L'Echelle de Jacob
Quand on parle de film sur le syndrome post-traumatique des soldats, on pense avant tout, et essentiellement, à "Rambo". Le film en lui-même est assez bon mais traite le traumatisme des vétérans de guerre d'un point de vue essentiellement social : le traumatisme de John Rambo est avant tout déclenché par le fait qu'il revient dans un pays qui le rejette alors qu'il a risqué sa vie pour lui. Si on veut faire simple, "Rambo" c'est surtout l'histoire d'un type qui pète les plombs et qui les auraient peut-être pété sans le Vietnam.
Le syndrome post-traumatique ne se manifeste pas nécessairement par des accès de rage qui finissent dans une forêt avec des explosions partout. Il s'agit essentiellement de cauchemars atroces, d'hallucinations auditives et visuelles. Ce syndrome ne date pas de la guerre du Vietnam: dès la Première Guerre Mondiale, des médecins avaient rapporté un traumatisme similaire chez les survivants des tranchées, ce qu'ils appelaient "l'obusite". En gros, si le fait de voir des choses horribles peuvent rendre certains aveugles, d'autres expérimentaient l'effet inverse et revoyaient des horreurs sans arrêts. Et les poilus n'ont malheureusement été ni les premiers ni les derniers à le vivre.
Prenez Jacob Singer, par exemple. Lui qui était un paisible professeur de philo dans le civil a été envoyé au front comme tant d'autres, dans l'enfer vert, le genre d'endroit où les moustiques et la dysenterie vous tue plus sûrement que les vietcongs. Au cours d'échanges de tirs d'une rare violence, l'escouade de Jacob se fait décimer et, lui, s'en sort avec un coup de baïonnette dans le ventre. Par chance, tout ceci n'était qu'un flashback : Jacob s'était juste endormi dans le métro et revivait un mauvais souvenir. Lui qui était prof est devenu employé des postes en rentrant du Vietnam. Il a quitté sa femme et vit aujourd'hui avec la belle (et troublante) Jézebel. Il essaie également, si tant est que ce soit possible, de faire le deuil de Gabe, l'un de ses fils, tué dans un accident peu avant son départ.
Comme beaucoup de vétérans, Jacob est autant en miettes à l'intérieur qu'à l'extérieur. Et les efforts de son chiropracteur et ami, Louis, pour réparer son corps et ceux de Jézebel pour réparer son âme semblent vains. Jacob semble s'enfoncer dans la folie et ses cauchemars deviennent de plus en plus réels.
Ah, au fait, lecteur, j'ai oublié de te prévenir: ce qui va suivre va probablement contenir des morceaux de spoilers du scénario.
Cela commence par des êtres bizarres dans le métro et d'étranges figures passant au gré des rames. Cela se poursuit avec des êtres sans visages se manifestant dans des allées sombres et des voitures. Cela ne serait rien si ces êtres en voiture n'essayaient pas de le tuer. Et même à l'intérieur, il est assailli par des visions qui le fond tomber en syncope quand elles ne causent pas des fièvres terrifiantes.
Ceux qui tentent d'assassiner Jacob sont probablement les même qui réussissent leur coup avec certains de ses amis et anciens camarades du Vietnam, à commencer par Louis qui, non seulement se fait tuer mais semble avoir été effacé des mémoires de tous ceux qui le connaissaient. Qui peut en vouloir à Jacob et son entourage ? D'où viennent ses hallucinations ?
Sont-ce des hallucinations ?
L'explication de son état, Jacob finit par l'obtenir par le biais d'un ancien chimiste de l'armée. Arrêté alors qu'il fabriquait du LSD, on lui laissa le choix entre aller ramasser des savonnettes dans un pénitencier ou bien travailler pour l'armée. Sa mission était alors de fabriquer une drogue spéciale améliorant les capacités des soldats et augmentant leur agressivité, les technocrates de Washington étant persuadés que, si les Etats-Unis perdaient la guerre, c'est parce que leurs soldats étaient des mauviettes.
Entre parenthèses, des rumeurs, démenties par l'US Army font état de l'usage de telles drogues. Après tout, une fois découvert et approuvé par son inventeur (qui fut le premier à le tester), le LSD a bien été utilisé par l'armée américaine... Avec le but inverse, je vous l'accorde (ils voulaient le pulvériser sur leurs ennemis pour les désorienter).
Le résultat des expériences est une drogue terrifiante nommée "L'Echelle". Pourquoi ce nom ? Parce que, tel une échelle, elle vous fait descendre dans les tréfonds de votre âme, réveillent vos instincts les plus sombres et vous transforment en êtres assoiffés de sang et dénués de tous ces machins encombrants que sont l'humanité et la compassion.
Jacob a probablement été mis en contact avec cette drogue, ce qui expliquerait ses visions et son état de santé. Le fait que lui et ses anciens frères d'armes fassent l'objet de tentatives de meurtres et d'intimidations lorsqu'ils menacent de porter plainte contre l'armée ne fait que corroborer cette hypothèse.
A noter, que les monstres que Jacob voit dans ses visions devaient, dans le script original, être des démons cornus tels qu'on peut les voir dans les représentations médiévales de l'Enfer. Finalement, Adrian Lyne a opté pour des monstres plus anthropomorphes. Tout d'abord parce que des monstres avec des cornes et des griffes risquaient d'être foirés et être plus ridicules qu'autre chose. Ensuite, les créatures utilisées dans le film sont sensées rappeler un scandale sanitaire qui avait touché des femmes ayant pris un médicament contre les nausées. Cette petite merveille provoquait des malformations sur les foetus, qui naissaient avec des difformités similaires à celles des monstres du film.
"L'Echelle de Jacob" est, si l'on veut résumer, l'histoire d'un homme qui combat ses démons : démons imaginaires nés de ses hallucinations, démons intérieurs, nés de ses traumatismes du VIetnam et du drame qui l'a touché avec la perte de son fils. Démons réels, également, puisque rien de tout cela ne lui serait arrivé sans la folie de ses semblables et la cruauté de ceux qui lui ont pris son âme après avoir risqué de prendre sa vie.
Et saches, lecteur, que contrairement à pas mal d'autres films du genre, tu finis par avoir une explication à tous ces phénomènes. A ce titre, le dénouement de "L'Echelle de Jacob" et le twist qui amène le plan final sont des exemples de maîtrise, autant sur le plan de la réalisation que de l'écriture. Je vais être franc avec toi, lecteur et je vais te dire cela avec toute la virilité que peut avoir un grand gaillard de 28 ans : les cinq dernières minutes m'ont tiré une larme et saches que ce ne m'était pas arrivé depuis "Heureux qui comme Ulysse", il y a plus de 20 ans !
En gros, en un mot comme en cent, "L'Echelle de Jacob" est du bois dont sont faits des films fantastiques géniaux comme "Cabal" ou "The Wicker Man", et comme eux, c'est un film que peu de gens ont vu mais que tout le monde devrait voir. Et si tu rêves de voir Macaulay Culkin dans un film que tu peux apprécier passé onze ans et demi, c'est ici !
Fiche technique:
Titre original : Jacob's Ladder
Réalisateur : Adrian Lyne
Année : 1990
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h43
Genre : Diamant allégorique