Hors Série : Le Musée Dupuytren
Avant propos : l'article qui va suivre traite d'un musée présentant une collection de curiosités voire d'abhérrations médicale. Il est, bien évidemment, illustré et, si j'ai opéré un travail de tri, certains clichés restent toutefois potentiellement dérangeants. Je déconseillerais donc aux âmes sensibles, au mieux de s'abstenir de lire cet article (hé oui) ou, au mieux, de ne pas cliquer sur les images pour les agrandir. Je ne plaisante pas !
A l'heure où tu lira ces lignes, lecteur, le musée dont je te parles aura cessé d'exister sous sa forme actuelle. En effet, le 25 mars 2016, le musée Dupuytren, a fermé ses portes pour la seconde fois de son histoire.
Tout d'abord installé dans l'ancien réfectoire du Couvent des Cordeliers, où se trouve aujourd'hui la faculté de Médecine, le musée Dupuytren tient son nom et son existence du chirurgien Guillaume Dupuytren. Celui-ci voulut, à sa mort, faire un leg à la Faculté de médecine afin de créer une chaire d'anatomie pathologique. Malheureusement, ce leg n'étant pas suffisant, le doyen de la faculté l'invita plutôt à utiliser cet argent pour créer un musée d'anatomie pathologique. Il s'occuperait, de son côté, financer la chaire par l'Etat.
A la mort de Guillaume Dupuytren, en 1835, le musée qui porta son nom fut installé dans l'ancien réfectoire du Couvent des Cordeliers, où il resta plus de 100 ans. Et pour ceux que cela intercesseur, il laissa également son nom à une fracture de la cheville ainsi qu'à une maladie caractérisée par une contracture de la paume de la main.
Le but du Musée Dupuytren était, donc, de fournir aux étudiants en médecine des exemples de lésions diverses et variées. A l'origine le musée contenait un millier de pièces provenant du Collège royal de chirurgie et de la Société anatomique de Paris, à laquelle s'ajoutèrent, au fil du temps, d'autre pièces provenant de collections personnelles. En 1937, le Musée, qui avait vu sa fréquentation baisser avec le temps, fut fermé par le doyen de la Faculté, celle-ci ne pouvant assumer les coûts nécessaires à l'entretien des pièces. Pendant 30 ans, le fond du Musée resta dans les caves de l'académie de médecine (à côté de la chaufferie, avec les conséquences que vous imaginez). En 1967, décision fut prise de ré-ouvrir le Musée, à l'emplacement qu'il occupa jusqu'à récemment.
S'il était le plus souvent fréquenté par des médecins ou des étudiants, et étudié pour ça, le Musée Dupuytren était également connu pour être visité par des étudiants des Beaux-Arts et des artistes cherchant l'inspiration:des peintres, des dessinateurs, des sculpteurs et mêmes des tatoueurs.
Autre catégorie de visiteur, les curieux dans mon genre car oui je n'aime pas que les films chelous, j'aime également les musées chelous, et, puisque tu ne pourra probablement plus faire la visite de ce musée, lecteur, je vais te raconter la mienne.
Tout d'abord, il faut savoir qu'accéder au Musée Dupuytren est déjà un parcours du combattant: il n'est ouvert que quatre heures par jour du lundi au vendredi, il n'est pas indiqué à l'extérieur de la Faculté de Médecine et, pour y entrer, il faudra d'abord montrer patte blanche (ou carte d'identité) au vigile à l'entrée. En espérant qu'il soit là depuis suffisamment longtemps pour avoir entendu parler du musée. Une fois à l'intérieur du Couvent des Cordeliers, il faut trouver l'entrée et, malheureusement, demander son chemin à un étudiant de passage n'aide pas forcément. Seul indice en ma possession: à proximité se trouve une statue de la Mort par Henri Allouard, statue suffisamment impressionnante pour être repérable facilement.
Finalement, je finis par trouver l'entrée du musée. Celle-ci était fermée, un affichage invitant à sonner pour que l'on m'ouvre. Ce que je fis. Après quelques secondes, un monsieur, que j’identifiai comme le conservateur, m'ouvrit et m'invita à entrer. Il m'expliqua, alors que, en principes, l'entrée au musée se fait à heure fixe et que celle-ci était limitée à une vingtaine de personnes maximum à la fois. Mais on en était loin.
Dès l'antichambre du musée, qui abrite essentiellement des archives, le ton est donné par un squelette rongé par une tuberculose osseuse et le masque mortuaire en cire d'un patient tué par un lupus.
Le conservateur (je le désignerai sous ce terme) était, heureusement, très désireux de faire partager quelques pans d'Histoire de la médecine. Il m'expliqua notamment, ainsi qu'à un groupe de visiteurs, comment un contemporain du docteur Dupuytren, le docteur Laennec, inventa le stéthoscope. Il nous raconta également comment celui-ci l'utilisa pour noter le rythme cardiaque des patients puis, après leur mort, à les autopsier pour déterminer à quel mal correspondait chaque rythme.
Et puis nous le suivîmes dans la salle principale.
Ce qui m'a avant tout marqué c'est l'aspect "à l'ancienne" du musée. Comprenez par là que son agencement avait pour but d'exposer un maximum de pièces, sans les mettre particulièrement en valeur. Ce qui est assez dommage, c'est que certains sont dans un coin ou en hauteur, alors que leur valeur, à la fois historique et médicale, est indéniable. Par exemple, le musée expose la balle qui tua (peut-être) Léon Gambetta, ou tout du moins qui précipita sa mort, mais celle-ci est dans un coin d'une vitrine, à côté d'un crâne rongé par la teigne.
Autre pièce intéressante mais pourtant exposée en haut d'une vitrine, le squelette de Marco Cazotte, dit "Pipine", un "monstre de foire" du XVIIIe siècle atteint de pocomélie. Comprenez par là qu'il était né sans bras et sans jambes mais avec des pieds et des mains (deux de chaque, il ne faut pas exagérer). A côté du squelette se trouve une statue de cet homme, qui mourut à 62 ans, un âge respectable lorsque l'on sait que les patients atteints de cette maladie à l'époque n'atteignaient que rarement l'âge adulte.
Poursuivant mon exploration, je m'aventurais également vers une galerie de squelettes aux malformations plus ou moins marquées. Ce qui me permit, par exemple, de savoir quels ravages pouvaient faire réellement la syphilis, qui n'est pas sans rappeler les histoires de virus transformant en zombie (c'est une maladie contagieuse, qui fait que vous vous décomposez vivant, que vous avez des accès de démence...). D'autre squelettes étaient déformés par des cas extrêmes d'arthrite; un autre, dans une vitrine, était atteint d'un mal dont j'ignore la cause mais qui semblait aussi mou que du caoutchouc.
D'autres squelettes, plus "conventionnels" étaient des crânes d’hydrocéphales et de microcéphales. Alors que nous étions plusieurs à regarder ces squelettes, le conservateur intervint pour nous rassurer sur le fait que, de nos jours, de telles malformations sont corrigées dès la naissance. Il eut alors l'idée de nous expliquer en détail les opérations subies après l'accouchement par les nourrissons atteints de ces malformations. Je n'aurais pas cette bonté, lecteur, saches seulement que ça consistait à scier et drainer des trucs et que, à ce moment, je ressentis comme un début de nœud à l'estomac.
Le nœud se transforma lentement mais sûrement en tableau de varappe au fur et à mesure que je parcourais les vitrines présentant des organes prélevés dans des bocaux. Et quand je dis "des organes", parfois c'étaient des membres voire des corps entiers : une vitrine entière était, par exemple, consacrée aux fœtus de siamois.
C'est alors que je m'arrêtait devant un bocal de taille moyenne, renfermant un spécimen dont je ne parvint qu'avec peine à déterminer la nature. Pour faire simple, on aurait dit une racine de mandragore et l'étiquettes bicentenaire et à demi effacée présente dessus ne m'aidait pas des masses.
"Ah, je vois que ce spécimen vous intéresse, me dit alors le conservateur, qui était venu à la rencontre. J'ai réalisé une publication à ce sujet récemment, la dernière datait de 1855, il était temps.
-Pardonnez mon ignorance, lui répondis-je après avoir opiné du chef, mais qu'est-ce donc ?
-Ça, voyez-vous, c'est un cas assez rare de fœtus anencéphale; Aujourd'hui, avec une échographie, on ne l'aurait pas laissé se développer à ce stade".
Et pas mal de regrets vinrent : celui de m'être approché de cette vitrine, d'avoir posé cette question... Et le regret que ma mère ait, en plus de m'avoir fait beau, également fait intelligent, modeste et cultivé. Suffisamment en tout cas pour avoir fait du grec à l'école et pour comprendre ce qu'est un fœtus anencéphale.
Et le conservateur n'attendit pas que je lui apporte cette précision pour m'expliquer par le détail les malformations de ce pauvre gosse. C'est assez étrange mais, en plus du nœud, qui commençait à me mettre le gros intestin au niveau de l’œsophage, ma vision se mit gentiment à se troubler. Je te la fais en gros : ce fœtus n'avait pas de tête mais il compensait par quelques trucs en trop et d'autres en nombre suffisant mais pas à la bonne place.
C'est quand le conservateur m'expliqua d'ailleurs où se trouvaient les yeux de ce bébé, malgré son absence de tête, que, fait étrange, je me mis à ne plus avoir qu'un dixième à chaque œil et que mes oreilles se mirent à siffler dans des proportions peu communes. Un peu comme si mon corps entier était en train de me hurler : "Sors de là crétin, sinon toi aussi tu va être bon à mettre dans un bocal!!!". Quand je repris un minimum mes esprits, j'avais réussi à me traîner sur un fauteuil de l'antichambre, blanc comme un lapin albinos javellisé, pendant que le conservateur prenait mon pouls.
Il m'expliqua alors que j'avais été victime d'une baisse de tension et que ce sont des choses qui arrivent. Cela ne m'empêcha pas de lui présenter mes excuses en ajoutant que j'avais du mal réagir aux bébés dans du formol. Le conservateur me rassura en précisant que ce n'était pas du formol mais un mélange spécial dont je ne pourrais lui arracher le secret, même sous la torture.
"Vous voulez continuer la visite ? me demanda-t-il, après que je lui eut affirmé que je venais en paix.
-Je pense, oui.
-Si vous vous sentez mal à nouveau faites-moi signe. D'ordinaire je ne m'occupe que des morts mais pour vous je ferai une exception".
La suite fut sans histoire et se consacra essentiellement aux éléments exposés dans le fond de la pièce, qui ne présentaient pas toutes des lésions décelables par le profane. Notons qu'il y avait quand même une collection de moulages de malformations génitales, histoire de compléter le tableau, et des fœtus d'animaux, qui, bizarrement, me firent moins d'effet que les humains (et pourtant il y avait un chien à deux têtes !).
"Vous garderez un bon souvenir de votre visite, malgré tout ? me demanda le conservateur lorsque je partis. Je lui répondis que oui et qu'après tout je visitais des musées pour apprendre des choses. Et Dieu sait que j'en appris ce jour là !
Ainsi s'acheva ma visite du Musée Dupuytren, dont je sorti tout de même un peu secoué en m'apercevant que, finalement, avoir visage humain et pouvoir respirer par le nez est une chance que l'on ne mesure pas suffisamment. Je pris également la décision de reporter à une date ultérieure le fait d'aller acheter une brioche à la Pâtisserie Viennoise.
Aujourd'hui, disais-je en début d'article, le Musée Dupuytren n'existe plus. Ses collections sont actuellement déménagées vers la faculté de Jussieu, où elles ne seront plus visibles que par les enseignants et les étudiants, après réservation. Quelques ouvertures exceptionnelles au public sont toutefois prévues, occasionnellement, avec inscription préalable.
Après quelques recherches, si les musée anatomiques t'intéressent lecteur, il s'avère que d'autres établissements similaires existent toujours, notamment le Musée Delmas-Orfila-Rouvière,à Paris qui traite d'anatomie en général, avec quelques cas pathologiques. Sinon, il reste le musée Fragonard, à Maison-Alfort, qui traite d'anatomie pathologique animale. A l'heure où j'écris ces lignes ceux-ci sont toujours ouverts.
Quant au Musée Dupuytren, il n'en reste qu'un souvenir et l'espoir que cet article puisse permettre de lui conserver un semblant de vie.
Lien utile : la page consacrée au musée sur le site de l'Université Pierre et Marie Curie. En bas de la page, vous trouverez une adresse e-mail afin d'être informé d'éventuelles ouvertures du musée.
http://www.upmc.fr/fr/culture/patrimoine/patrimoine_scientifique/musee_dupuytren.htmlhttp://