LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES
Traiter de la psychanalyse au cinéma est une chose qui n'est pas donnée à tout le monde, tant il est facile de tomber dans l'excès. En 1945, c'est le maître du suspense, le grand Alfred Hitchcock qui s'attaque à ce sujet dans l'un des premiers (et des meilleurs) films sur la psychiatrie qu'il m'ait été donné de voir; venant d'Hitchcock, l'inverse m'aurait furieusement étonné.
A l'origine, « La maison du dcteur Edwardes » est un roman de Francis Beeding, pseudonyme derrière lequel se cachent deux auteurs: John Palmer et Hillary St Georges Sanders. L'histoire originale laisse bien plus de place à la psychanalyse pure et dure que le film, ce que le producteur, David Selznick fit même remarquer à Hitchcock, lui reprochant d'avoir pris des libertés avec cet aspect du sujet ce à quoi le réalisateur répondit en haussant les épaules que, après tout, ce n'était que du cinéma. Et quel cinéma!
Tout commence dans un asile. Une jeune psychiatre d'apparence tristement froide et professionnelle, le docteur Constance Petersen (Ingrid Bergman) examine quelques patients, des gens d'apparence normale mais recelant en leur for intérieur de profonds désordres. Unetelle, par exemple, est fascinée par les hommes mais leur voue aussi une haine tenace, un autre est persuadé d'être responsable de la mort de son père parce qu'il avait toujours rêvé de le tuer, illustrant ce complexe de culpabilité dont il est souvent question tout au long du film.
Ce jour là doit marquer l'arrivée du docteur Edwardes (Gregory Peck), sensé remplacer le directeur, le docteur Murchinson. Celui-ci, en poste depuis près de vingt ans, est frappé de crises de sénilité qui le rendent incapable de diriger une institution psychiatrique (ni toute autre institution que ce soit d'ailleurs... encore que). Lorsque le docteur Edwardes arrive, le docteur Petersen commence a avoir des doutes. Tout d'abord, le docteur Edwardes paraît bien jeune pour un psychiatre de renom, il a beau affirmer que l'âge n'a pas eu de prise sur lui, il est étrange que l'on confie de telles responsabilités à un homme qui n'a pas plus de quarante ans. La froide psychiatre tombe rapidement sous le charme du docteur Edwardes (et réciproquement) mais ne peut s'empêcher de remarquer le comportement pour le moins étrange du nouveau venu qui semble avoir la phobie des rayures et du blanc.
Une nuit, l'un des patients agresse un médecin avant de tenter de se suicider. Alertés, Constance et le docteur Edwardes sont dépêchés dans la salle d'opération où le docteur entre alors dans une crise de démence avant de s'évanouir. A son réveil, il avoue tout à la jeune femme: il n'est pas le docteur Edwardes, il n'est qu'un de ses patients qui a pris sa place après que le docteur ait été tué. Par qui? Il l'ignore. Où? Il l'ignore. Pour tout dire, il ignore même qui il est, le seul indice le reliant à son passé étant un étui à cigarettes portant les initiales J.B. ….
Il y a trois choses qu'il ne faut jamais faire dans sa vie: la première c'est de mettre du ketchup dans ses pates, la deuxième c'est coller un coup de pied à un pit-bull, la troisième c'est de raconter un film d'Alfred Hitchcock en allant au delà des vingt premières minutes, aussi, vous m'excuserez si je termine mon récit ici, me privant donc par necessité d'un argument de choix pour vous convaincre de voir ce film.
Quel argument pourrais-je vous donner pour vous convaincre de regarder ce film? Mise à part Ingrid Bergman (ou Gregory Peck mais je suis moins sensible à ce genre de beauté là)?
Qui dit "Hitchcock" dit forcément "caméo' (ici, sortant de l'ascenseur avec l'étui à violon).
Et bien il y a dans ce film une scène absolument incroyable. Sans vouloir totalement déflorer l'intrigue, sachez juste que l'un des personnages raconte l'un de ses rêves. Voulant réellement donner l'impression au spectateur de se trouver dans un songe, Hitchcock a alors une idée absolument géniale: celle de confier la réalisation de cette scène onirique à ce grand malade qu'était Salvador Dali. Pour ceux qui ont la malchance de ne pas le connaître, Salvador Dali était un peintre surréaliste espagnol aux moustaches singulières qui, entre autres, fut l'auteur de ce célèbrissime tableau représentant des montres molles (vision qu'il aurait eu en mangeant du camembert); il est aussi l'auteur de quelques films avec Luis Buñuel, dont le plus connu reste « Un chien andalou » ainsi que d'une publicité pour les chocolats Lanvin qui rode parfois lors de ces émissions du samedi soir ou Arthur nous passe des images soit-disant inédites entre deux plaisanteries idiotes et du cire-pompe pour un film insipide.
Le surréalisme, donc, visait en gros à reproduire dans l'art, les fulgurances de l'artiste. C'est pour cela que les adeptes de ce mouvement se sont souvent intéressés à la psychanalyse, notamment à l'écriture automatique et à l'interprétation des rêves. Retrouver un surréaliste à la réalisation d'une scène onirique est loin d'être surprenante, surtout quand le surréaliste en question est Salvador Dali qu' Hitchcock appréciait particulièrement, c'est lui qui a imposé le peintre convaincu qu'il saurait filmer un rêve mieux que lui. Ce ne fut pas chose facile: David Selznick craignant, a juste titre, que donner carte blanche à l'excentrique espagnol ne fasse furieusement grimper l'addition. Heureusement, si Selznick était un producteur prudent, il était aussi intelligent et s'est bien vite rendu compte qu'avoir le nom de Dali sur l'affiche risquait d'amener pas mal de monde et de faire parler de son film, et le fait que je m'attarde sur cette scène prouve qu'il eut le nez creux. La scène devait durer relativement longtemps et avoir pour point culminant un bal dans une salle où seraient suspendus des pianos. Ce passage là existe mais, faute de temps, il ne fut pas intégré au montage final.
Un plan qui n'est pas sans rappeler la scène d'ouverture d' "Un chien andalou".
A défaut de montre molle, voici la roue molle.
Cette scène ne doit pas non plus faire oublier le reste du film, où il est davantage question d'efficacité que de spectaculaire. Hitchcock a cette qualité rare de savoir faire monter la tension avec presque rien; le téléphone, par exemple, joue un rôle assez intéressant. De façon générale, le spectateur est constamment trimballé de fausses pistes en fausses semblants, si une piste vous paraît évidente, ne vous y fiez pas, si un personnage vous paraît normal, c'est qu'il moins lisse qu'il n'en a l'air. A noter que la fin est elle aussi symptomatique de cette volonté de mener le spectateur en bateau avec un triple ou un quadruple twist final qui aboutit à un dénouement pour le moins singulier.
Bénéficiant d'un scénario des plus impeccables, d'un casting lui aussi fort reluisant et de réalisateurs tous les deux talentueux dans leur domaine, « La maison du docteur Edwardes » est le genre de film auquel il est dur de trouver des défaut tant la maîtrise technique y est présente à tout les niveaux.
En cherchant bien, il y a un défaut: ce film est tellement bon qu'il est quasiment impossible de se montrer un tant soit peu amusant en en parlant.
Fiche technique:
Titre original: « Spellbound »
Pays: Etats-Unis
Réalisateur: Alfred Hitchcock
Année: 1945
Genre: Quand la pensée dépasse les actes