Dyke Hard
Quand une de vos collègues, connaissant votre goût pour le cinéma déviant, vous interpelle sur un réseau social bien connu sur l'air du "Antoine il faut que tu voies ça" et vous parle du film qui va suivre... disons vous vous dites que, certes, votre job n'est pas parfait mais que vous travaillez quand même avec des gens pour qui vous pourriez vous faire plier en quatre dans le sens de la longueur. Le pire dans l'affaire est que, sous des dehors de curiosité indé, DYKE HARD n'est pas si compliqué que ça à trouver, la galette trônant fièrement dans la première Fnac venue.
Je vous accorde que c'est pratique mais, c'est un peu comme traquer le sanglier chez Picard : le frisson de la chasse en prend un coup.
"Mais qu'est-ce que DYKE HARD ?" me demanderez vous ? Et bien pour faire simple, il s'agit de l'une des plus belles bizarreries cinématographiques qu'il m'ait été donné de voir récemment, suffisamment pour que je vous prouve que le Brocoli n'est pas encore mort.
A l'origine, le film devait être produit par la Troma, la firme de Lloyd Kaufman. Pour ceux à qui ce nom ne dit pas grand chose, disons que la Troma s'est spécialisée dans les films à (très) petit budget faisant la part belle au gore et au mauvais goût. Citons par exemple THE TOXIC AVENGER (qui eut même droit à son adaptation en dessin animé et en jeu vidéo) ou, plus récemment, des films comme POULTRYGEIST (une parodie de POLTERGEIST dans l'univers de la malbouffe) ou encore PRO WRESTLERS VS ZOMBIES dont le titre en lui même est assez transparent (et peut se traduire par "Il le fooooooooo !").
C'est même une ancienne de la maison, la suédoise Bitte Anderson qui se colle à la réalisation. Elle avait auparavant occupé pas mal de postes sur les plateaux de la Troma, vu que, comme elle le dit elle même, "tout le monde fait un peu tout là-bas". Notons que, parallèlement à ses activités de cinéastes, elle est également la co-créatrice d'une émission hebdomadaire à la télé suédoise : Hallon TV (littéralement "Télé Framboise"), orientée essentiellement vers la communauté LGBT. Il s'agit essentiellement de parodies de séries ou d'autre programmes à la sauce queer.
DYKE HARD est également dans le même esprit. Pour faire simple, il s'agit d'un road trip où nous suivons les pérégrinations d'un groupe de rock lesbien, les Dyke Hard, dont le nom est un jeu de mot entre "die hard" ("dur à cuire") et "dyke", un terme péjoratif que les lesbiennes anglo-saxonnes se sont appropriées afin de priver les homophobes de l'un des moyens d'exprimer leur haine. Notez que quand je dis "pour faire simple" c'est également parce qu'il est assez difficile de résumer DYKE HARD, tant le scénario part dans tous les sens au fur et à mesure de l'inspiration des scénaristes.
Le fait que le scénario soit foutraque est d'ailleurs assez raccord avec le projet initial du film. Car sous ses dehors de série Z parodique, DYKE HARD se veut comme une sorte d'anti-film hollywoodien. L'idée étant que dans, si dans ces films, tout le monde est beau, intelligent, classieux... et bien dans DYKE HARD tout le monde va être moche, idiot et mal fringué, par exemple. Évidemment, cela peut prêter à sourire mais si Bitte Anderson a décidé de donner cette tonalité à son film c'est aussi parce qu'elle se rendait compte que le cinéma mainstream mettait énormément de gens de côté, ceux-ci ne pouvant pas s'identifier à des héros majoritairement masculins, blancs et hétéros (rayez d'éventuelles mentions inutiles).
Ce qui peut être un soucis c'est que, non content de proposer des personnages non-canoniques, DYKE HARD va également pousser l'esprit de contradiction jusqu'à aller volontairement rater la plupart des éléments du film. Les styles des personnages sont improbables, les effets spéciaux préhistoriques, l'esthétique furieusement kitsch, le scénario baigne dans le n'importe quoi le plus absolu et les acteurs jouent terriblement mal. Si l'on connaît le contexte de création du film et l'idée sous-jacente, le résultat est tout à fait compréhensible. Quand vous tombez sur ce film par hasard, son visionnage est plus déroutant et vous vous demandez ce qu'il vous veut.
C'est d'ailleurs en substance, la tonalité de la plupart des critiques négatives que j'ai pu lire. D’autres, venaient également du fait que, le film restant pas mal estampillé "Troma", celui-ci manquait sérieusement de mauvais goût, d'hémoglobine et d'étalage de fluides en tout genre. C'est justement oublier que le film n'est pas un film Troma et que son but est moins de choquer que de vouloir casser les codes. Enfin, d'autres critiques lui reprochent de ridiculiser les homosexuels, notamment les lesbiennes, et de faire plus de mal que de bien à la cause qu'il souhaite défendre. Sur ce point là, étant un homme, hétérosexuel de surcroit, je me garderai bien de donner mon avis, étant tout sauf légitime pour le faire.
Quant à moi, je considère DYKE HARD comme un cas assez rare de "nanar volontaire", de film volontairement raté. Mais à l'image de nanars volontaires récents comme SHARKNADO, réalisés dans l'optique de flatter l'amateur de cinéma déviant et de pop-culture, DYKE HARD se veut nanar pour dénoncer les travers du "traditionnel". Citons, par exemple, ce plan où l'une des héroïnes fait un triple salto avant au dessus d'une voiture avant qu'un plan nous la montre atterrir parfaitement sur des talons aiguilles. L'idée est tout autant de souligner l'absurdité de la chose que de mettre l'accent sur l'habitude que les costumiers ont à privilégier l'esthétique au pratique. Autrement dit, c'est une pique envoyée aux nombreux personnages féminins affublés de tenues qui ne sont pas cohérentes avec ce qu'elles ont à faire. En témoigne la récente polémique sur l'armure des POWER RANGERS.
Ode au cinéma d'exploitation et au hair metal des années 80, œuvre revendicative, film musical, gros délire baignant dans le nawak et le fluo, vous adorerez DYKE HARD ou vous le détesterez mais, à l'image du film, il n'y aura pas de demi-mesure...