La Nuit Nanarland 2

Publié le par Antohn

Huit ans, ça fait huit ans que je passe une nuit par an, à la Cinémathèque puis au Grand Rex, à voir des choses qui vous font reconsidérer votre esprit critique. Huit ans que je participe à ce qui s'appelait à une époque la Nuit Excentrique et à ce qui s'appelle maintenant la Nuit Nanarland et où le nanardeur aguerri que je pense être se retrouve encore surpris par ce que le cinéma peut offrir de plus raté, de scénarios écrits n'importe comment, d'acteurs à la ramasse, d'effets spéciaux préhistoriques et de réalisation aux fraises.

Évidemment, il y a toujours le plaisir coupable de se sentir plus intelligent que le spectacle que l'on regarde mais les nanars ont cela de fascinants qu'ils transcendent tellement la frontière entre bon et mauvais et que l'on prend un véritable plaisir à en voir. A ceci près que ce n'est pas exactement le plaisir que voulaient nous procurer leurs auteurs. Mais croyez-moi, il n'y a pas une once de mépris dans cet amour, il y aurait même un peu d'admiration pour ceux qui ont poursuivi leur rêve de réaliser un film envers et contre tout avec une passion bien plus perceptible que dans pas mal de films mainstream.

Par rapport à l'année dernière, la soirée a été pauvre en guest-stars, à l'exception de Karim Debbache qui, à force de serrer des mains et de faire des selfies, a mis une heure à rejoindre sa place (ça s'appelle la rançon de la gloire). Pas d'annonce tonitruante non plus (mise à part la seconde saison de Nanaroscope) et pourtant, je crois qu'il s'agit de l'une des meilleurs Nuits nanars que j'aie pu passer. Ce n'est que la deuxième ou troisième fois que je ne ferme pas l'oeil de la nuit. Et la première fois que je sors de la salle avec une putain d'extinction de voix des familles (mais si c'est un terme médical !), c'est vous dire si ça a été intense.

Et ça a commencé par... ça :

DANGEROUS MEN (Jahangir Salehi (sous le pseudonyme de John S. Rad), Etats-Unis, 2005). Certains projets peuvent murir longtemps et DANGEROUS MEN en fait partie : sorti en 2005, le tournage de ce film avait commencé.. en 1985. A l'origine de cette œuvre Jahangir Salehi qui, après avoir quitté son Iran natal suite à la révolution islamique, s'installa à Hollywood avec dans l'idée de se prouver qu'à Hollywood, vous pouvez faire des miracles avec un peu de volonté. Le soucis c'est qu'il faut aussi des moyens, du temps et, il faut bien le dire, un poil de talent, ce que ce bon monsieur n'avait pas en quantité monstrueuse.

A l'origine, le film devait raconter l'histoire de Mina, une femme se vengeant du gang de bikers qui a assassiné son fiancé. La vengeance en question s'accomplit assez vite (et de façon débile) et une partie du film va la voir ensuite se débarrasser de types qui tentent de la violer alors qu'elle fait de l'auto-stop ou encore assassiner des clients de prostituées. Peut-être il y a-t-il une volonté de faire de Mina une sorte de vigilante à la Charles Bronson, dépassant la vengeance personnelle pour éliminer tous les hommes dangereux pouvant faire du mal aux femmes. Ça nous ne le saurons jamais dans la mesure où l'actrice s'est brouillée avec le réalisateur et a refusé de reprendre le tournage.

Qu'à cela ne tienne, Salehi a inventé un nouveau personnage : le frère du fiancé de l’héroïne, qui, suite à d'"habiles" astuces de montage, reprends la quête de sa belle-sœur, en se vengeant de personnages dont nous ne savons rien dans la mesure où personne ne songe à nous les présenter. De la même façon, le film fourmille de scènes complètement inutiles, comme ce passage surréaliste où Mina vire de son pick-up un type qu'elle a fait foutre à poil d'abord (bon, il l'a cherché : comme 90% du casting, il a essayé de la violer). La caméra va ensuite suivre ce mec pendant 10 bonnes minutes, à l'entendre se lamenter et même engueuler ses parties génitales. On pense que ce personnage va avoir une utilité pour la suite. Et bien non ! Il disparaît sans aucune explication, comme pas mal d'autres protagonistes. Pour vous donner une idée, la scène finale va impliquer trois personnages qui nous auront été présentés respectivement 15, 10 et 2 minutes avant.

La légende raconte que DANGEROUS MEN ne connut qu'une semaine d'exploitation en salle, dans 4 cinémas aux Etats-Unis, et rapporta la somme faramineuse de 70 dollars. Décédé en 2007, Jahangir Salehi ne vit pas l'édition en DVD de son œuvre en 2015. Une autre légende raconte que sa fille aurait donné son accord pour l'édition de ce DVD afin de se rembourser après s'être aperçue qu'une voiture détruite dans une scène était... sa propre voiture, que son père lui avait confisqué 25 ans auparavant et ne lui avait jamais rendue. Cela a permis également d'offrir une gloire posthume à son père, DANGEROUS MEN étant devenu un phénomène chez les amateurs de nanars outre-Atlantique, comme le furent en leur temps THE ROOM et TROLL 2.

J'oubliais : la musique n'a strictement rien à voir avec le propos du film.

D'un ratage passé inaperçu à une catastrophe industrielle, il n'y avait qu'un pas... ou plus précisément 30 minutes de pause, un café et un panini. Et il y avait besoin de ça pour affronter la...

MEGAFORCE (Hal Needham, Etats-Unis, 1982). Après le succès plus ou moins surprise de LA GUERRE DES ETOILES, quelques producteurs ont flairé le filon et ont tenté d'appliquer des recettes similaires pour faire marcher la machine à cash. La Golden Harvest, par exemple, avait sa réponse au film de Lucas : MEGAFORCE. Tout y était : le héros charismatique, le manichéisme, les scènes d'action trépidante avec les grosses explosions qui vont bien et même un budget de plusieurs millions de dollars supérieur à celui de Star Wars. Résultat : un énorme échec commercial et critique, de la part d'un film dont le principal défaut est d'avoir mis la charrue avant les bœufs.

Parce qu'anticipant le succès planétaire de son œuvre, Golden Harvest avait eu l'idée de faire comme Georges Lucas : signer un contrat avec un fabricant de jouets pour créer des produits dérivés et se faire un max de pognon (allant même jusqu'à développer un jeu video pour l'Atari 2600). Mieux encore, ils ont même demandé à Mattel de dessiner les costumes et les véhicules, oubliant juste un truc : ce qui rend bien en jouet ne rend pas forcément bien dans un film avec des acteurs en chair et en os, conférant à l'ensemble une esthétique assez... spéciale.

"Bon on a assez ri, c'est quoi les vrais costumes ?".

Quant au scénario, il faut s'imaginer un épisode géant de GI Joe : la Megaforce est une force secrète d'intervention spéciale regroupant des soldats d'élite du Monde entier (bon, essentiellement des américains entourés de clichés sur pattes) que l'on envoie quand un méchant fait des méchancetés quelque part sur la planète. Là, ça tombe bien, un certain Guerrera fait des siennes dans un pays mal défini (et plutôt désertique). Ça tombe d'autant mieux que Guerrera est l'ennemi juré du chef de la Megaforce : le Commandant Ace Hunter, leur brouille remontant au jour où Guerrera lui a... volé son briquet (je ne plaisante pas).

Ça pétarade, ça vanne dans tous les sens, ça va à la guerre comme si on allait jouer au foot (il n'y a pas un mort à l'écran) et ça déambule en combinaison dorées du plus bel effet et ça cantonne au rôle de faire-valoir la seule femme du casting (alors qu'elle prouve à plusieurs reprises qu'elle aurait parfaitement eu sa place avec les autres). Le résultat donne un film d'une débilité absolument confondante, dont on se demande à qui il peut être destiné. De nos jours, les jouets MEGAFORCE sont devenus des pièces de collection, le film est devenu l'une des références majeures pour tout nanardeur qui se respecte et on ne pourra regretter que la suite prévue n'ait jamais vu le jour.

Une heure du mat'. On a pas encore de frissons mais les organismes commencent à fatiguer. Ça tombe bien, quelques snacks alentours ont eu l'idée brillante de rester ouverts toute la nuit et ils ont fait provision de trucs à base de caféine. Pendant que certains commençaient à somnoler (les fauteuils du Grand Rex sont particulièrement confortables), d'autres, dont votre serviteur avaient décidé de ne pas dormir, d'autant plus que c'est une valeur sûre qui arrivait, un bon gros nanar turc comme on en fait plus.

TARKAN CONTRE LES VIKINGS (Tarkan Viking kani, Mehmet Aslan, Turquie, 1971). Certains connaissent probablement l'histoire mais laissez-moi vous contextualiser ce film. Dans les années 70-80, le gouvernement turc était aux mains des nationalistes et leur repli était tel que l'importation de films étrangers était interdite, ce qui amenait l'industrie locale à faire preuve d'énormément de débrouillardise pour offrir au public sa dose de divertissement. Vous vous souvenez des films "suédés" de SOYEZ SYMPAS REMBOBINEZ ? Et bien le cinéma d'exploitation turc de cette époque c'est ça !

Au menu, l'une des nombreuses adaptations de Tarkan, une bande-dessinée assez célèbre du côté du Bosphore et qui rappelait à qui voulait l'entendre que parmi les turcs se trouvaient des descendants des Huns, ce même peuple qui mit un jour l'Europe à genoux. L'Europe, dont les Vikings, dont la présence ici n'est pas si bizarre lorsque l'on sait que les vrais Vikings se sont installés jusqu'en Sicile. Par contre les vrais Vikings ne ressemblaient pas à des types affublés de casques et de perruques récupérées dans une boutique de souvenirs du Parc Asterix. Et les vrais Vikings ne s'alliaient pas aux Chinois pour envahir la Turquie et enlever la fille d'Attila.

Le film nous était présenté en turc sous-titré mais je vous avoue que même sans les sous-titres il y avait de quoi s'amuser. Les nanars turcs ont de fascinants qu'ils perdent en moyens et en cohérence ce qu'ils gagnent en folie et en enthousiasme. Et croyez-moi que de la folie et de l'enthousiasme il y en a. Esthétiquement, le film est assez spécial : visiblement pour le costumier les Vikings mettaient de la fourrure partout (y compris sur leur boucliers) et affectionnaient les couleurs vives, ce qui donne le sentiment que la moitié du casting est habillée avec des draps de bain. A cela il faut ajouter des effets spéciaux pour le moins rudimentaire (comme cette paisible pieuvre en plastique contre laquelle quelques personnages vont faire semblant de se battre) et une notion assez vague du respect du copyright (un oreille attentive reconnaîtra, par exemple, "Ainsi parlait Zarathoustra" ou encore quelques morceaux d'Ennio Morricone).

Entre deux bastons où les figurant perdaient leurs cheveux en même temps que leurs casques se noue quand même une intrigue faite de trahisons et de chausses-trappes en tout genre, ainsi qu'une histoire de vengeance impitoyable. Car Tarkan ne cherche pas la fille d'Atilla, il ne se venge pas du fait que les Vikings aient massacré les siens mais... du meurtre de l'un de ses deux chiens errants loups. Notons que la principale star du film est d'ailleurs la bestiole survivante, Kurt, qui recueillit pas mal d'encouragements, et qui aurait pu en recueillir davantage s'il ne se baladait pas avec le regard impavide et caractéristique du brave toutou idiot qui ne comprend absolument pas ce qu'il fout là.

Il restait une dernière ligne droite à affronter. Il était 4 heures, une fois la seconde crêpe et le troisième café de la soirée avalés il fallait reprendre place et s'envoyer les derniers cuts, les dernières bandes-annonces et le dernier film.  A l'époque de la Cinémathèque, la tradition était de finir avec un film de ninja, au Grand Rex, elle consiste à passer un film musical. La transition s'était à l'époque artistement opérée avec le génial MIAMI CONNECTION (qui associait ninjas et rock FM). L'année dernière, nous avions la funk du DERNIER DRAGON, cette année, nous aurons droit au hard-rock de..

BLACK ROSES (John Fasano, Etats-Unis, 1988). Nous sommes en 1988, Iron Maiden, AC/DC, Ozzy Osborne cartonnent et Alice Cooper et Mötley Crüe signent les plus belles heures du glam metal. En ce temps là, il y eut des producteurs et des réalisateurs pour flairer le filon et mélanger allègrement pellicule et cheveux longs. John Fasano est de ceux-là et il n'en est même pas à son coup d'essai puisque, l'année précédente, nous lui devons déjà ROCK N' ROLL NIGHTMARE, un film à la gloire du rockeur culturiste John Mikl Thor (et qui était déjà un beau nanar). Ici les rôles sont inversés puisque le propos de BLACK ROSES est de nous montrer à quel point le hard rock est une musique démoniaque. Et le tout sans une once de second degrés.

Pour vous la faire courte, le film raconte comment le célèbre groupe de hard rock "Black Roses", mené par son leader Damian (tu as la référence lecteur ?), aux cheveux longs et au strabisme divergent, corrompt la jeunesse en organisant ses premiers concerts dans une petite bourgade des États-Unis (les types sont célèbres mais n'ont jamais donné de concert... admettons). Mais si les chansons des Black Roses on l'air, de prime abord, assez inoffensives leurs "récitals" comme le dit la version française, dégénèrent rapidement en véritables messes noires. Ce dont les jeunes qui écoutent cette musique de sauvages ne se rendent pas compte puisque ce sont des jeunes et donc des êtres idiots et influençables.

Ceux par qui le mal arrive...

Heureusement, un brave professeur de littérature moustachu, et fan de musique classique, comme il se doit, veille au grain. Car ce qui devait arriva. Bien que leurs parents les aient bien mis en garde, les jeunes, gavés de décibels se mettent à faire ce que nous faisons tous après avoir écouté du rock, regardé la télé ou joué à des jeux vidéos: ils se complaisent dans la violence, le stupre et le meurtre, complémentent lobotomisés par les paroles subversives de cette horde de barbares chevelus avec des guitares électriques. Pour être gentils, je dirait que le film essaie de souligner le ridicule des critiques adressées au rock en partant du principe qu'il prêche des convaincus et je doute qu'il soit réellement anti-guitares électriques. La preuve en est que, au niveau de la bande-son c'est plutôt de la bonne came si vous supportez le glam metal 80's.

Si on est plus critique, on soulignera quand même que le film repose sur le présupposé que tout ce qui est "un peu jeune" (comme souvent, les lycéens sont joués par des types qui ont facilement 25/30 ans) est dénué de tout sens critique et qu'heureusement que les adultes sont là pour les remettre dans le droit chemin. Quitte à mettre le feu à une salle de concert remplie d'ados dans un affrontement final qui aurait été épique s'il n'opposait pas un quadra moustachu à une espèce de créature en caoutchouc craignos.

Il fallait bien ça, toutefois, pour que ces salopiauds de rastaquouères rentrent enfin dans le rang et cessent de croire à un avenir que personne ne pourrait leur offrir de toutes façons !

Quant à notre avenir à nous dans la salle, il allait prendre la forme des traditionnelles bandes-annonces porno de fin de soirée, récupérées cette année dans le garage d'une paisible retraitée marseillaise. Nous avons pu donc assister aux promotions de films aux titres aussi évocateurs que "Lèvres humides", "Tout le monde est sexy, tout le monde est cochon" ou encore "Couches-toi sur le dos, je ferai le reste". Le tout dans une salle à 80% masculine, remplie de gens en manque de sommeil, vous vous doutez bien que les visionnages en question se sont couplés à pas mal de blagues tenant plus du corps de garde mérovingien que du club de gentlemen anglais.

Et puis vint le moment où la lumière se ralluma et où un dernier message sur l'écran du Grand Rex nous prévenait que nous avions jusqu'à l'année prochaine pour nous remette de nos émotions. Dans un Paris presque désert, nous nous dispersâmes par groupes, parce que nous n'avions pas réellement envie de nous quitter, et parce qu'on espérait que l'un d'entre nous repérerait un café ouvert qui accepterait d'accueillir une quinzaine de noctambules à la recherche d'un croissant et d'un jus d'orange. Et le plus étrange dans cette histoire, ce n'est pas ce que nous avons vu cette nuit-là, ce n'est pas le fait d'avoir trouvé un café ouvert... c'est d'avoir sans broncher payé 8 euros pour un expresso tiède.

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