Grave
"Mais si on peut faire de bons films de genre en France ! Regardes LA BELLE ET LA BETE de Cocteau ! Et LES YEUX SANS VISAGE ? C'est de la merde LES YEUX SANS VISAGE ?". Certes non mais nous parlons de films ayant 60 à 70 ans et, depuis, force est de constater qu'il n'y a pas eu vraiment de relève. Quelques tentatives, ça et là, certes, mais trop "sages". Récemment, par exemple, je vous avoue avoir été déçu par DANS LA FORÊT qui, malgré une idée intéressante, se perdait dans le "je ne veux pas vous en dire trop alors je ne vous en dit pas assez".
GRAVE s'annonçait sous de meilleurs auspices, toutefois. Non seulement la réalisatrice, Julia Ducournau se révélait être une vraie fan de films d'horreur (qui aurait, dit-elle, vu MASSACRE A LA TRONCONNEUSE à six ans) et la presse, même les médias mainstream, ne tarissait pas d'éloges sur cette oeuvre à la fois audacieuse et transgressive. Et voir France Infos ou Le Monde, voire même le Figaro encenser un film traitant de cannibalisme tout en taillant un short au dernier Lelouch... j'en suis venu à me demander si je n'avais pas atterri dans un univers parallèle, et un chouette !
Reste à savoir si GRAVE allait être à la hauteur des espoirs placés en lui. Et bien, vous savez quoi ? Oui, cent fois oui !
A la fois conte macabre et parabole sur le passage à l'âge adulte, GRAVE, va suivre le parcours, et la métamorphose, de Justine, une étudiante en première année d'école vétérinaire. Aussi brillante qu'elle est introvertie, Justine s'apprête à intégrer une école où ses parents et sa soeur ont également étudié. Une tradition familiale, donc, comme celle de ne pas manger de viande, Justine étant végétarienne depuis toujours.
Le soucis, c'est qu'entrer dans une école vétérinaire implique forcément un bizutage en règles. Autant se faire réveiller en pleine nuit ou se faire asperger de sang passe encore mais, lorsqu'on la force à avaler un morceau de viande crue, la voilà à devoir choisir entre son rêve et ses convictions. Vous vous doutez qu'elle va céder, avec des conséquences à la fois physiques et psychologiques importantes.
Car ce simple morceau de viande va éveiller en Justine des appétits étranges, d'abord pour la viande crue puis pour un tout autre type de viande. De végétarienne, Justine va peu à peu devenir cannibale.
A ce moment là, je vous avoue que je craignais le film grand-guignolesque qui, sous prétexte de créer le malaise, nous noierais sous des hectolitres de raisiné. Heureusement, il vaut mieux que ça et la violence graphique ne va servir que de support à une violence qui s'exprime ici sous toutes ses formes, de la plus évidente à la plus insidieuse.
J'aurais du mal à vous citer des exemples sans vous dévoiler des pans importants de l'intrigue mais sachez que ce qui marque dans ce film c'est que si l'on se prend d'empathie pour l'héroïne c'est simplement parce qu'elle est entourée de gens qui, comme elle, bouffent les autres. Sauf qu'elle elle le fait au sens propre, non au sens figuré.
Attention toutefois : si le film est moins gore que prévu il n'en reste pas moins que certaines scènes ne sont pas à montrer à n'importe qui. Mais, en principes, si vous avez une petite expérience du cinéma d'horreur (et que vous avez plus de 16 ans, bien sûr) vous n'aurez aucun problème à survivre à l'expérience.
Plus que sur le sang, d'ailleurs, le film va se concentrer sur la chair. Il n'est, en effet, pas avare de nudité, sans pour autant que celle-ci puisse être associée à de l'érotisme. Pour résumer la chose, disons que le corps dans GRAVE n'est à aucun moment vu comme un objet de désir. La nudité n'est que le retour à une certaine animalité, le corps n'est qu'un tas de viande, avec une âme. À ce titre, deux ou trois scènes sont des merveilles de mise en scène et d'interprétation, tant elles vont jouer sur la frontière entre appétits sexuels et appétits carnassiers.
De façon générale, le sous-texte est assez présent dans le film. Nous restons dans un film français, hors de question donc de rester dans le premier degré pur et dur avec une seule piste de lecture. Ce n'est pas un reproche, juste une constatation et je me demande si ce n'est pas pour cela que le cinéma de genre français n'arrive pas à percer. Soit ces films essaient de copier le cinéma américain avec moins de moyens et d'expérience soit ils essaient de jouer la carte de l'exception culturelle et on se retrouve avec des films bêtement auteurisants et à la limite du compréhensible.
"Grave", lui, réussit à trouver l'équilibre entre les deux. Ça peut paraître idiot mais je me demande si, depuis des décennies il n'est pas le premier film d'horreur français à non seulement le comprendre mais aussi à y parvenir.
Alors, oui, évidemment, GRAVE n'est pas parfait mais il m'a donné envie d'être optimiste pour la suite. Pour paraphraser une citation célèbre : j'ai vu l'avenir du cinéma de genre en France, il s'appelle Julia Ducournau... Et je suis sorti de la salle avec une furieuse envie de steak tartare mais c'est un autre sujet.