Vite vu : Nanouk l'Esquimau
Je ne pense ne pas trop me tromper en disant que la plupart d'entre vous possèdent un congélateur, même de taille réduite. Et en plein mois d'août, il y a de forte chance pour qu'y trônent des glaces, notamment des esquimaux. Vous voyez où je veux en venir ? "Non" ?, "Grouille !" ?. Et bien, apprenez impatients lecteurs que la légende raconte qu'un confiseur américain eut l'idée d'inventer cette glace en regardant le documentaire "Nanouk l'Esquimau". Et oui, la prochaine fois que vous mangerez un esquimau, lorsque le temps s'y prêtera et que ce sera la saison des glaces, souvenez-vous que vous le devez en grande partie à un film de 1922 de Robert Flaherty !
Accessoirement, ce film est également considéré comme l'un des premiers documentaires de l'histoire du cinéma et vu comme une oeuvre de grande qualité mais qu'est-ce que l'Histoire comparée à une glace Gervais ?
Sorti en 1922, l'origine de ce film remonte pourtant à 1913, année où Robert Flaherty partit une première fois filmer les Inuits dans la Baie d'Hudson. A son retour, alors qu'il veillait à filmer les conditions de vie des habitants du Grand Nord, il se rendit compte que les réactions n'étaient pas celles qu'il escomptait : les spectateurs y voyaient plus un récit de voyage qu'un documentaire ethnographique. A la suite d'un accident ressemblant pas mal à un acte manqué (une cigarette mal éteinte qui mit le feu aux pellicules enduites de nitrate), Flaherty leva à nouveau des fonds et, avec notamment le mécénat des fourrures Révillon, repartit filmer la tribu qui l'avait accueilli une première fois.
Ce coup-ci, plutôt que de filmer la tribu entière, Flaherty décida de suivre pendant un an la vie quotidienne de l'un des chasseurs de la tribu, Nanouk ("L'Ours") dans son combat quotidien pour survivre lui et sa famille.
Et quel combat ! La première chose qui marque en regardant ce film est la précarité de la vie de ces Hommes, qui, au début du XXe siècle, s'habillent encore en peau de bête et chassent au harpon. Cela est d'autant plus marquant qu'en réalité les Inuits étaient bien plus évolués que cela et Flaherty fut accusé d'avoir exagéré les choses pour appuyer son point de vue. Par exemple, il racontait que Nanouk était mort de faim quelques mois après le tournage, ce qui était faux: si Nanouk est bien mort vers 1924, c'est de la tuberculose et non de faim. De même, si le harpon était encore utilisé pour la pêche, les Inuits des années 20 chassaient déjà au fusil et on reprocha à Flaherty, à juste titre, d'avoir mis en danger la vie de ceux qu'ils filmaient en leur demandant de ne se servir que de harpons pour chasser le morse.
Ajoutons à cela quelques libertés prises avec la réalité : Nanouk ne s'appelait réellement Nanouk mais Allakariallak, celles présentées comme ses femmes n'étaient pas ses vraies femmes et plusieurs séquences sont clairement mises en scènes, ce qui fit douter de l'intérêt documentaire du film.
"Nanouk l'Esquimau" a également inspiré à Frank Zappa l'un de ses albums "Apostrophe", qui est sensé pouvoir servir d'habillage musical au film.
Mis en scène ou pas, "Nanouk l'Esquimau n'en reste pas moins une oeuvre des plus intéressantes sur des Hommes apprivoisant une nature qui n'est pas faite pour eux et qui ne le sera jamais, sur des Hommes qui se sourient que parce que leurs larmes gèleraient. La force de ce film est toutefois qu'il parvient à éviter le misérabilisme et se concentre moins sur les difficultés rencontrées que par les façons dont elles sont surmontées dans un monde où ce que ne vous tue pas vous fait juste dire: "c'est pas passé loin".
Et réjouis-toi lecteur, le film est tombé dans le domaine public depuis Mathusalem. Donc, si tu as une heure et quart devant toi et que tu comprends un peu l'anglais, n'hesites pas, cliques.
NB: On me signale dans l'oreillette qu'une inexactitude s'est glissée au début de cet article: il est bien évident qu'il n'y a pas de saison des glaces vu que la saison des glaces c'est tout le temps. Nos lecteurs auront rectifié d'eux-même.