree, Jim Kelly, Fred Williamson, Pam Grier, Rudy Ray Moore, acteurs auxquels il faudrait ajouter, donc, William Marshall. Histoire d'étaler ma culture, je me suis amusé à souligner le discret hommage rendu à l'affiche du « Dracula » de Tod Browning dans l'une des affiches de « Blacula »mais les parrallèles ne s'arrêtent pas là.
"Ha oui, tiens."
De la même manière que Bela Lugosi fut engagé pour son charisme, son charme (cela vous étonne mais, oui, dans les années 30, Bela Lugosi était un sex-symbol) et parce qu'il était un acteur de théâtre réputé, William Marshall obtint lui-aussi le rôle du vampire pour ses prouesses scéniques: avant de jouer les suceurs de sang amateurs de funk, il était connu pour son rôle dans « Othello » de Shakespeare. Ajoutez à cela un charisme certain et une voix de stentor et vous obtenez un acteur absolument impeccable dans les rôles de prédateurs au charme magnétique.
Mode "Charme magnétique"
Mode "Prédateur"
On reprochera souvent aux films de blaxploitation d'avoir très mal vieilli, mis à part pour les fans de disco et de funk. Il faut dire que la mode en elle-même ne dura pas longtemps: dès la fin des années 70, il était devenu tout à fait normal d'avoir des acteurs noirs à l'écran et la blaxploitation n'avait plus lieu d'être. Certains films, pourtant, ont surnagé et si « Blacula » fait partie d'entre eux, c'est essentiellement parce que le réalisateur a compris que faire un film avec des acteurs noirs n'était une finalité en soi, il a tenu à réaliser un vrai film d'horreur, efficace bien que prévisible (encore que la fin est originale et plutôt bien trouvée), la couleur de peau des personnages principaux n'étant plus qu'un accessoire.
Il y a bien-sûr quelques références faites au sujet de la discrimination dont sont victimes les noirs américains (par exemple, les autorités ne poseront aucuns problème à l'exhumation des victimes noires mais seront plus frileuses à l'idée d'exhumer les victimes blanches) mais elles sont sporadiques et uniquement placées là pour plaire au public visé.
Les scènes dans les dicothèques sont prétextes à quelques intérmèdes musicaux, assurés par un groupe appelé "The Hues Corporation" (si des fans de soul music connaissent...)
A noter que le film remporta un succès suffisant pour qu'une suite en soit réalisée en 1973, sortie aux États-Unis sous le titre de « Scream, Blacula, Scream ». En gros, le film raconte comment des prêtres vaudous ont ramené Blacula à la vie pour se venger d'un autre prêtre. Le film vaut surtout pour la présence de Pam Grier.
Quoi qu'il en soit, Blacula est l'un des plus beaux vestiges d'une mode cinématographique qui eut son heure de gloire outre-Atlantique. Évidemment, le sujet de départ peut paraître plus « gadget » qu'autre chose mais ne vous y fiez pas, son contexte de réalisation lui donne un charme certain, un côté "vintage" qui le rends éminemment sympathique, "Blacula" est une capsule temporelle du 7e art.
Fiche technique:
Réalisateur: William Crain
Année: 1972
Pays: États-Unis
Durée: 1h 33
Genre: Funky Drac'