Fleur de Tonnerre

Publié le par Antohn

En février 1852, fut guillotinée à Rennes une certaines Hélène Jégado, une cuisinière de 49 ans reconnue coupable du meurtre de 5 membres d'une maisonnée où elle était employée. et fortement soupçonnée d'en avoir assassiné une soixantaine d'autres. Peu de temps avant sa mort, elle fit une longue confession où elle reconnut avoir "porté le deuil et la désolation dans de nombreux foyers". Si l'affaire avait défrayé la chronique, son issue passa inaperçue, les journaux étant alors occupés par le coup d'Etat de Napoleon III et ses conséquences. Il reste que la figure d'Hélène Jégado resta dans le folklore breton : on écrivit de nombreuses histoires à son sujet, de nombreuses chansons (encore aujourd'hui) et plusieurs pâtisseries fabriquent encore un gâteau qui porte son nom, inspiré par l'une de ses recettes.

Lors d'une séance de dédicaces, l'une des lectrices de Jean Teulé lui offrit l'un de ces gâteaux et en profita pour lui raconta l'histoire de cette empoisonneuse. Dire qu'elle lui plut fut un euphémisme puisqu'il en écrivit alors "Fleur de Tonnerre", biographie romancée d'Hélène Jégado, portée ici à l'écran par Stephanie Pillonca-Kervern.

Le film suit une trame assez simple : arrêtée, Hélène Jégado raconte son histoire au juge d'instruction qui l'interroge et déroule ainsi son parcours meurtrier. Passons sur le fait que la vraie Jégado ait toujours nié devant les juges et lors de son procès avoir tué qui que ce soit, nous sommes dans une biographie romancée après tout.

Elle commence alors par raconter son enfance, trimballée entre un père pour qui elle n'est qu'une bouche inutile et une mère qui, sous prétexte de l'élever à la dure, ne lui manifestera jamais le moindre signe d'affection. C'est elle qui lui donnera son surnom de "Fleur de Tonnerre" sans que sa signification nous soit expliquée. C'est elle qui la fit grandir dans un milieu où les superstitions et les croyances étaient la norme. C'est elle qui lui apprit à avoir peur de l'Ankou.

Qu'est-ce que l'Ankou ? Dans la mythologie celtique c'est le messager de la mort, celui qui vient emporter les âmes passées de l'autre côté. On raconte que le grincement de sa charrette annonce une mort prochaine dans la maisonnée. La petite Hélène en conçut une peur si grande qu'elle finit par développer une idée terrifiante : devenir l'Ankou ou tout du moins le servir, lui apporter des âmes en sachant qu'elle finirait par lui donner la sienne dans une ultime offrande.

Avouez que c'est assez bien trouvé. En plus, elle permet d'aborder un thème habituel des films de serial killers : les motivations. Souvent, et ce fut probablement le cas d'Hélène Jégado, les tueurs en série tuent seulement parce qu'ils en ont envie et c'est une explication dont on nous avons du mal à nous contenter à moins d'être nous-mêmes psychopathes. C'est une bonne idée, donc, une tellement bonne idée que le film nous la martèlera au bas mot tous les quart-d'heure pour que l'on comprenne bien.

L'autre volonté du film est de nous faire prendre d'empathie pour Hélène, elle que son avocat avait défendue à l'époque en expliquant qu'elle n'était pas humaine et ne pouvait être jugée comme telle, elle que l'on appelait "La Jégado" comme on disait "La Brinvilliers" ou "Le croque-mitaines". Là aussi l'idée est plutôt bonne mais, là-aussi, la subtilité n'est pas forcément au rendez-vous.

Ca commence par nous raconter son enfance malheureuse, ça se poursuit par des scènes où, recroquevillée sur son lit, elle entend, terrorisée, la charrette de l'Ankou et ça continue avec le fait qu'on ne la voit tuer que des figurants ou des personnages antipathiques et ça se termine avec l'atténuation forte de ses travers : la vraie Hélène Jégado était décrite par ses employeurs survivants comme étant menteuse voleuse et alcoolique (elle a quand même réussi l'exploit, dans la campagne bretonne du début du XIXe siècle de se faire virer d'une presbytère pour consommation excessive d'alcool) ici, elle est juste un peu roublarde et a l'alcool social plus qu'autre chose. Si on ajoute à cela le fait que Deborah François, qui joue Hélène Jégado, est plus jeune et plus jolie que l'originale, on finit, certes, par la trouver sympathique mais on en vient à oublier ce qu'elle est à la base, ce qui fait que l'idée de faire d'elle un "monstre attachant".

En parlant d'attachant, je ne saurais parler de cet aspect du film sans évoquer le personnage de Matthieu Véron. Visiblement, il aurait vraiment existé et aurait employé Hélène Jégado avec laquelle il aurait eu une histoire d'amour (après la mort soudaine et... suspecte de sa femme). Il est le seul à croire à l'innocence d'Hélène et le seul à la voir comme un être humain. Un personnage clé de l'intrigue, donc.

Le problème c'est que Matthieu Véron est joué par Benjamin Biolay et que dire que sa performance est moyenne serait mentir. Il est juste nul. Il traverse le film en donnant le sentiment de ne pas vraiment savoir ce que l'on attend de lui, ânnone son texte sans conviction et il faut le voir, au chevet de sa femme agonisante, lui parler comme s'il lui demandait où elle a mis les clés de la Twingo pour comprendre le désastre. Et le fait qu'il ne se sépare pas du regard du type pour qui tu te situes hiérarchiquement entre le néant absolu et la crasse derrière sa machine à laver ne fait rien pour arranger les choses et rend chacune de ses interventions à la limite du supportable.

Cette narration maladroite ne doit toutefois pas occulter les qualités du film. La première c'est la beauté de l'image : Stéphanie Pillonca-Kervern est une amoureuse de la Bretagne et ça se sent, les plans de sur la lande et les côtes de granit sont nombreux. Paradoxalement, si l'image est réussie, les longs plans impriment au film un rythme lent, très lent voir même trop lent par moment. Pour être gentil on parlerais de"film contemplatif"... si la beauté de la Bretagne était son sujet de base, ce qui n'est pas le cas.

La seconde c'est que certaines scènes sont de très belle facture : les scènes racontant l'enfance d'Hélène, par exemple, mais également une scène magistrale racontant la rencontre entre Hélène et un vieil instituteur, qui comprend très vite ce qu'elle est (et dont la réaction est pour le moins intéressante). Tout ce qui était exposé de façon bancale dans le reste du film est développé ici de façon parfaite et il y a même une dose supplémentaire d'humour noir qui manque à mon goût au reste du métrage.

En définitive, que dire de "Fleur de Tonnerre" ? Disons qu'il s'agit d'un film dont le propos est intéressant, la réalisation et l'interprétation tout à fait correcte (à une exception près). Le soucis est que la construction en est brouillonne. Peut-être cela était-il dû à la genèse chaotique du film (qui a été sauvé in extremis par Dany Boon et sa société de production), qui a empêché à l'équipe de réaliser ce qu'elle voulait réaliser. Oubliez l'humour noir du "Landru" de Claude Chabrol, la critique sociale du "Juge et l'assassin" de Tavernier, ici tout se joue sur la dichotomie entre la beauté de la Bretagne, l'angélisme du personnage principal et l'horreur des faits, ce qui est hélas raté, rendant le film relativement dispensable. Et croyez bien que je ne prends aucun plaisir à écrire ça.

Reste que ce film m'a appris trois choses : Deborah François s'en sort très bien en psychopathe attachante (et c'était dur), Stéphanie Pillonca-Kervern filme la Bretagne avec un oeil que j'aurais aimé avoir... et voir Benjamin Biolay jouer la comédie c'est encore pire que de l'entendre chanter.

Publié dans Cinéma

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A
j'aime me promener ici. un bel univers.
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A
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.
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