Ogroff
Je sais qu'il m'arrive ici de vous parler de films à la qualité douteuse et souffrant d'un manque de moyens flagrants, je sais qu'il m'arrive d'avoir une prédilection pour les nanars et pour tout ce qui peut passer pour des ovnis cinématographiques. Je sais que certaines personnes, y compris certains de mes proches ont du mal à comprendre ce goût, se demandent pourquoi j'accepte de m'infliger de mauvais films et pourquoi j'aime ça. La réponse est simple: ces films ont souvent une histoire plus intéressante que leur scénario et trainent dans leur sillage des galeries de personnages dont le manque d'intérêt n'est pas le défaut premier.
Plus encore, transparait souvent dans ces films une passion un côté "ca sera peut-être de la merde mais au moins c'est moi qui l'aurait faite" qui, pour ma part, me plaisent particulièrement. Cet aspect est particulièrement visibles dans les films de série Z et quand je te parle de films de série Z, lecteur, je ne parle pas de films un peu fauchés faits avec du matos d'occasion et des acteurs semi-professionnels. Non, je te parles de vraie série Z, de la pure, de la vraie, de la tatouée ! De la série Z tournée dans un jardin avec une caméra super 8 et les potes du réalisateur ! Un genre qui, comme tous les autres, a ses films références, ses figures incontournables : Jean Rollin, Jesus Franco, Andy Milligan... des noms auxquels il faudrait rajouter celui de Norbert Moutier, auteur de neuf films, dont "Ogroff", qui se paie l'honneur d'être premier slasher produit et réalisé en France.
Je te disais, lecteur, que le contexte de réalisation pouvait être aussi intéressant que le film lui-même, et c'est le cas d'Ogroff. Replaçons-nous dans le cadre: nous sommes en 1982. A l'époque, pas d'Internet, pas de forums, pas de blogeurs dans mon genre pour parler de cinéma bis. A l'époque, les blogs étaient peu ou prou remplacés par des fanzines et les fanzineux se retrouvaient régulièrement dans des lieux prédéterminés pour vendre et acheter les publications de leurs confrères. Parmi ces lieux, il y avait la librairie "Movies 2000", rue de la Rochefoucauld à Paris, tenue par Jean-Pierre Putters, également fondateur du magazine "Mad Movies". Parmi les fanzineux qui s'y retrouvaient régulièrement il y avait un certain Norbert Moutier, alors comptable à Orléans, auteur du fanzine "Monster Bis" et détenteur du record de France du plus jeune directeur de ciné-club.
C'est vraisemblablement lors de l'une de ces réunions qu'il exposa son idée de ne pas faire que parler de films mais d'en réaliser un également. Amateur, comme pas mal de ses compagnons de fanzinat, de cinéma d'horreur, il avait alors dans l'idée de réaliser un slasher avec les mécanismes habituels du genre: on prend un tueur mystérieux, on lui fait dézinguer le casting jusqu'à ce qui ne reste plus que l’héroïne, elle décapsule le tueur et tout le monde est content (sauf le tueur). Et l'exemple de "Vendredi 13" a montré qu'on peut ne pas avoir beaucoup de moyens et faire un truc sympa.
Évidemment, chacun avait un emploi du temps et des contraintes et le tournage du film ne se déroulait donc que le week-end et les scènes tournées en fonction des disponibilités de chacun, quitte à filmer les scènes additionnelles plusieurs heures ou jours plus tard, source de pas mal de faux-raccords. Quant au choix du format, le super 8, il est à l'origine d'une qualité d'image et sonore douteuse, à tel point que je me demande si ce n'est pas pour cela qu'il y a aussi peu de dialogues.
Le soucis de ce manque de dialogues fait que le scénario reste assez nébuleux: pour tout vous dire, le résumé au dos de la jaquette du dvd (oui, ce film existe en dvd) est plus prolixe que le film lui-même. En gros, Ogroff est un bucheron qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, a subi une trépanation ainsi que l'ablation d'un œil. Est-ce cela qui l'a rendu fou? Probablement mais nous n'en saurons pas plus. L’héroïne du film trouvera bien des coupures de presse dans sa cabane relatives à la Guerre mais c'est tout. A l'origine, une scène devait être insérée au début du film, expliquant les origines du personnage (elle est d'ailleurs disponible dans les suppléments du dvd). Pour l'avoir vu, les éclairages qu'elle apporte ne sont pas non plus monstrueux.
Tout ce que nous saurons est qu'Ogroff se promène dans la forêt, avec une hache et un masque en cuir découpé dans ce qui semble être un vieux ballon de foot et assassine à coup de hache quiconque vient piétiner ses plates-bandes. Après un énième massacre, auquel survécut une journaliste, celle-ci décide de mener l'enquête et de mettre fin à ses agissements. "Pourquoi ne pas être allé voir les gendarmes?" me demanderez-vous ? Elle l'a fait mais ils lui ont répondu grosso-modo : "Ben on sait bien qu'il y a un fou qui tue les pique-niqueurs mais qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse? Il se planque et il connait la forêt comme sa poche!".
Ça me rappelle un autre slasher où la police refusait de se bouger au prétexte que "personne n'avait porté plainte".
La suite réussit à être aussi simple qu'incompréhensible. Ogroff continue à tuer des gens, dont un collègue qui a l'honneur de se faire découper non à la hache mais à la tronçonneuse Il désosse également une deux-chevaux dont il a massacré les occupants au préalable et se finit sa journée en violant une de ses haches (au cas où vous auriez des doutes sur la misère sexuelle du bucheron le soir dans sa cabane).
C'est probablement pour cela qu'il épargne l’héroïne une fois capturée, ça et le fait qu'il lui trouve une ressemblance avec une femme représentée sur une vieille photo qu'il conserve précieusement. Bon, la ressemblance est discutable mais n'oublions pas que le monsieur est borgne et qu'il a été trépané. Ce point de détail est d'ailleurs assez rapidement oublié puisqu'un rebondissement finit par achever le reste de logique qui animait encore le spectateur.
La cabane d'Ogroff est équipée d'une cave.
Dans la cave, il y a des soldats allemands zombis.
Et ces zombis se sont échappés !
Ce qui avait commencé comme un banal slasher se mue donc en film de zombis, un film de zombis assez atypique, toutefois, puisque c'est le tueur du slasher qui se met à faire la chasse aux morts-vivants. Paradoxalement, c'est au moment où le film devient nawakesque que l'histoire prend tout son sens : Ogroff serait donc le gardien de ces zombis et tuerait ceux qui s'approchent de l'endroit où ils sont tenus prisonniers. Dans ce cas, pourquoi ne pas les avoir enfermés plus solidement ? Pourquoi ne pas les avoir tués avant ? Et surtout pourquoi tuer des types à qui il aurait seulement pu se contenter de faire peur ?
Oui, je sais "il est trépané", tout ça...
Pour la petite histoire , "Ogroff" fut projeté pour la première fois lors d'un festival du film Super 8 organisé par Mad Movies. Les films projetés alors étaient essentiellement des courts métrages amateurs parodiant les films d'horreur et le jeu des spectateurs était surtout de se reconnaitre, eux ou leurs copains, tout en riant du spectacle présenté. "Ogroff" n'échappa à ce traitement, au grand malheur de Norbert Moutier, qui devait être le seul à avoir réalisé son film sérieusement. Le seul soucis c'est que la quasi totalité du reste du casting avait fait ce film essentiellement pour déconner entre potes et n'avaient pas l'intention d'être la réponse française à "Vendredi 13". Et, puis, reconnaissons-le, "avec sérieux" ou pas, le résultat était assez foutraque. La petite histoire raconte que, pour sauver les apparences, Norbert Moutier avait fini par raconter que le comique involontaire du film ne l'était pas.
Après quelques années d'oubli il fut racheté par un éditeur VHS, American Video, qui le renomma "Mad Mutilator" et le sortit avec une jaquette mettant en vedette Howard Vernon. Celui-ci le prit d'ailleurs assez mal, dans la mesure où il avait accepté de jouer dans ce film juste par amitié pour Moutier, le temps d'apparaître dans le rôle d'un cardinal vampire (ne posez pas de questions...). Cette édition n'a, évidemment, pas amélioré la réputation du film, qui finit par squatter les étagères du bas dans les vidéo-club dans la catégorie "à ne voir qu'en dernier recours".
Alors, qu'en dire ? Il serait hypocrite de dire qu'il s'agit d'un bon film : Super 8 ou pas, il reste que le manque de dialogues fait qu'on ne comprend pas grand chose à ce qui se passe et que le résultat, même avec une meilleure qualité d'image et des effets spéciaux plus réussis serait resté foutraque. Et puis, un slasher n'a pas vraiment besoin de zombies ou de vampires pour être efficaces, surtout si on ne sait pas ce qu'ils fichent là.
De là à dire qu'il est mauvais... Désolé mais je ne vais pas y arriver. C'est comme pour les films turcs ou ceux d'Ed Wood: à un moment quand la passion finit par aveugler au point de ne pas voir les obstacles on peut que s'incliner. D'autres vous feront le même parallèle avec l'amour, moi je le fais avec le ciné, chacun son domaine.
George Bernard Shaw a dit un jour que la plupart des gens voient les choses telles qu'elles sont et se demandent "Pourquoi ?" et que d'autres les voient telles qu'ils voudraient qu'elles soient et se disent "Pourquoi pas ?". Norbert Moutier appartient sans aucun doute à cette dernière catégorie, celle à laquelle nous rêvons tous d'appartenir sans toujours y arriver.
Fiche technique :
Titre alternatif : Mad Mutilator
Année : 1983
Pays : France
Durée : 1h27
Genre : Terrine forestière