Kull le Conquérant
L'histoire du cinéma est pleine de films absolument géniaux sur le papier mais qui ne virent jamais le jour.
Tu risques alors de penser à "Don Quichotte" de Terry Gilliam, lecteur, ou à "L'Enfer" d'Henri-Georges Clouzot. Autant d'oeuvres qui, dans ce cimetière plein de regrets, rejoignirent des films comme "Le Petit Prince" d'Orson Welles, "Le Seigneur des Anneaux" avec les Beatles ou encore "Le Masque de la Mort Rouge" d'Akira Kurozawa. (Entre parenthèses, Kurozawa qui adapte du Edgar Allan Poe, j'aurais tué pour voir ça (et peut-être même des humains)).
On me rétorquera toutefois que "L'Enfer" a fini par sortir, réalisé par Chabrol, que "Don Quichotte" a donné le documentaire "Lost In La Mancha". Et il est vrai que certains de ces rêves ont fini par exister sous une forme ou une autre. Tenez, regardez "Conan le Barbare" (au sens propre comme au sens figuré, il faut regarder "Conan le Barbare"), celui-ci a eu une suite, "Conan le Destructeur"... et bien il devait avoir une seconde suite : "Conan le Conquérant". Ce film devait être hautement instructif puisqu'il devait nous expliquer comment Conan était devenu roi de sa propre main, ce que même son créateur, Robert Howard, ne racontait pas en détail.
Seul problème : Schwarzenegger refusait de reprendre le rôle de Conan et lui trouver un remplaçant aurait été ardu. Comment faire un Conan sans Conan ? Et bien en faisant appel à un autre héros de Robert Howard, avec un peu moins de renom : Kull.
Les personnages de Kull et de Conan sont d'ailleurs étroitement liés, dans la mesure ou c'est Kull qui donna à Robert Howard l'idée de créer Conan. Enfin "l'idée" est un euphémisme puisqu'Howard racontait que c'est en réécrivant une nouvelle avec Kull... que Conan lui apparut, hache sur l'épaule et lui ordonna de raconter ses aventures s'il ne voulait pas voir ladite hache s'abattre de façon violente sur son occiput. Robert Howard réécrivit alors la nouvelle originale, intitulée "Par cette hache je règne" et créa "Le Phénix sur l'épée", où Conan, déjà roi et dans la force de l'âge, déjouait un complot visant à le renverser.
Est-ce pourtant que de Conan il n'est que le calque, Kull ? Et bien, mis à part le fait que Kull a, selon la chronologie Howardienne, vécu 10 000 ans avant Conan, on serait tenté de dire que oui. Conan est un barbare de Cimmérie, une contrée froide et sauvage, Kull vient d'Atlantis, une île fruste et sauvage et tous deux vont, au cours de leurs aventures, devenir rois du royaume le plus puissant de leurs époques (L'Aquilonie pour Conan, Valusia pour Kull). La principale différence réside probablement dans le fait que Kull est un peu plus chevaleresque que son double.
Si nous devions avoir Conan, nous avons Kull, si nous devions avoir Schwarzie nous avons Kevin Sorbo, qui jouait à l'époque dans la série "Hercule" (on a vu cent fois pire mais on a vu bien mieux). N'oublions toutefois pas que le film devait être un Conan à la base et c'est pour cela qu'il semble avoir été inspiré par deux nouvelles du Cimmérien : "Le Phénix sur l'épée" et "L'heure du Dragon".
Faute de Conan, une mise au point s'impose : les premières minutes du film nous racontent comment, il y a des millénaires, le Monde était couvert de flammes et les Hommes pliaient sous la dextre griffue de la sorcière Akivasha (qui est le nom d'un personnage secondaire de "L'Heure du Dragon", soit dit en passant). Mais le grand dieu Valka eut pitié des Hommes et vainquit Akivasha. Sur Acheron, le royaume d'Akivasha, naquit le royaume humain de Valusia et seule une flamme éternelle rappelait que l'Enfer avait été sur Terre.
Et le générique de défiler, montrant notre héros dézinguer du méchant à coup de hache sur des gros riffs de guitare qui tachent. Tout ça pour que vous soyez assurés que, non, ce n'est pas un minus, Kull !
Minus ou pas, il n'est pour l'instant qu'un barbare, qui essaie d'intégrer les légions d'élite de Valusia. On lui fait notamment passer des tests idiots, comme affronter le capitaine de la garde après que quelqu'un leur ait bandé les yeux (il y a toujours quelqu'un pour bander dans un film de Kull). Ces réjouissances sont interrompues lorsqu'un messager vient leur annoncer que le vieux roi de Valusia a fondu le dernier boulon qui lui restait. En gros, ses fils l'ayant défié pour son trône il s'est mis en tête de massacrer tous ses descendants mâles. La garde royale n'osant pas lever la main sur leur souverain, Kull s'empare d'une arme et met fin à ce bain de sang en faisant couler celui du roi.
Le roi est mort, vive le roi, donc... mais lequel ? vu que les héritiers légitimes sont morts ? Alors que les prétendants sont sur le point de s'écharper, le défunt roi, qui n'était pas si défunt que ça, annonce dans un dernier râle : "Je donne ma couronne à Kull", décision souveraine et irrévocable. Bon, un spectateur attentif remarquera qu'à aucun moment son adversaire n'avait donné son nom mais ce genre de détails sont futiles pour un vieillard à l'article de la mort.
Entre parenthèses, d'après le peu qu'en raconte Howard, c'est comme ceci que Conan devint roi d'Aquilonie : en tuant son prédécesseur au cours d'une révolte. Ici pas de révolte, toutefois, il ne se sent l'âme ni d'un Robespierre ni d'un Danton, Kull.
Et voici donc notre héros bombardé roi et briseur de chaînes au grand plaisir de tout le monde. Enfin, presque tout le monde puisque les prétendants évincés voient d'un mauvais œil le fait que Kull pose ses fesses de barbare sur un trône qui devait leur revenir. Parce "suzerain" ou non, "choisi par le souverain précédent" ou non, ça reste un barbare à la base, Kull ! Bon, ils tentent bien de le faire assassiner... mais Kull est un héros dont on ne se débarrasse pas si aisément.
Aux grand maux les grands remèdes, ils décident de ressusciter celle qu'ils ne fallait pas ressusciter : ils vont ramener Akivasha à la vie en pensant, les fous, qu'elle leur obéirait. Leur plan est simple : compter sur les charmes d'Akivasha pour que Kull la prenne pour épouse et qu'elle le tue dans son sommeil. La troublante rouquine parvint à ses fins... enfin presque puisqu'elle préféra faire croire à sa mort et le garder en vie. Pourquoi ? Tout simplement parce que Kull lui a fait voir des étincelles au plumard et qu'elle n'avait pas le coeur de le tuer tout de suite. C'est alors qu'elle tenta Kull avec une proposition indécente: se joindre à elle et lui servir d'âme damné (et de sex-toy éventuel), proposition qu'il refuse, évidemment, avant de parvenir à s'échapper.
Kull ayant retrouvé la liberté, il apprend rapidement qu'il existe un moyen de vaincre Akivasha: le Souffle de Valka. Qu'est-ce donc que le Souffle de Valka ? Pour faire simple, c'est l'arme laissée sur Terre par le dieu Valka qui, seule, peut vaincre Akivasha. Évidemment, vous vous doutez bien qu'elle ne se trouve pas dans une vitrine avec un marteau à côté et la mention "brisez la glace". Il sera pourtant bien question de briser de la glace puisque le souffle de Valka se trouve dans des terres très loin au Nord, dont on ne sait que peu de choses si ce n'est que personne n'en est revenu. C'est pourtant là que Kull va se rendre, avec l'aide d'un ancien ami pirate. Le genre de type hautement recommandable qui aurait volonté égorgé sa mère pour quelques pièces s'il ne l'avait pas déjà fait.
Et voilà Kull embarqué pour une équipée de tout les dangers, avec l'indispensable donzelle au coeur pur et le sidekick comique-quota ethnique (ici, le rappeur Litefoot, connu pour avoir joué dans l'"Indien du placard" et pour être l'un des rares exemples de rappeur amérindien). Et oui, seul il n'est pas parti, Kull, et le film prend alors des airs de sous-"Conan le Destructeur" qui, à la base n'était déjà pas une réussite.
Pire encore, il se permet des effets spéciaux plus ratés que ceux de ses prédécesseurs, qui datent de 1981 et 1984, ce qui pour un film de 1997 fait tache. Le clou étant quand même la mort d'Akivasha qui... oui, bon ça va, c'est pas un spoiler, tu te doutais bien que c'est pas elle qui gagnait, que ses flammes n'allaient pas le faire cuire comme un oeuf mollet, Kull.
En définitive, que penser de ce film ? Parce qu'il va être temps de conclure, mine de rien. Tout d'abord, vous constaterez qu'une partie du comique involontaire de ce film est dû au nom du personnage principal, qui se prête à tout un tas de calembours foireux (mais indispensables). Et encore, dites vous qu'en Finlande ce fut pire: dans les bouquins, Kull avait été renommé "Kall" parce que la prononciation de "Kull" rappelait celle du mot "kukko" que l'on peut traduire par "bite". Sauf que quand le film est sorti en Finlande, les adaptateurs ont gardé le nom original, avec les conséquences que vous imaginez. C'est un peu comme quand le sixième volet de "Saw" est sorti sous le titre "Saw VI", sans que qui ce soit à la base n'y voie de problème (mais, par chance, "Saw VII" a eu la bonne idée d'être rebaptisé "Saw 3D").
D'un point de vue technique, si je parlais des effets spéciaux, notons tout de même que le film est tourné par une équipe et des acteurs qui, dans l'ensemble connaissent leur métier. Ajoutons un minimum de moyens qui sauvent le film du ridi-Kull (je t'avais dit qu'il était temps de conclure). Là où il pêche ce n'est pas dans la forme, c'est dans le fond : les personnages et l'univers sont complètement stéréotypés, les dialogues plats et on a davantage l'impression d'être devant un banal téléfilm que devant l'héritier d'une saga épique. Dans un sens, il n'est pas plus mal que Schwarzenegger ait refusé de reprendre le rôle.
C'était une belle tentative, noble barbare, mais il en fallait un peu plus pour que le charme opère, Kull !
Fiche technique :
Réalisateur : John Nicolella
Pays : Etats-Unis
Année : 1997
Durée : 1h35
Genre : Tu voulais voir Conan et on a vu son père.